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Le réchauffement climatique, la transition écologique et les tartuffes

La parole médiatique regorge de mises en garde, de résultats d’étude, d’images alertant sur la fin d’un monde provoqué par le réchauffement climatique. La sobriété nécessaire pour éviter l’avènement du nouveau monde inquiète car il est dit qu’elle provoquera l’achèvement de celui des progrès techniques, de la croissance économique et des profits financiers, démiurges de cet anthropocène climatiquement concrétisé. Les transitions écologiques sont ainsi inévitables.  Les économistes en envisagent les coûts économiques et financiers, les responsables associatifs et les militants les dimensions écologiques et morales et les politiques les inégalités socio-économiques. Les citoyens en jugent les méfaits pour l’environnement et leur quotidien tandis que les scientifiques de multiples disciplines ont entonné depuis des décennies le chant funeste de l’alerte, envisagés des solutions mais selon une grammaire généralement incompréhensible par le non initié. Si, çà et là, s’élèvent encore des voix s’opposant au constat climatique, bien plus nombreuses sont celles qui s’opposent aux basculements vers un modèle inclusif redonnant à la nature et à ses ressources la place et les rôles écologiques que la majorité des civilisations humaines, depuis l’avènement de l’agriculture et de la domestication, ont piétiné. Pourtant, des mots comme « durabilité », « transition », « résilience » structurent le refrain de ces chants sociétaux en échos à la hausse programmée de la température et de ses conséquences socioécologiques tragiques. L’acidification des océans accélère la diminution des ressources halieutiques. Que dire de la montée des eaux qui engloutit les rivages. Quant à l’impact du budget carbone des humanités et aux gaspillages des ressources naturelles et des énergies fossiles, du grain nourricier à la fibre textile ou numérique, de l’industrie à l’agrochimie, l’effroyable perte de la biodiversité en est l’illustration inique. En un mot, le réchauffement climatique interroge le rapport des humanités à leur environnement naturel et à la place physique et psychique (celle de l’imaginaire) qu’elles lui accordent.

« Paroles, paroles, paroles ? »

Les Français placent l’environnement et la transition écologique en 3e place des enjeux les plus importants après l’inflation et la santé publique. Que l’on considère l’étude d’opinionway ou le baromètre DJEPVA, 9 répondants sur 10 attestent de leur engagement actif en triant leurs déchets, en gérant les énergies domestiques ou en achetant des légumes de saison. Ils aspirent à une société renouvelée, inscrite dans la sobriété et le collectif, une société éloignée de l’incitation constante à la consommation. Ils récusent également la course aveugle à l’innovation et les modèles de production en décalage avec les impératifs de la transition imposée par le réchauffement climatique. Pourtant, les individus les plus conscients de la crise écologique, soit ceux avec un capital culturel et économique élevé ou ceux appartenant aux jeunes générations, sont également ceux ayant l’empreinte écologique la plus prononcée. [1]

Du côté des entreprises ? Que dire de ces entreprises du numérique, de l’industrie agroalimentaire et de la distribution qui menacent systématiquement le législateur de devoir augmenter leurs prix si nous cherchons à consommer mieux comme s’il existait dans l’économie néolibérale une règle économique à injonction morale : « à la fin c’est l’usager/consommateur qui paye »[2]. Le poids économique du changement lui échoit (naturellement, il demande) tout comme sa responsabilité morale au risque de l’inertie (souhaitée) des acteurs économiques. Et pendant ce temps, la température monte inexorablement comme le coût des catastrophes naturelles qui y est associé (estimé à 10 milliards en 2022 en France) et celui des primes du même nom des assurances (hausse prévisionnelle pour les seules cotisations d’assurances habitation, plus 130 à 200% à l’horizon 2050).

 Le récit et la représentation du monde

À l’orée 2024, l’affichage et le verbe semblent toujours primer sur l’action. Il est vrai que dans les romans de  « Fantaisy » (et en politique), il se veut action. Les acteurs institutionnels et individuels de la société agencent ainsi leur récit. Pour preuve, il a fallu une « tension » sur le marché des énergies pour « se congratuler » des économies d’énergie réalisées. Nos récits sont déconnectés des réalités de la transition et des pratiques socioculturelles et économiques qui nous y engageraient. Il est certes difficile, d’envisager aisément le réel impact d’un changement de nos modes de vie dit favorable à l’environnement sur cet environnement, et ce d’autant plus que « faire sa part » ne garantit pas la réussite collective. Mais nos récits anthropocentriques nous imposent des barrières symboliques qui puisent leurs racines dans les promesses de progrès sociétaux annoncés comme tous possibles par les descendants de la révolution industrielle. Ces récits de l’âge de la machine et puis du virtuel sont pauvres car les interfaces, outils et accompagnements qu’ils proposent nous isolent de nos semblables et amoindrissent notre possibilité de faire société et, ainsi, d’envisager notre rapport à la « nature ». Le collectif ne se dilue plus dans la nature. Il se languit en vase clôt, celui de la tribu au sens Maffesolien et de la microcommunauté.

Ou bien, nos individualités s’éparpillent en différentes attitudes en fonction des groupes d’individus que nous côtoyons. Ne serions-nous plus que des « dividus » (en référence à Bard et Söderqvist) dilués dans le flux informationnel (et nourris de la contingence organisée par des intelligences artificielles) ? Transition. Le monde y est, en transition, mais elle n’apparaît pas, ou difficilement, être celle dite écologique.  Il est plus que temps, pour qu’elle prenne corps, de refonder nos représentations sociales de la nature pour de nouveau percevoir notre inclusion dans cet espace qui, de tout temps, nous englobe. Ces nouvelles représentations doivent impérativement ancrer la réalité climatique dans nos vies, l’objectiver pour la rendre concrète tout en lui conférant une valeur symbolique, source initiatrice de l’action structurant la transition écologique. Il est urgent que la dynamique climatique et ses conséquences socioécologiques prennent un sens qui ait du sens pour chacun de nous, décideurs et citoyens. Et, si nous commencions par choisir d’aller câliner les arbres, à tout le moins de s’en approcher ?

Laurent Tarnaud

[1] Voyages en avion, niveau d’équipement et pratiques numériques et shopping et consommation de produits alimentaires (ultra)transformés chez les moins de 30 ans, distinguent négativement ces profils des autres Français lorsque leur impact carbone est pris en compte. Pire, la crise sanitaire du Covid-19 semble avoir renforcé l’envie de posséder chez soi des équipements individuellement perçus comme facteurs d’amélioration de la vie quotidienne, qu’ils relèvent d’activités sportives ou culinaires, mais qui tombent rapidement en désuétude. Au gaspillage de l’objet s’additionne celui des matières premières. Dans notre enquête sur l’alimentation à l’heure du Covid-19, parmi les « 21 mondes d’après » proposés, peu de répondants se projetaient dans un monde plus économe, transparent ou renouant avec la nature, a minima, au travers de ballades.

[2] L’écoblanchiment concerne également le secteur bancaire avec des fonds financiers « climat » ne contenant des scores climatiques qu’a hauteur de 6 à 12% de la pondération des portefeuilles

Quelques références 

Artneth A, Shin Y-J, Leadley P, Saito O (2020). Post-2020 biodiversity targets need to embrace climate change. PNAS, 117 (49)., https://doi.org/10.1073/pnas.200958411

Blanc L (2022). S’équiper plutôt que de recourir aux équipements collectifs : double peine pour l’environnement ? CREDOC, Consommation et modes de vie n°326.

Brice Mansencal L, Coulange M, Maes C, Müller J (CREDOC), (2020). Baromètre DJEPVA sur la jeunesse 2020, avec la collaboration de Baillet J., Guisse N., Hoibian S., Jauneau-Cottet P., Millot C., INJEP, Notes & rapports/rapport d’étude, 2020.

IPCC, 2022: Climate Change 2022: Impacts, Adaptation, and Vulnerability. Contribution of Working Group II to the Sixth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change [H.-O. Pörtner, D.C. Roberts, M. Tignor, E.S. Poloczanska, K. Mintenbeck, A. Alegría, M. Craig, S. Langsdorf, S. Löschke, V. Möller, A. Okem, B. Rama (eds.)]. Cambridge University Press. Cambridge University Press, Cambridge, UK and New York, NY, USA, 3056 pp., doi:10.1017/9781009325844.

Sessego V, Hébel P (2019). Consommation durable : l’engagement de façade des classes supérieures. CREDOC, Consommation et modes de vie n°303.

Tarnaud L (2022). Le monde d’après. Consommation alimentaire et pratiques digitales : quelles implications pour les marques alimentaires après la crise sanitaire de la Covid-19 ?. La revue des Science de Gestion, 3(15-316), 93-100.