Articles Economie

La temporalisation de l’intégration post-fusion : le cas de rapprochements dans l’enseignement supérieur et de la recherche

La littérature existante souligne l’importance de la temporalisation du processus d’intégration post-fusion, en particulier lorsque l’objectif est de valoriser les atouts distinctifs des partenaires tant en termes de performance que de créativité et de légitimité. Le décryptage de stratégies temporelles à partir de rapprochements dans le secteur de l’enseignement supérieur et de la recherche public (universités, institutions, hôpitaux, organismes de recherche) permet de comprendre comment les porteurs d’un projet adaptent les cadrages et orientations temporels en fonction des objectifs stratégiques recherchés (taille critique, internationalisation, accréditation, mutualisation des moyens, excellence académique…). Plus spécifiquement, il apparaît qu’une vision pluraliste et erratique du temps amène à reconsidérer le rôle et l’importance de la temporalisation de l’intégration post-fusion.

Le temps comme instrument pour orchestrer les différentes phases du processus d’intégration

Dans le cadre de rapprochements guidés par de fortes considérations institutionnelles, les dirigeants sont souvent amenés à séquencer la fusion en sous-problèmes avec des temporalités différentes. En effet ces organisations sont soumises à une pression et des contraintes temporelles très spécifiques. Par exemple, Musselin (2021) souligne la lenteur et la durée importante des projets fusions entre universités publiques notamment en raison des faibles interdépendances fonctionnelles qui les caractérisent (faible coordination entre unité, forte autonomie vis-à-vis du sommet). Pour aligner les intérêts des acteurs impliqués (politiques, partenaires sociaux, communauté académique et scientifique…) les défendeurs du projet peuvent adapter le rythme et l’intensité de l’intégration, en alternant des phases d’accélération pour « éviter de perdre du temps » avec des phases de modération pour au contraire « prendre le temps ».

 

Le temps comme vecteur d’apprentissage pour favoriser l’émergence d’interactions inédites

Lorsque le rapprochement entre ces organismes publics s’inscrit dans une logique innovante, le temps constitue un levier critique pour développer l’apprentissage organisationnel. Dans ce type de configuration, les synergies réalisées à l’issue du rapprochement différent souvent des celles envisagées initialement. Selon cette logique, le temps ne doit plus être pensé en termes d’efficience mais plutôt comme une source de créativité, il permet de prendre conscience de la nécessité de déconstruire l’existant pour mieux préparer l’avenir. Il apparaît ainsi qu’une conception tourbillonnaire du temps favorise l’adoption d’approches renouvelées du passé, du présent et du futur pour dépasser les norme préexistantes (Cunha, 2004).

Le temps comme levier de différenciation

Comme le soulignent Angwin, Meadow (2015), une approche différenciée des stratégies temporelles peut être utilisée pour concilier les objectifs à court terme (renforcement des rentes de position, maintien de l’activité, intégration des équipes de travail) avec les objectifs à long terme (création de nouvelles compétences, recombinaison de ressources, hybridation culturelle). La différenciation du rythme (lent/rapide) et des cadrages temporels (court/long) permet ainsi d’adapter la pression temporelle en tenant compte de la « criticité des compétences » à combiner. Par exemple, les fonctions supports et le système de gestion administrative peuvent être rapidement intégrées pour assurer le maintien de l’activité durant l’intégration. A l’inverse une approche plus progressive peut être adoptée vis-à-vis des communautés académiques ou scientifiques afin de ne pas les déstabiliser et de garantir la rétention de leurs savoir-faire. En envisageant le temps comme un construit hétérogène., les acteurs peuvent concilier des objectifs antagonistes et ainsi parvenir à créer de la valeur sur le long terme (extension et exploration) tout en gérant la pression à court terme (renforcement et exploitation).

Julien Fernando et Olivier Meier

REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES

  • Angwin D., Meadows M. (2015), New Integration Strategies for Post-Acquisition Management, Long Range Planning, 48 (2015), 235-251.
  • Cunha, M.P (2004), Organizational Time: a Dialectical View, Organization Articles, Vol 11, Issue 2, p 271-296.
  • Dennis, J.L., Langley, A., Rouleau, L. (2004), La formation des stratégies dans les organisations Pluralistes : Vers de nouvelles avenues théoriques, 13e conférence de l’AIMS, Normandie, Vallée de la Seine, 2, 3 et 4 juin 2004.
  • Favoreu C., Cassarus S., Maurel, C. (2016), Le management stratégique en milieu public : Approche rationnelle, politique ou collaborative ?  Revue Internationale des Sciences Administratives, Vol. 82, 465- 482.
  • Foudriat, M. (2013), Perception du temps dans les organisations et des temporalités dans les processus de changement, dans FOUDRIAT, M., Le changement organisationnel dans les établissements sociaux et médico-sociaux, Politiques et interventions sociales, Presses de l’EHESP, 289-326
  • Musselin, C. (2021), Les universités en fusion : conclusion de la partie 2., dans Négrier, E., Simoulin, V., Paoletti, M., Arambourou,C. (ed), Politiques de la Fusion: Organisations, services, territoires, Issy les Moulineaux, 125-131.
  • W.S, Sun, J., Prescott, J.E, (2012), A Temporal Perspective of Merger and Acquisition and Strategic Alliance Initiatives: Review and Future Direction, Journal of Management, Vol. 38 No. 1, 164-209.