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Les nouveaux enjeux de l’apprentissage

La Loi du 5 septembre 2018, portant la “La liberté de choisir son avenir professionnel”, a dynamisé l’ouverture de Centres de Formation d’Apprentis (CFA) et a fait un premier pas vers la fusion des contrats d’alternance, en circonscrivant le “contrat de professionnalisation” au seul public de la formation professionnelle continue. La pandémie qui touche notre pays depuis un an aurait pu mettre à mal le nouvel élan donné à l’apprentissage. Il n’en a rien été puisque le Gouvernement a déployé des dispositifs d’aide au recrutement d’apprentis qui ont été particulièrement incitatifs. Se faisant, la dynamique instaurée sur le plan quantitatif a mis en lumière de nouveaux enjeux plus qualitatifs pour l’apprentissage qui sont moins souvent évoqués.

L’apprentissage, la nouvelle voie de l’excellence

L’apprentissage s’est développé il y a un peu plus de 20 ans dans l’enseignement supérieur. Pendant longtemps, cette voie est restée en marge de l’excellence. Elle était principalement proposée aux étudiants qui étaient peu enclins à faire des études longues. Ces dernières années, la tendance s’est inversée. L’apprentissage est devenu une “nouvelle voie d’excellence” selon les propres termes d’Elisabeth Borne, la Ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Insertion.

Tout d’abord, parce qu’en période de crise, l’apprentissage connaît des taux d’insertion professionnelle bien supérieurs à ceux de la formation initiale. Les stages ne remplacent pas la nature de l’expérience acquise au travers de la durée de l’apprentissage. Et surtout, le modèle pédagogique qui “alterne” pratique professionnelle et temps de formation permet d’ancrer davantage les compétences professionnelles.

Ensuite, corollaire du précédent, l’efficacité professionnelle des apprentis est souvent bien supérieure à celle d’étudiants qui ont beaucoup de cours sur l’économie, le management, la gouvernance, etc… mais qui demeurent peu opérationnels à leur entrée sur le marché du travail. Ainsi, il n’est pas étonnant de voir que les business schools les mieux représentées dans les classements prestigieux forment si peu de bons commerciaux (pour ne pas dire de commerciaux tout court), alors que le fondement même de leur appellation – école “de commerce” – aurait dû les prédisposer à cette mission. La pratique répétée d’activités de prospection, d’investigation des besoins clients ou encore de négociation sont bien mieux maîtrisées par les apprentis.  D’ailleurs, les recruteurs ne s’y trompent pas.

Ancrer la pratique au-delà des dispositifs de prise en charge

Dans une interview récente, Elisabeth Borne confirme le lancement d’une consultation auprès des parties prenantes pour maintenir la dynamique de l’apprentissage à la rentrée 2021. Néanmoins, la question de l’apprentissage doit dépasser le simple effet d’aubaine des dispositifs de prises en charge déployés pendant la pandémie. Ces dispositifs permettent de ne pas casser la dynamique enclenchée.  Mais il importe que l’apprentissage dépasse le stade de la perfusion, pour devenir une pratique managériale ancrée dans le quotidien des entreprises.

L’apprentissage est d’abord un sas de recrutement : Il offre la possibilité aux entreprises d’avoir une ressource supplémentaire au sein de leur équipe ; ressource que les entreprises vont pouvoir former et acculturer à leurs propres process, et fidéliser ensuite dans un recrutement éventuel.

L’apprentissage, c’est aussi un “état d’esprit”, dans lequel la transmission est au cœur du management. On appréhende souvent l’apprentissage comme un acte vertical du tuteur (ou du manager) vers l’apprenti. En réalité, c’est un acte collaboratif dans lequel le tuteur (ou le manager) va aussi chercher à formaliser la transmission et, ainsi, interroge ses propres pratiques au travers d’un effet miroir. Enfin, l’apprentissage travaille aussi la relation inter-générationnelle. Cette dimension n’est pas toujours la plus simple, mais les apprentis d’aujourd’hui sont souvent les collaborateurs de demain, et les managers d’après-demain. Former et manager un apprenti est donc un laboratoire également pour observer, et parfois façonner les nouvelles générations de collaborateurs.

Muscler l’accompagnement des apprentis et développer une identité professionnelle

On ne naît pas apprenti ; on le devient. Il n’y a pas de prédispositions génétiques ou sociales à l’apprentissage. Il y a par contre de plus en plus la nécessité de d’accompagner et de développer une identité professionnelle spécifique chez les futurs apprentis.

Pour prendre un exemple, au sein de PPA – Business School 100% en alternance – nous plaçons en apprentissage des étudiants qui n’ont souvent pratiqué le monde de l’entreprise qu’une semaine lors de leur stage de découverte en 3ème. Si les entreprises vont les former sur leurs activités, ils manquent souvent à ces jeunes les pré-requis professionnels attendus par les recruteurs. La capacité à se présenter, à utiliser le langage adéquat, à maîtriser le savoir-être…Bref, en un mot, les codes professionnels d’usage. La préparation à cette étape est assez longue et nécessite un accompagnement de plus en plus élevé. Voici une anecdote pouvant montrer le chemin à parcourir : si un recruteur tarde à donner une réponse, il arrive que les jeunes les interpellent de manière inadéquate (un point d’interrogation ; un smiley ; une interjection…) pour les faire réagir, provoquant l’effet inverse attendu. Ces manières de faire, ou plutôt l’absence de maîtrise de ces codes professionnels, dépassent les clivages sociaux traditionnels. Les enfants de milieux favorisés restent clairement favorisés par l’aide que leur famille peut leur apporter dans la recherche d’une entreprise en alternance ; néanmoins, la culture du “trash talk”, du stand up ou des influenceurs – qui manient la répartie à l’envi – s’est développée dans tous les milieux sociaux. Les parents d’enfants lycéens se reconnaîtront au travers de ce constat.

L’Accompagnement doit aussi  se centrer sur la construction d’une identité professionnelle.  Étonnamment, celle-ci doit faire fi du statut “d’apprenti” ! En effet, être apprenti est certes un statut, qui donne lieu à des droits et accès à un dispositif de formation. Pour autant, l’identité professionnelle que l’apprenti doit mettre en exergue n’est pas centrée autour de ce statut. Lorsque Kylian Mbappé était encore un “footballeur professionnel stagiaire” (l’équivalent “d’apprenti footballeur” pour filer notre métaphore), il ne se présentait pas sous ce statut mais bien en tant que “footballeur”. Il en va de même pour un commercial, un marketeur, un communicant ou encore un comptable. Il n’y a pas lieu de surligner le statut au détriment de la vraie fonction occupée. Un commercial à mi-temps ou en CDD demeure un commercial, même si l’arrangement avec son employeur le positionne dans un statut spécifique. Cette remarque est importante car elle pousse les apprentis à “endosser” leur rôle. A l’instar de ce que le sociologue Erving Goffman avait pu observer, la “mise en scène de la vie” professionnelle fait la part belle aux collaborateurs qui sont capables de démontrer, par leur comportement et leur posture, qu’ils ont compris le jeu dans lequel ils sont impliqués, en maîtrisant les codes ou les règles de ce jeu. Qu’ils ou elles soient des cordonniers bien chaussés.

D’ailleurs, l’apprenti.e deviendra un vrai professionnel(le) lorsqu’il ou elle aura compris que le “jeu avec la règle, fait partie intégrante de la règle du jeu”.

Erwan Poiraud

Référence
Goffman E. (1973), La mise en scène de la vie quotidienne, Paris, Editions de Minuit, coll. “Le Sens commun”.