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Le temps social des femmes à l’épreuve du télétravail

Simone de Beauvoir disait : « n’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. »

« Le COVID-19 est une crise avec un visage féminin »[1]

La crise de la COVID, notamment au travers de ses confinements imposés a fait reculer de 20 ans le droit des femmes dans le monde (UNICEF) : fragilisation des structures, disparition des petits emplois de survie dans les pays les plus pauvres et télétravail souvent synonymes de multi-tâches et de priorisation des emplois au sein du couple. Les femmes représentent 70% de la main-d’œuvre mondiale du secteur de la santé et occupent la plupart des emplois dans les secteurs économiques qui ont été les plus durement touchés par la pandémie. Par rapport aux hommes, les femmes sont 24% plus susceptibles de perdre leur emploi et peuvent s’attendre à ce que leurs revenus baissent de 50% plus fortement.(source : https://news.un.org/fr/story/2021/03/1091742). En France, le haut conseil à l’égalité entre les hommes et les femmes (HCE) a rendu son rapport annuel 2020-2021 le 18 novembre dernier. Il met en lumière comment la crise sanitaire a pesé sur les trajectoires professionnelles des femmes. Et comment le télétravail peut s’avérer un handicap.

Visio, boulot, ado

La crise COVID vient bouleverser les pratiques de travail : le télétravail devient obligatoire, chacun/chacune aménage son plus ou moins petit espace de travail à la maison ; on découvre les réunions Zoom, Teams, la pression de la webcam qui révèle son intimité… Mais surtout, parallèlement à la fermeture des entreprises, les crèches et écoles sont fermées. Il faut s’occuper des enfants, assurer la continuité pédagogique pour les plus grands : il n’est plus juste question de vérifier les devoirs, mais bien de s’assurer que l’enfant assiste et assimile. Le parent passe d’éducateur à enseignant, tout en devant assurer ses propres tâches professionnelles. Le partage des tâches domestiques et l’éducation des enfants, au sein des couples à double carrière, demeure très déséquilibré en faveur des hommes qui y consacrent trois fois moins de temps que les femmes sources IPSOS 2012 et 2019).

En février 2021, BCG et Ipsos avaient conduit une enquête : une majorité des répondants indique passer plus de temps à effectuer des tâches domestiques (50%), à encadrer le travail scolaire des enfants (46%) ou à accompagner ou récupérer les enfants (44%), des tâches qui sont majoritairement réalisées par les femmes. Près de la moitié des hommes déclarent toutefois faire plus de tâches par rapport à avant la crise. Les femmes sont aussi plus pénalisées que les hommes en télétravail. Elles sont 1,3 fois moins nombreuses à disposer d’un espace de télétravail isolé, et 1,5 fois plus fréquemment interrompues en travaillant depuis chez elles. Les femmes sont aussi plus nombreuses à se sentir anxieuses (50% des hommes contre 66% des femmes). 34% des femmes interrogées indiquent être sur le point de craquer ou proches du burn-out, contre 28% des hommes.

Les temps sociaux, marqueur des inégalités hommes-femmes

Les temps sociaux sont les temps de travail et les temps « non travaillés » : travail domestique, loisirs, les temps vie variant notamment selon la situation familiale, la culture, la zone de vie ou encore l’éducation. L’articulation des temps sociaux est conflictuelle, puisqu’elle peut opposer les engagements personnels et les engagement familiaux. Même si cette articulation concerne les deux sexes, la recherche considère que ce sont davantage les femmes qui sont concernées par cette question. L’enjeu pour elles serait de faire un arbitrage temporel, en termes de gestion de leurs temps sociaux, d’une part, et un arbitrage social qui concerne les choix à effectuer entre les responsabilités familiales et les prérogatives professionnelles. L’industrialisation et l’organisation scientifique du travail avaient créé un système dichotomique, une nette séparation entre temps de travail et temps non-travaillé. Mais les nouvelles formes d’organisation, la tertiairisation, la mondialisation du travail et l’accès à l’instruction, pour ne citer que ces quelques évolutions structurelles, avait rendu obsolète cette séparation. Alors que les générations X et les suivantes appellaient à un rééquilibrage des temps sociaux, à la reconnaissance de nouvelles formes de travail (salarié et auto entrepreneur, télétravail), au développement de nouvelles pratiques sociales innovantes (crowdfounding, crowdsourcing, plateformes d’entraide…), la crise du COVID-19 a mis un coup de frein à se rééquilibrage. Si le télétravail s’est imposé et s’avère plutôt plébiscité par les salariés dans un modèle mixte entreprise-domicile, l’environnement dans lequel il s’applique doit être considéré afin de ne pas devenir un outil de management à double tranchant pour l’égalité hommes-femmes.

Elizabeth Couzineau-Zegwaard

Références

Abdessamad Rhalimi. Articulation des temps sociaux des femmes cadres au Maroc : quel rôle pour la grh ?. 2018. ffhal-01839321

Barbier, P., Fusulier, B. & Landour, J. (2020). L’articulation des temps sociaux : une clé de lecture des enjeux sociaux contemporains. Les Politiques Sociales, 3-4, 4-8.

Cailleba, P. (2021). Leadership : vers la parité femmes-hommes. Futuribles, 440, 51-64.

[1] Secrétaire général des Nations Unies, António Guterres