Face au COVID et ses variants, les entreprises, mais aussi les universités et les écoles, ont dû revoir leurs modes de formation. Les enseignements sont devenus distanciels avec tout un cortège d’outils technologiques. Le métier de formateur a été bousculé, il a fallu désapprendre et apprendre à faire autrement, redéfinir les contenus et canaux de transferts de connaissances, interagir différemment et mettre de l’intelligence non seulement dans le fond, mais aussi dans la forme des formations ou des cours.
En parallèle, les apprenants du monde entier, qu’ils soient étudiants ou salariés, cherchent toujours autant dans cet univers digitalisé à tirer le maximum de ce moteur qu’est la formation, pour leur donner demain plus d’assurance dans leur profession. Ceci est particulièrement vrai pour ceux qui veulent travailler à l’export et qui doivent désormais s’adapter à un travail basé désormais sur l’hybridation. Les managers de demain devront maîtriser la langue du « digital » pour gagner en agilité et efficacité dans un monde VUCA : s’approprier les outils digitaux pour mieux communiquer à distance avec ses clients étrangers, échanger des contenus de qualité, proposer des solutions dématérialisées.
Retour d’expérience d’une formation MBA auprès de managers à l’international: organisation, créativité et ingénierie pédagogique
Nous avons abordé, dans un article précédent, l’EMBA Executive de l’Université Paris-Est, formation en Management Interculturel auprès de managers chinois expérimentés et en activité, effectuée principalement à distance depuis un an pour cause de COVID. Dans ce contexte difficile qui perdure en Chine, la contrainte de la crise sanitaire oblige les équipes de formation à s’adapter pour maintenir l’attractivité des cours.
Après un an de formation à distance en contexte interculturel, quel retour d’expérience peut-on faire ?
- [1] Bien sensibiliser et préparer le formateur dans son activité à distance: le corps professoral doit faire le nécessaire pour que l’environnement permette un déroulement optimal de la formation et l’atteinte de ses objectifs pédagogiques (1). Au-delà des outils de communication à distance, « l’intervenant » doit optimiser ses ressources pédagogiques (supports, matériels, cas) et former un tandem avec le traducteur chinois basé en France. Le cours est en anglais, mais au même titre que dans les échanges commerciaux, il est important de disposer d’un traducteur qui puisse préciser ou clarifier certains contenus du cours. Un vrai travail d’équipe doit donc s’opérer pour s’adapter aux spécificités et aléas de l’organisation. Outre cette coordination, il importe aussi de bien préciser les règles au départ, s’assurer que les consignes sont claires et comprises. Ne pas hésiter à afficher les consignes complètes sur son support de formation projeté ou dans le « chat ». Enfin, il s’agit aussi de rassurer son auditoire sur la communication du cours qui revêt deux principaux formats : un format synchrone, créatif, captant l’attention (étude de cas, témoignages, exemples, anecdotes, faits d’actualité), mais aussi un format asynchrone plus précis (capsules vidéos, retour d’expériences, grilles d’approfondissement) qui permet de mieux intégrer le cours et de revenir ainsi sur des parties essentielles (modèles théoriques, concepts clés, outils d’analyse, références académiques et professionnelles).
- [2] Réussir son « Ice Breaking »:les conseils à respecter pour réussir un « ice-breaker » en distanciel sont a priori les mêmes que pour une situation en présentiel, même si l’approche pédagogique demande davantage de concentration et de précisions : choisir le bon exercice au bon moment (« momentum »), faire preuve d’empathie, combiner engagement et souplesse, savoir impulser puis relancer, avoir la maîtrise du temps et de ses différentes modalités : temps d’apprentissage, temps contraint, temps plaisir, temps collectif, temps interpersonnel, temps personnel. Le formateur doit en effet savoir gérer des « temps multiples »(impulsion, modération, accélération, silence) pour conduire efficacement des formations à distance a fortiori en contexte interculturel.
À partir ce travail de préparation, il convient alors de se lancer, de tester et chercher ce qui peut le mieux convenir aux participants. Ainsi, lorsque vous présentez les travaux de spécialistes en Management Interculturel comme Geert Hofstede et ses 6 dimensions (on pourrait également citer Fons Trompenaars ou Edward T. Hall), il ne faut pas hésiter à solliciter les managers chinois sur l’appréciation de leur index, leur soumettre un quizz et les inviter à commenter dans le « chat ». De ces 6 dimensions, viennent en effet des points de vue riches d’enseignement et qui ne sont pas pour autant unanimes, et qui demandent d’être discutés. Des apprenants venant de zones géographiques spécifiques, mais aussi d’organisations diverses par la taille ou le secteur, peuvent avoir des avis parfois différents. C’est par exemple le cas pour notre MBA, avec la gestion d’apprenants venant à la fois de Pékin et de Shanghaï, dont les cultures et traditions s’avèrent très différentes en termes de pouvoir (politique vs économique), de cultures (financière vs artistique) et d’art de vivre (rigueur et discrétion versus distraction). De même, le dirigeant d’entreprise de taille moyenne n’aura pas la même appréciation que le cadre dirigeant d’une grande institution dans son rapport aux risques et sa tolérance à l’incertitude. La mise en lumière de ces différences, avec les index des autres pays et zones géographiques, peut ainsi favoriser les échanges et discussions et produire de nouvelles connaissances tant sur le plan culturel que managérial.
Toujours dans le même esprit, lorsque des cas d’entreprises (mises en situations managériales) sont traités, le formateur peut partager son expérience et ses observations dans le cadre de de situations conflictuelles en négociation interculturelle. Il est alors intéressant de pousser les apprenants managers à se prononcer sur les raisons de ces conflits (conflits de valeurs, d’intérêts, d’objectifs…) et à y trouver des solutions pertinentes et réalistes. Il s’agit ici de mettre de côté sa propre culture en prenant conscience des limites et des risques de l’ethnocentrisme, pour regarder le problème à travers le prisme de l’interculturalité. Le formateur ne devra pas hésiter à interpeller le public par des questions directes ou indirectes, en suscitant autant que possible le débat, la controverse, et en laissant aux apprenants le temps de répondre, quitte à y revenir dans une prochaine session pour prolonger la réflexion, en ayant notamment recours à des formats asynchrones.
- [3] Gagner en impact avec de l’ingénierie pédagogique : cette étape est cruciale car elle pose la question de l’impact de la formation sur les apprenants. Nous avons dans ce domaine eu recours à plusieurs travaux de recherches en sciences de gestion et du management en lien avec la recherche en management international (1 et 2), afin d’assurer un fondement solide sur le plan scientifique et permettre des comparaisons interculturelles qui limitent toute forme de préjugés et de jugements de valeur. Dans ce domaine, il convient aussi d’innover dans la communication et la transmission des savoirs, en proposant par exemple des vidéos courtes (capsules vidéos) avec des contenus clairs, facilement mémorisables qu’il est possible de visionner à différents moments en fonction des questions posées.
Conclusion
En conclusion, la diversité de stimulation ne doit pas se confondre avec la multiplication des outils et artifices numériques. L’offre est large, couvre de nombreux besoins et impose un travail amont de sélection et d’ingénierie pédagogique, où la complémentarité des équipes pédagogiques peut être un avantage déterminant (gestion du couple « professionnel-académique », relation « praticien-chercheur »), en vue de produire une offre nouvelle, différenciée qui n’existe pas encore sur le marché et qui répond précisément aux attentes et besoins du public visé (absence de standardisation).
Pour y parvenir, il convient de partir du besoin pédagogique puis de comparer les outils et de retenir les mieux adaptés, en fonction de la thématique, du profil des apprenants, du contexte professionnel et organisationnel et de la taille des promotions. N’oublions pas en effet que ce n’est pas l’outil qui détermine la technique pédagogique mais bien l’inverse.
Olivier Meier et Eric le Tallec
(1) Eric Le Tallec fait partie du corps professoral de l’EMBA Executive, co-dirigé par l’Université Paris Est et l’Université de Tsinghua, et composé d’enseignants-chercheurs (PR et MCF) et de praticiens (dirigeants et managers). E. Le Tallec est consultant formateur à l’international et dirigeant de CB2i Consulting, cabinet de conseil en développement international sur des zones géographiques diverses et notamment en Europe et en Asie. Le cabinet intervient auprès d’entreprises de toutes tailles et propose des formations sur mesure pour développer les compétences interculturelles de leurs équipes.
Références
Meier O. (2019), Management interculturel, 7ème édition, Dunod.
Barabel M., Meier O. (2020), Le grand livre de la Formation, 3ème édition, Dunod.
Eric le Tallec (2020) « gestion de projet dans un cadre interculturel (France, Japon, Allemagne) », séminaire Observatoire ASAP.
Eric le Tallec (2021), « les bénéfices d’un travail hybride (en présentiel et distanciel) pour mieux travailler avec des partenaires étrangers », séminaire Observatoire ASAP.