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Penser l’après COVID-19 : l’innovation comme levier stratégique ?

Quel sera l’impact de la crise de la COVID-19 sur l’innovation ? Les crises antérieures, et en particulier la crise de 2008, peuvent-elles éclairer sur les effets probables de la crise COVID-19 sur l’innovation ? La crise COVID-19 partage deux similitudes significatives avec la Grande Crise Financière de 2008 (GCF). Tout d’abord, les deux ont été, ou sont des chocs exogènes aigus plutôt que des fluctuations du cycle économique. Deuxièmement, les deux ont affecté les entreprises par la réduction forte des liquidités – disponibilité de financement pour la crise de 2008 et réduction du chiffre d’affaires pour la crise COVID-19. Dans les deux cas, la rigueur financière force les entreprises à prendre des décisions stratégiques rapides concernant les domaines de dépenses et les économies potentielles. S’en tenir aux similitudes revient à occulter deux aspects significativement différents de la crise COVID-19 par rapport à la crise de 2008 : tout d’abord l’environnement des entreprises s’est considérablement digitalisé avec la montée en puissance du Big Data, des outils et technologies rapides de communication et du développement des objets interconnectés, entraînant déjà des différences dans les niveaux de capacités d’innovation et d’adaptation aux évolutions ; deuxièmement, la crise COVID-19 est une crise sanitaire qui a vu la mise en place du confinement et des couvre-feux, nécessitant l’adoption de nouvelles pratiques au sein des entreprises, du grand groupe à la start-up, et le développement de nouveaux comportements des consommateurs.

Du point de vue de l’intervention publique, la crise de 2008 a permis la mise en lumière de l’intérêt des réseaux d’innovation, des clusters et autres systèmes de soutien locaux ou nationaux à l’innovation. La gestion de la crise des sub-primes est une gestion budgétaire et économique. La crise de la COVID-19 en revanche montre la nécessité de l’intervention de l’Etat sur l’urgence, humaine et sanitaire, et économique dans le déblocage de fonds de soutien aux divers secteurs.

Une crise économique et sanitaire

Une lecture des recherches portant sur les crises majeures, telles que les catastrophes naturelles et les épidémies, et la façon dont les organisations survivent offre des aperçus utiles (Zahra 2021). Les crises financières (par exemple, la crise financière mondiale de 2008) et les épidémies (par exemple, la peste, la grippe espagnole, l’Ebola et le SRAS) ont ravagé de nombreux pays et affecté des millions de personnes, détruisant de nombreuses entreprises petites et grandes, à l’échelle mondiale. Il a fallu des années à certaines économies pour se redresser, mais d’autres ne l’ont jamais fait. Contrairement à certaines crises récentes, la crise de la COVID-19 est une crise de santé chronique aux multiples dimensions. En tant que crise mondiale de santé publique, elle a entraîné la fermeture d’entreprises et l’obligation pour des millions de personnes de rester chez elles pendant des mois. Les effets de la COVID-19 sur l’économie mondiale sont encore loin d’être parfaitement connus. Le coût de la COVID-19 en termes de vies humaines est énorme. Au moment de la rédaction de cet article, selon les données de l’Organisation mondiale de la santé, plus de 146 millions personnes dans le monde ont contracté la COVID-19, entraînant plus de 3 millions de morts décès; les chiffres continuant d’augmenter, parallèlement au déploiement des vaccins. En outre, les données de l’Organisation internationale du travail (2021) suggèrent que les incertitudes créées par la COVID-19 pourraient entraîner la perte de la moitié de la main-d’œuvre dans le monde. Ils estiment également que 1,6 milliard de personnes opérant dans «l’économie informelle» ont des difficultés considérables pour gagner leur vie. Des millions d’autres ont perdu leur emploi, ont été licenciés ou mis en congés ou chômage partiel sans perspective claire de retour au travail. Ces changements font de la COVID-19 une crise de sécurité nationale que de nombreux pays doivent également affronter pour protéger la richesse et le bien-être de leur population. Ainsi quand et comment vont redémarrer les économies nationales restent des questions incertaines, l’arrivée de variants et d’autres éléments de surprise de la COVID-19 perturbant les prévisions.

Des changements structurels

La  COVID-19 a déjà apporté des changements majeurs qui auront un impact profond sur les entreprises pour les années à venir, au niveau national et international. Les épidémies ont cet effet (Wright 2020) : elles changent la façon dont les gens vivent, pensent, transigent et organisent leurs sociétés. Les plus importants de ces changements apportés à ce jour par la COVID-19 sont les suivants: la déstabilisation des institutions établies, le remodelage des chaînes d’approvisionnement mondiales, la perturbation des entreprises et des réseaux personnels existants et l’ébranlement du flux de connaissances, de capital technologique et d’idées. A cela s’ajoute le blocage des flux humains. Bien que chacun de ces changements puisse paralyser les activités commerciales des entreprises, leur effet conjoint est susceptible d’être encore plus dévastateur car ces changements sont interconnectés (Zahra 2021).

L’innovation – l’introduction de nouveaux produits, services et business – sera un élément essentiel de la reprise post-COVID-19. Les entreprises qui sont en mesure de soutenir leur activité d’innovation gagneront un avantage significatif dans toute reprise post-COVID-19. Les entreprises qui ont continué d’investir dans la R&D et l’innovation en (1) devenant plus efficaces et innovantes, (2) en s’adaptant plus facilement aux besoins changeants et aux exigences des fournisseurs, des consommateurs et d’autres parties prenantes, et (3) en améliorant leur résilience organisationnelle, ont pu maintenir leur compétitivité lors de la crise de 2008. Le maintien de l’innovation en période de crise peut être plus difficile dans les petites entreprises qui pourraient être durement touchées par les contraintes de liquidité d’après-crise. Toutefois, lorsque cela est possible, les PME bénéficient considérablement des investissements en R&D et en innovation, tant en termes de survie que de rentabilité. Les stratégies d’innovation et d’internationalisation restent des déterminants clés du rendement de l’entreprise.

Elizabeth Couzineau-Zegwaard et Nicolas Anne

Références

Wright, Lawrence. (2020). “Annals of History: Crossroads. A Scholar of the Plague Thinks That Pandemics Wreak Havoc—and Open Minds.” The New Yorker.

Zahra, Shaker A. (2021). “International Entrepreneurship in the Post Covid World.” Journal of World Business 56 (1). Elsevier Inc.: 101143. doi:10.1016/j.jwb.2020.101143.