Sociétal

Un projet de directive européenne sur le devoir de vigilance des sociétés transnationales attendu

Des avancées majeures pour la protection de la société civile et de l’environnement

La Commission européenne a publié le 23 février 2022 une proposition de directive imposant aux entreprises un devoir de vigilance en matière d’atteintes aux droits humains et à l’environnement. Cinq ans après l’adoption de la loi sur le devoir de vigilance des sociétés-mères et des entreprises donneuses d’ordre, la proposition de la Commission fait suite à l’annonce, en avril 2020, d’une directive sur le sujet par le Commissaire européen à la justice, Didier Reynders. Le Parlement européen avait également adopté à une forte majorité en mars 2021 une résolution appelant la Commission à légiférer.

Ce projet de directive de la Commission prévoit de contraindre les entreprises à mettre en place des mesures de prévention des atteintes aux droits humains et à l’environnement commises par leurs filiales, leurs fournisseurs et leurs sous-traitants directs et indirects. La directive s’appliquerait aux entreprises comptant plus de 500 salariés et un chiffre d’affaires annuel supérieur à 150 millions d’euros, aux entreprises de l’Union européenne employant plus de 250 personnes et réalisant un chiffre d’affaires net supérieur à 40 millions d’euros à condition qu’au moins 50% de ce dernier ait été réalisé dans un secteur identifié comme à risque (tel que celui de la mode, de l’agriculture, ou encore le secteur minier), et enfin à certaines entreprises actives dans l’UE mais établies dans des États tiers, lorsqu’elles dépassent les chiffres d’affaires indiqués ci-avant au sein de l’UE. Son champ d’application serait donc bien plus large que celui de la loi française sur le devoir de vigilance des sociétés-mères et des entreprises donneuses d’ordre adoptée en 2017, qui ne concerne actuellement que les grandes entreprises de plus de 5000 salariés en France, ou 10 000 dans le monde.

Ce texte vise à favoriser un comportement durable et responsable des entreprises tout au long des chaînes de valeurs mondiales. Il s’agit en effet pour ces entreprises de recenser, prévenir, faire cesser ou atténuer les incidences négatives de leurs activités sur les droits de l’homme et sur l’environnement. L’objectif de la directive et d’aller vers plus de transparence afin de renforcer la sécurité juridique pour les entreprises.

Des failles qui pourraient remettre en cause l’effectivité du devoir de vigilance

Selon cette directive, en cas de manquement, leur responsabilité pourrait ainsi être engagée, et elles pourraient être tenues d’indemniser les personnes affectées. Cependant, la proposition de la Commission repose largement sur l’adoption de codes de conduite par les entreprises, l’insertion de clauses dans les contrats avec leurs fournisseurs et le recours à des audits privés et à des initiatives sectorielles. Le renvoi à des mécanismes de soft law non contraignants rend ainsi ces mesures inefficaces. Les entreprises pourraient échapper à toute responsabilité en proposant des mesures en accords avec les objectifs de la directive a minima, mais surtout non contraignants. Seules des règles obligatoires et sanctionnables devant un juge permettraient l’effectivité de ces mesures de protection de la société civile et de l’environnement face à l’action des sociétés transnationales.

Par ailleurs, même si les entreprises pourront être tenues responsables en cas de dommage, le projet de directive de la Commission prévoit que la charge de la preuve repose sur les victimes, à qui il revient de démontrer que l’entreprise a manqué à ses obligations. L’action en justice des victimes serait ainsi possible pour les « dommages occasionnés qui auraient pu être évités grâce à des mesure de vigilance appropriées ». En outre, la possibilité aujourd’hui prévue par loi française de saisir le juge, avant tout dommage, afin qu’il enjoigne à une entreprise de respecter ses obligations de prévention, n’est pas explicitement envisagée dans la proposition de la Commission. Enfin, les atteintes à l’environnement prévues sont limitées à la violation de certaines normes de droit international limitativement énumérées dans une annexe.  Autant de failles qui pourraient remettre en question l’effectivité du devoir de vigilance des sociétés transnationales.

Le rôle des lobbies européens et entreprises individuelles qui militent pour des initiatives volontaires des entreprises en vantant le mérite des chartes éthiques et normes RSE semble ainsi avoir favorisé le choix pour des mesures de soft law plutôt que de contraindre les sociétés transnationales à un devoir de vigilance pleinement efficace à travers des mécanismes de sanctions devant les tribunaux.

Néanmoins, le droit souple peut ne pas être obligatoire mais peut être plus contraignant qu’une obligation juridique. Les contraintes ne découlent pas toujours de ces dernières. En effet, le droit n’est pas seulement caractérisé par la sanction mais également par le sentiment qu’ont les sujets de sa nécessité. Les acteurs ont conscience que la soft law peut imposer le respect d’une norme si elle naît d’un besoin collectif et est conforme à l’esprit dans lequel ils souhaitent intervenir. Il y a dès lors une liaison entre l’intérêt d’une norme et le consensus pour y parvenir, et ceci sans que la sanction juridique soit nécessaire.

Il revient désormais au Parlement et au Conseil de l’Union Européenne d’améliorer le texte.

Marine Fouquet

Références :

SOREL Jean-Marc, Le rôle de la soft law dans la gouvernance mondiale : vers une emprise hégémonique ?, Revue européenne du droit, mars 2021

Communiqué de presse de la Commission européenne, Une économie juste et durable : la Commission établit des règles relatives au respect des droits de l’homme et de l’environnement par les entreprises dans les chaînes de valeur mondiales, Bruxelles, 23 février 2022

Résolution du Parlement européen du 10 mars 2021 contenant des recommandations à la Commission sur le devoir de vigilance et la responsabilité des entreprises (2020/2129(INL))