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Collaboration entre secteur public et monde de l’entreprise. L’intelligence collective au service d’une stratégie industrielle

À quoi tient une bonne stratégie industrielle ? Surtout pas au facteur chance. Winston Churchill avait cette formule : « Ce que vous appelez la chance, j’appelle cela l’attention aux détails ». Rien n’est laissé au hasard dans une bonne stratégie industrielle. À commencer par une collaboration entre les acteurs du monde public et les acteurs du monde privé. Ces deux mondes vont devoir davantage travailler ensemble, car le monde VUCA (volatile, incertain, complexe et ambigu) est bien parti pour durer. Les secousses s’enchaînent depuis deux ans et préfigurent les pourtours d’un monde de plus en plus instable selon les économistes. Après une crise sanitaire, surgit une crise géopolitique majeure qui bouleverse la stabilité de modèles économiques qui semblaient jusqu’à présent peu touchés par les perturbations. Depuis deux ans et demi, l’indice VIX, qui mesure la volatilité des marchés, s’est installé entre 20 et 30 points, témoignant des inquiétudes constantes des investisseurs sur l’économie mondiale.

Complémentaires, les acteurs du public et du privé peuvent naviguer à vue et en équipes

 

Alors que les chefs d’entreprise vont devoir se mettre dans la peau de navigateurs, capables de naviguer à vue dans ces océans d’incertitudes, il faudra également s’assurer d’être bien accompagnés par leurs coéquipiers du secteur public pour parfaire les stratégies industrielles. Les courses de demain ne seront plus des courses en solitaire, mais plus des courses en équipes avec de gros enjeux socio-économiques. Les adversaires d’en face sont taillés pour des coupes de l’America et leurs modèles économiques dans certains secteurs clés sont de vraies Formules 1 des mers. Ces modèles économiques ont intégré dans leurs réflexions stratégiques de nombreuses composantes comme l’intelligence économique et une maîtrise de leur supply chain pour faire face à une météo peu clémente.

Alors pourquoi ces deux mondes, certes différents sur le papier, sont finalement très complémentaires et redoutablement efficaces ? Tout d’abord, l’assemblage donne matière à réflexion et invite les protagonistes à se poser les bonnes questions.  Ainsi, ces derniers peuvent s’accorder pour dire à un moment donné qu’une stratégie industrielle, c’est aussi l’art de dire non, soit choisir un nombre limité de combats que l’on peut gagner. La prospérité d’une entreprise, comme celle d’un pays, ne se construit pas systématiquement en faisant tout, mais au contraire en se concentrant sur ce qu’on sait faire mieux que les autres. Certains militent pour relocaliser des secteurs. Mais à quoi bon si on ne se pose pas cette question essentielle : dispose – t-on d’un réel avantage compétitif dans ce domaine ?

Ensuite, la crise sanitaire a mis en évidence l’efficacité des partenariats publics-privés mis en œuvre à l’extérieur de nos frontières. Le développement en un temps record de vaccins efficaces a ainsi reposé sur la capacité de quelques États à prendre des risques en finançant massivement, sans garantie de succès, plusieurs biotechs associés à de grands laboratoires privés. Les crises sont souvent sources d’opportunités et démontrent la capacité collective à surmonter la défiance réciproque, hélas trop souvent constatée dans notre pays, entre acteurs publics et privés.

Enfin, les acteurs du monde public invitent ceux du privé à mieux appréhender la notion de temps et être moins tournés sur des rentabilités à court terme. Car le temps est l’allié de la stratégie. Pour les Chinois et Japonais, la stratégie est même synonyme de temps long. Au Japon, le METI, puissant ministère de l’Économie, fondé en 1949, a souvent encadré les entreprises dans leur réflexion stratégique afin de favoriser le déploiement international de l’industrie japonaise dans le temps.

L’exemple de Taïwan, une coopération public-privé efficace et soutenue dans le temps

Pour étayer cette réflexion, prenons le cas d’un pays comme Taïwan, passé leader dans le marché des semi-conducteurs, produits au cœur de la digitalisation de l’économie mondiale. Comment un petit pays comme Taïwan, grand comme la Belgique, a pu développer un tel avantage concurrentiel ? Le gouvernement Taïwanais, conseillé par des acteurs du privé, dont certains ingénieurs formés à l’époque aux États-Unis, a fait le pari de développer le secteur des semi-conducteurs dans les années 80’s, une filière alors inexistante, parce que le pays était trop petit pour des industries plus lourdes.

Pragmatisme, d’autant que la parfaite entente entre le public et le privé va donner naissance à un écosystème structuré favorable à l’innovation et à l’essaimage de nouvelles entreprises spécialisées dans le domaine (Plus de 240). Les pouvoirs publics vont financer à hauteur de 70% le point de départ de cette nouvelle industrie, soit l’institut de recherche en technologie industrielle (Itri), qui se trouve à quelques centaines de mètres du fleuron national TSMC. Fondé par le Docteur Morris Chang dans les années 80, TSMC est valorisé aujourd’hui 540 Milliards d’euros et a vu con CA dépasser les 50 Milliards en 2021.

Tout un pays, du Nord au Sud de l’île, est désormais impliqué dans la filière et a tout mis en œuvre pour assurer le dynamisme de l’écosystème, le rendre agile face aux évolutions du marché et préserver un avantage concurrentiel sur les autres pays. Le parc de Hsinchu, à moins d’1 h 30 en transports en commun de Taipei, rassemble les meilleures entreprises de conception et de fonderies de puces électronique de Taïwan, ainsi que les meilleures universités et instituts de recherche. Cet effet de cluster est au cœur du modèle Taïwanais.

Finalement, nous notons donc que ce n’est pas la taille d’un pays qui fait sa force dans un secteur économique, mais une collaboration public-privé bien orchestrée et un effort soutenu dans le temps. On est toujours plus fort à deux que seul. Encore faut-il se comprendre, s’entendre sur les raisons d’agir ensemble et garder la foi dans le projet défini jusqu’à son terme. De cette entente est née une stratégie industrielle en adéquation avec les besoins du marché. On peut être un petit pays ou simplement une région du monde et participer néanmoins à une compétition majeure, version « coupe de l’America », face au reste du monde.

 

 

Eric le Tallec 

 

Références :

  • Robert Osei-Kyei, Albert P. C. Chan (2021), International Best Practices of Public-Private Partnership, Insights from Developed and Developing Economies, Springer
  • Saussier Stéphane (2015), Économie des partenariats public-privé, De Boeck. Collection : Méthodes & Recherches