Entretien mené par Elizabeth Couzineau-Zegwaard
Qu’est ce qui vous a conduit à vous présenter à la direction de Sciences Po ?
Permettez-moi de débuter en rappelant que nous connaissons tous le contexte qui a conduit à renouveler les instances de la Fondation Nationale des Sciences Politiques comme de l’Institut d’Etudes Politiques. Je ne m’y attarde pas. Mais je tiens simplement à ce qu’on n’oublie pas, comme la presse le fait trop souvent, que Sciences Po c’est aussi un corps social qui regroupe des professeurs, des personnels administratifs, des communautés et, bien sûr, des étudiants. Il faut donc d’abord leur rendre hommage, alors que la crise qui s’est enclenchée depuis janvier ne peut qu’avoir très profondément perturbé l’organisation. Les équipes qui œuvrent dans un tel contexte au quotidien à tenir vaille que vaille la barre méritent d’abord une véritable reconnaissance. Il n’est en effet jamais facile d’ouvrir le journal ou son ordinateur en se demandant quel ciel va à nouveau tomber sur la tête de cette institution qui vous tient à cœur et à laquelle vous donnez, tout en vous demandant de quoi le lendemain sera fait. Cela ne peut aussi que conduire à alimenter un certain sentiment d’injustice. Cela mérite d’être dit et d’être rappelé, alors qu’avec le décès de Richard Descoings et les moments difficiles traversés, la maison Sciences Po semblait être revenue à une situation apaisée.
Je poursuis avec un brin d’humour en reprenant la formule que j’ai écrite sur mon compte Twitter : « 20 ans après mon Doctorat et mon entrée dans l’enseignement supérieur et la recherche, je cherchais un poste cohérent avec mon expérience et mes compétences. A l’évidence Sciences Po avait le profil ». Si je dis un brin d’humour, c’est parce que finalement me porter candidat aujourd’hui à la direction de Sciences Po procède d’abord d’un sentiment d’urgence, voire d’un impératif. Les motifs sont multiples et justifient d’abord de revenir rapidement sur la transformation connue par Sciences Po. [Suite]
Quels sont les arguments en faveur de votre candidature ? Dans quelle mesure votre expérience de Professeur en Sciences de gestion, de rédacteur en chef d’une revue prestigieuses et de directeur de collection sont des atouts pour prendre la direction d’un Grand établissement dans l’enseignement supérieur ?
Il est toujours délicat d’évaluer les arguments en faveur de sa propre candidature puisque par définition on est juge et partie ! Je crois aussi avoir au moins en partie répondu à cette question en évoquant les raisons pour lesquelles j’ai souhaité me porter candidat. Il appartiendra donc à d’autres de juger si ces raisons sont légitimes et si elles correspondent à des arguments en faveur de ma candidature. Je préfère donc, si vous le permettez, me présenter de façon plus personnelle et laisser ensuite décider celles et ceux qui devront trancher entre différents profils de candidats.
A la fin des années 1990, j’ai réalisé ma thèse de Doctorat à la direction de la stratégie et gestion d’une grande entreprise française, Gaz de France, devenue ENGIE. J’ai travaillé sur la gouvernance et le management des groupes et en particulier sur le pilotage des relations siège filiales. Mes travaux de recherche depuis plus de vingt ans ont pour particularité d’articuler stratégie, gouvernance d’entreprise, pilotage, contrôle de gestion. J’ai eu la chance de pouvoir les débuter il y a plus de vingt ans au sein d’une grande entreprise publique, qui vivait une importante transformation : l’ouverture des marchés à la concurrence suite à la directive européenne qui libéralisait les marchés du gaz et de l’électricité. Je mesure encore aujourd’hui pleinement ma chance d’avoir pu travailler à 25 ans sur de telles questions de politique générale, à un tel moment et à un tel niveau.
Comment une entreprise publique française pouvait-elle devenir un groupe mondialisé, voilà qui finalement n’est pas si éloigné de ce que vivent depuis deux décennies toutes les institutions d’enseignement supérieur, y compris – surtout ? — Sciences Po… même si Sciences Po n’est évidemment pas une entreprise au sens traditionnel du terme ! Je suis en tout cas bien placé pour imaginer ce que cela a pu représenter en termes de transformation organisationnelle pour se mettre en ordre de bataille stratégique sous l’impulsion de Richard Descoings, dès la fin des années 1990. J’imagine en particulier les orientations et les décisions qu’il a été nécessaire de prendre, au plan du management, pour garder la maîtrise de son développement avec tous les risques bien connus, au plan national comme l’international : comment garder le contrôle quand on multiplie les campus et les accords ? comment s’appuyer sur ses compétences distinctives et son histoire pour ne pas risquer les dérapages incontrôlés ? Vous le voyez, autant de sujets qu’a eu à traiter la direction de Sciences Po ces vingt dernières années et que va bien évidemment devoir continuer à traiter la prochaine direction. Autant de sujets sur lesquels j’ai eu à d’innombrables reprises l’occasion de mesurer combien nos élites françaises sont insuffisamment formées à les affronter et privilégient toujours spontanément des démarches mimétiques sur les « champions » américains. [Suite]
Comment caractériser les forces et faiblesses de Sciences Po ? Pour vous, Sciences Po doit-elle innover ou au contraire retrouver ses fondamentaux? Qu’est ce qui manque, pour vous, aujourd’hui à cette école de renom ? Quelles sont vos solutions pour Sciences Po ? Comment positionner Sciences Po par rapport à l’Université, aux écoles de commerce et d’ingénieurs ? Concurrence, alliances stratégiques, coopétition, éco-système ? Avez-vous un slogan qui correspondrait à ce que vous attendez d’une Ecole comme Sciences Po ?
Sciences Po, son histoire, son identité, sa singularité, c’est plus qu’une force, c’est une compétence radicalement distinctive pour reprendre un concept de management stratégique. C’est un patrimoine immatériel sur lequel toutes les initiatives, dans tous les domaines, doivent capitaliser et dont l’entretien constitue en soi l’un des défis majeurs de Sciences Po.
J’ai évoqué nombre de forces de Sciences Po liées aux transformations des vingt dernières années, entre l’ouverture des divers campus du collège universitaire, les accords internationaux, l’internationalisation de l’Institut en conséquence. Sciences Po c’est évidemment aussi le développement des sept écoles que j’ai citées : Affaires Internationales (qui brille dans les classements internationaux pour la science politique), Affaires Publiques (directement impactée par la disparition de l’ENA et la création de l’ISP), école du journalisme, école urbaine, école du droit, école de la recherche, école du management et innovation. Une telle offre pluridisciplinaire fait de Sciences Po une institution parfaitement singulière dans le paysage national et même international. Et encore n’ai-je pas évoqué le réseau des anciens, dont nous connaissons tous la dimension par maints égards extraordinaire : quelle autre institution peut se prévaloir d’avoir vu passer sur ses bancs autant de décideurs de premier plan, dans toutes les sphères de tous les pouvoirs ? [Suite]