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La place de la motivation de service public (MSP) dans la gestion de la crise du Covid-19

La motivation de service public ou MSP traduit une volonté de se mettre au service de la société et d’autrui. Un consensus se dégage de la littérature, pour souligner ses effets positifs tant pour l’administration que pour les fonctionnaires. Pour autant, à notre connaissance, aucune recherche ne s’est intéressée à son influence lors d’un contexte de crise. Nous appuyant sur une recherche réalisée au Liban entre juin 2020 et mai 2021  par questionnaires auprès de 408 professionnels de santé, nous tentons d’apporter ici des éléments de réponse à ce manque. Nous cherchons également à étendre la validité externe de résultats académiques établis dans des contextes moins extrêmes.

Les médecins libanais sont décrits comme épuisés, mal équipés et sous-payés. Des milliers d’entre eux cherchent à émigrer, tandis que d’autres cherchent un autre emploi au Liban. Cette migration provoque une énorme pénurie médicale, ce qui aggrave la crise. Cependant, la MSP conduit un grand nombre de médecins à vouloir rester au Liban, même dans un contexte, où leur famille leur conseille de quitter le pays ou au moins de prendre des précautions dans l’exercice de leur métier. L’un d’entre eux énonce :

“Je ne pense jamais à émigrer ou à quitter mon travail […]. Nous devons concentrer nos efforts pour sauver le plus de vies possible.”

La MSP les conduit ainsi à accepter de sur-travailler, alors que leur rémunération reste basse. Un médecin énonce :

“Je n’ai pas pris de jour de congé depuis longtemps et je travaille des heures supplémentaires […] malgré la baisse des incitations financières et de mon pouvoir d’achat.”

Plus encore, la MSP les conduit à développer un haut niveau d’abnégation. Ce dernier se matérialise, à travers l’acceptation d’une mise en danger de leur santé, par une exposition auprès des malades, alors que les hôpitaux leur fournissent une protection minimale.  Ils n’essaient pas d’éviter le degré de proximité avec leurs patients COVID-19 lorsqu’il est nécessaire, d’être au plus proches de leurs malades, comme en témoigne cet autre médecin:

“Au cours de la première vague de la pandémie, le niveau de peur était très élevé. Alors j’évitais de dormir à la maison, je me tenais devant la maison pour voir mes enfants et ma femme qui sont sur le balcon, et je dormais dans une tente dans le jardin de la maison.”

Plus encore, leur abnégation les conduit à revenir travailler après avoir attrapé le Covid 19 :

“C’était en octobre 2020 […] et j’ai récupéré en novembre 2020. Quelques jours après mon rétablissement, j’étais de retour au travail avec un moral plus élevé, me sentant comme si j’étais devenue immunisée contre le virus.”

Nos entretiens établissent aussi que la crise du Covid 19 amène les professionnels de santé à s’engager dans leur travail avec un souci permanent d’utilité et de performance. Il y a ici une volonté de demeurer un professionnel au service de la population et de son employeur public :

Tout au long de mon travail, je n’ai pas ressenti autant de stress que pendant la pandémie. Malgré cela, ma performance n’a pas diminué. Non, ça s’est amélioré.”

“Ma motivation pendant la pandémie est plus élevée que lors de n’importe quelle période précédente de ma vie professionnelle.”

Ces résultats montrent que les professionnels de santé sont pleinement investis dans leur tâche. Insensibles aux incitations financières pouvant les amener à quitter le service public, ils s’investissent, sans compter pour la population. Leur abnégation comme leur compassion sont très élevées. Ces dimensions de la MSP constituent une ressource capitale pour leur employeur public. Elle permet au système de santé libanais de disposer de professionnels de santé désireux de s’investir et de palier le manque de moyens.

Il demeure que ce constat positif, qui retrouve les conclusions de la littérature doit être nuancée. En effet, si à court terme, on ne peut que se féliciter de l’existence de la MSP et de ses effets positifs pour les fonctionnaires et l’administration, une autre lecture de ces conséquences peut être faite. Une face plus sombre peut aussi émerger. Les travaux soulignent notamment que le sur-engagement professionnel peut se révèler à terme destructeur pour la santé. Il peut aussi nuire aux relations avec les collègues de travail comme avec des tiers.

C’est pourquoi il convient dans ce type de démarches, d’envisager les effets de la MSP, non pas uniquement à court terme mais également  à plus long terme, afin d’intégrer une perspective plus réaliste de cette dimension essentielle de la motivation des fonctionnaires.

François Grima et Nehme Naim

Références

Kim, S.; Vandenabeele, W.; Wright, B. E.; Andersen, L. B.; Cerase, F. P.; Christensen, R. K.; Desmarais, C.; Koumenta, M.; Leisink, P.; Liu, B.; Palidauskaite, J.; Pedersen, L. H.; Perry, J. L.; Ritz, A.; Taylor, J.; & De Vivo, P. (2013). Investigating the structure and meaning of public service motivation across populations: Developing an international instrument and addressing issues of measurement invariance. Journal of Public Administration Research and Theory, 23(1), 79-102. https://doi.org/10.1093/jopart/mus027

Perry James L. and Wise Lois Recascino (May 1990). The Motivation Bases of Public Service. Public Administration Review 50(3):367-373 • https://doi:10.2307/976618

Perry James L. (April 1997). The Antecedents of Public Service Motivation,  Journal of Public Administration Research and Theory. https://DOI:10.1093/oxfordjournals.jpart.a024345

Perry James L. et al (March 2008). Building Theory and Empirical Evidence About Public Service Motivation. International Public Management Journal, 11:1, 3 – 12. DOI: 10.1080/10967490801887673