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Les réponses individuelles aux paradoxes : le rôle du lien entre émotions et cognition

Dans un monde marqué par une complexité croissante et une incertitude constante, les entreprises doivent faire face à des défis de plus en plus contradictoires. Les avancées technologiques rapides, la mondialisation, les fluctuations économiques et les crises environnementales sont autant de facteurs qui créent des environnements dynamiques et imprévisibles[1]. Étudier les paradoxes permet de comprendre comment les organisations peuvent naviguer ces complexités et équilibrer des exigences souvent opposées.

Qu’est-ce qu’un paradoxe ?

Un paradoxe est une situation où des demandes, des objectifs ou des éléments contradictoires coexistent de manière simultanée et persistante. Ces contradictions sont souvent irréconciliables à première vue et peuvent sembler logiquement incohérentes. Dans le contexte organisationnel, un paradoxe peut se manifester par des attentes conflictuelles qui doivent être satisfaites en même temps, créant des défis à la fois cognitifs et émotionnels pour les individus[2]. Un exemple de paradoxe est le besoin pour une entreprise d’innover tout en maintenant l’efficacité opérationnelle. L’innovation implique souvent de prendre des risques et de consacrer des ressources à des projets incertains, tandis que l’efficacité nécessite la stabilité, la prévisibilité et la minimisation des risques. Ces deux objectifs sont contradictoires mais doivent être poursuivis simultanément pour assurer le succès à long terme de l’entreprise[3].

Les tensions paradoxales issues de ces demandes simultanées et contradictoires persistantes, posent des défis cognitifs et émotionnels aux employés. Cette recherche se concentre sur la manière dont ces deux dimensions se combinent pour générer des réponses individuelles variées, contrastant avec les études antérieures qui se limitaient souvent à des analyses séparées des émotions ou de la cognition.

Méthodologie et Résultats Principaux

Notre étude publiée il y quelques semaines dans le journal académique M@n@gement[4] repose sur une analyse qualitative des réponses de 60 employés d’une organisation mondiale, recueillies sur une période de deux ans. Nous avons identifié deux mécanismes qui expliquent la relation entre la cognition et les émotions dans les réponses aux paradoxes : la réponse non régulée et la réponse régulée.

  1. Réponse non régulée : Lorsque l’évaluation cognitive de la difficulté de gérer les tensions paradoxales génère une réaction émotionnelle sans perception de rôle de leadership. Par exemple, si une tension est perçue comme gérable, cela engendre de la confiance en soi et une tendance à transcender le paradoxe. En revanche, si la tension est perçue comme difficile à gérer, cela conduit à de la frustration et à une tentative de redirection des responsabilités.
  1. Réponse régulée : Lorsque l’évaluation cognitive intègre la perception de responsabilité de gestion des tensions, les émotions sont régulées et orientent vers des réponses plus constructives et transcendantes. Par exemple, la perception de soi en tant que leader peut transformer la frustration en une motivation à gérer activement les paradoxes en éduquant, motivant et alignant les membres de l’équipe.

Implications

Les résultats montrent que l’articulation entre les évaluations cognitives et les émotions peut expliquer les variations des réponses individuelles aux paradoxes. Les émotions, qu’elles soient positives ou négatives, peuvent toutes deux conduire à des réponses actives et potentiellement vertueuses. Par exemple, même des émotions négatives comme la frustration peuvent pousser les individus à adopter des réponses plus holistiques et intégratives lorsqu’elles sont régulées par une perception de rôle de leadership.

L’étude[5] souligne l’importance de former les managers à reconnaître et à gérer les paradoxes de manière proactive, en insistant sur la nécessité de se percevoir comme des leaders capables de transcender les tensions. Cette prise de conscience et cette formation peuvent favoriser des cycles vertueux au sein des organisations, améliorant ainsi la performance organisationnelle.

Diana Santistevan, Linh Chi Vo et Anne-Sophie Thelisson

Références

[1] Dix principes pour penser dans le « monde complexe » d’Edgar Morin (latribune.fr)

[2] Le pouvoir du paradoxe : entretien avec Ivo Brughmans | Revue Gestion HEC Montréal

[3] À l’ère du travail hybride, de nouvelles « tensions paradoxales » apparaissent (theconversation.com)

[4] Santistevan, D., Thélisson, A. S., & Vo, L. C. (2024). Individual Responses to Paradox: The Articulation Between Emotion and Cognition. M@n@gement, e8402-e8402.

[5] Voir notre article publié dans la revue M@n@gement