70% des transformations échoueraient selon une étude menée par le cabinet de conseil McKinsey. Et pourtant, la plus importante de ce siècle, le travail confiné, réalisée par des dizaines de milliers d’entreprises a connu un succès quasi général. Elle a été menée sans préparation ou presque, et avec les moyens du bord. Elle s’est faite en quelques heures, au pire en quelques jours.
Le travail confiné : un projet à l’encontre des bonnes pratiques
Comment un succès aussi exceptionnel, bouleversant toutes les règles de gestion de projet a-t-il pu se produire ? Il n’est pas dans nos habitudes d’investir dans l’analyse de nos succès. Pourquoi en effet passer du temps à chercher ce qui a marché et se trouve déjà derrière nous alors même qu’il y a tant de sujets en cours à traiter dans l’entreprise ? Il ne faut pas non plus espérer trouver une réponse du côté des consultants. Cette transformation exceptionnelle s’est réalisée sans eux, très rapidement et avec succès. On ne peut que comprendre leur mutisme. Il n’est pas dans leur intérêt, au moins officiellement, d’investiguer sur des leviers d’action absents de leur offre (à commencer par leur accompagnement) ayant massivement permis de faire basculer le taux de réussite des transformations à un niveau d’excellence sur un projet hors normes. Le 1er constat qui peut être fait à l’aune du travail confiné est que les bonnes pratiques de gestion de projet ne sont pas « la » clé de réussite de ce type de transformation. Ceci n’est pas une découverte en soi. Les facteurs qui conduisent à un succès ou à un échec sont multiples. En revanche, que la quasi-absence de ces mêmes principes dans un contexte aussi exceptionnel n’ait pas été un frein critique pour les dizaines de milliers d’entreprises concernées est un constat majeur. Faire un lien de causalité entre cette absence des bonnes pratiques de transformations vendues par les consultants et la réussite du travail confiné serait des plus hasardeux. Ceci questionne malgré tout la valeur apportée aujourd’hui par des process d’accompagnement souvent très consommateurs en temps et en ressources diverses, d’autant plus avec des taux de réussite pas vraiment au rendez-vous, de l’avis d’un grand cabinet conseil. Le cas d’école « travail confiné » a donc beaucoup à nous apprendre. Dans un monde des grands groupes notamment, dont la plupart sont entrés dans des cycles de transformation permanents, investir du temps pour comprendre les raisons d’un tel succès serait loin d’être perdu. Pour que des entreprises aux profils aussi variés que possible réussissent toutes cet exploit, il a fallu utiliser des leviers inédits par rapport aux pratiques habituelles.
Passer de l’alignement à la transgression
Pour atteindre des résultats hors norme, il faut des pratiques hors normes. C’est bien ce que l’ensemble des entreprises ont fait par nécessité, en mettant de côté nombre de leurs règles et principes afin de pouvoir immédiatement continuer leur activité sans bureaux. Ne pas respecter les règles pour transformer a été étudié par la recherche. On le retrouve sous les vocables de déviance positive ou constructive ou encore transgression. Le 2ème terme est plus approprié dans le cas des transformations d’organisations. La déviance porte en elle une connotation trop négative alors même qu’elle se retrouve confrontée au sacro-saint alignement élevé au rang de valeur dans les grands groupes. Le transgresseur est en général une personne qui décide en responsabilité et en pouvoir de ne pas appliquer des règles afin d’apporter une valeur ajoutée supérieure à l’entreprise. Il les évalue concrètement comme des freins dans sa capacité à réaliser les transformations nécessaires. Dans le cadre du travail confiné, ce sont les organisations dans leur ensemble qui ont décidé de les transgresser. Ces règles incluent diverses procédures, normes, mais également des croyances ou encore des dogmes. En réalité, la transgression n’est pas tant de déroger aux règles que de lever des freins et des bloquants à la réalisation de l’objectif de transformation. Par exemple, beaucoup d’entreprises rejetaient le télétravail par principe. Dans une gestion de projet classique, ce dogme aurait tué dans l’œuf toute initiative sur le sujet. De même, les entreprises qui pensaient que certains métiers n’étaient pas « télétravaillable » ont vu leurs croyances tomber à l’épreuve des faits. Combien de freins les entreprises ont-elles dû lever pour réaliser cet exploit ? Dans un monde où désormais tout doit être codifié, normé, contrôlé, la liste est sans aucun doute très importante. Il est légitime de se demander si en 2023 il devient encore possible de réussir une transformation sans transgresser nécessairement les règles. La réussite d’un projet de transformation au XXIème siècle tient-elle à la qualité de la conduite du projet avec ses centaines d’indicateurs et ses multiples réunions de suivi et de coordination ? Ou bien dans la capacité de l’entreprise à identifier et lever rapidement les freins de tout ordre ? Les entreprises auraient tout intérêt à se questionner.