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Entretien d’Ingrid Caveri « l’évolution du métier de directeur éditorial » (2/2)

Interview d’Ingrid Caveri

Entretien mené par Olivier Meier

L’évolution du métier de directeur éditorial

4) Comment les relations avec les parties prenantes (par exemple, les auteurs, les annonceurs, les lecteurs) ont-elles évolué et comment cela a-t-il impacté le rôle de la direction éditoriale ?

Avec l’essor des réseaux sociaux et des avis de consommateurs en ligne, les « prises de paroles » des particuliers se sont considérablement multipliées, impliquant un accroissement des interactions entre le public et les marques. Pour une direction éditoriale, ces interactions impliquent deux choses.

  • D’une part, de devoir interagir (avec l’aide d’un community manager dédié le cas échéant) pour garder la main sur l’image de marque et l’e-réputation de son label.
  • De l’autre, de prendre en considération les questions soulevées par le public en les intégrant au cœur de sa stratégie éditoriale.

Traditionnellement, depuis le XIXe siècle, le paysage médiatique français intégrait dans chacun de ses médias un « courrier des lecteurs » reçu par les rédactions par voie postale, puis par mail.

Il faut considérer que le phénomène est aujourd’hui toujours le même, mais qu’il a en quelque sorte muté, via la toile et les internautes en version continue, visible, amplifiée et beaucoup moins maîtrisée.

La place du lecteur est donc beaucoup plus prépondérante et impactante quant à la direction d’une stratégie éditoriale menée.

Côté annonceurs, les rapports se sont également « amalgamés ». Les régies publicitaires ont dû revoir leur business model face à une chute drastique de la demande des annonceurs pour se positionner sur des espaces publicitaires papier. Et dans le même temps, le modèle économique des sites médias continuant à évoluer, les annonceurs occupent une place relative dans les encarts publicitaires en ligne qui leurs sont consacrés.

Une troisième voie se dessine donc dans la relation médias-annonceurs depuis ces dix dernières années : la création de pôles brand content intégrés (ou pas) au cœur des régies publicitaires (Le Figaro, Les Échos, Le Monde, Prisma, L’Express).

Ces agences digitales, éditoriales ou créatives internalisées permettent de générer des revenus supplémentaires pour les médias tout en étant dédiées à des univers des marques corrélés aux annonceurs gravitant autour d’elles.

On voit ainsi des directions éditoriales évoluer vers de la collaboration professionnelle ou du service de « conseil éditorial » dédié aux univers de marques (banque, assurance, automobile, luxe, fashion, en particulier).

Le phénomène est sensiblement le même, même s’il est plus récent, du côté des grands groupes d’édition qui commencent à créer des pôles partenariats pour générer de nouveaux revenus et relais de croissance (Tallandier, Flammarion, La Martinière).

Concernant la relation direction éditoriale-auteurs, celle-ci s’est également progressivement transformée.

Le marketing éditorial ayant conquis le cœur des stratégies de contenus, les productions ou livres de commande se sont progressivement imposés comme un modèle dominant. L’auteur répond à un besoin exprimé par la direction éditoriale et non l’inverse.

5) Comment l’intelligence artificielle et l’automatisation sont-elles en train de transformer le rôle de la direction éditoriale et la spécialisation du contenu éditorial ?

Depuis fin 2022, avec l’ouverture de l’accès du public aux IA (à grande échelle), leur utilisation suscite de vives polémiques dans le paysage médiatique. Certains y voient avec inquiétude une vive remise en question quant à l’avenir professionnel des agences, des journalistes, des éditeurs et des auteurs, et par voie de conséquence du travail des directeurs éditoriaux. Et beaucoup s’interroge à bon escient sur les questions associées à la qualité et à la fiabilité des contenus dans un tel contexte.

Je crois profondément à la vertu du temps pour pouvoir appréhender la question plus justement, car nous vivons une petite révolution qui mérite d’être observée avec recul pour bien pouvoir l’analyser. Je reste toutefois convaincue que malgré un contexte anxiogène, de belles perspectives métiers nous attendent et que les IA restent une opportunité pour peu qu’elles restent un outil bien encadré par les Hommes. Quand et où les utiliser ? Quand et où ne surtout pas l’utiliser ?

Bien sûr, les usages et les pratiques vont évoluer, mais les IA ne sont rien sans la cervelle grise d’un humain qui saura savamment la prompter, y mettre sa créativité et rester responsable et éthique (quant à la qualité et la véracité), dans le cadre législatif fixé.