Si parfois la faillite peut être un événement soudain ou imprévisible (on peut citer par exemple la mort d’un dirigeant au sein d’une TPE), elle est la plus souvent la résultante de difficultés plus ou moins fortes qui conduisent in fine à la disparition de l’entreprise. Ce premier propos se donne pour objectif de montrer que les chemins de faillite sont divers mais peuvent être regroupés en un petit nombre de trajectoires types.
Les trajectoires de faillite : premiers travaux
En se basant sur l’organe de direction et les choix (erreurs) de gestion, d’Argenti (1976) distingue trois types de trajectoires de faillite. La première est celle des start-ups échouant en raison d’un management défaillant (en termes de compétences et de personnalité), ces start-ups dépassent rarement une durée de vie de 5 ans. La deuxième met en évidence des jeunes entreprises (moins de 10 ans) qui ont subi un violent déclin suite à une croissance trop rapide et à l’incapacité des dirigeants à adapter leurs méthodes de management pendant cette phase de croissance. La troisième trajectoire est celle caractérisant les firmes arrivées à maturité mais qui n’ont pas su s’adapter au changement de l’environnement.
L’approche d’Argenti (1976) comporte deux limites. La première tient dans la notion de santé financière qui n’est pas « mesurée » par des indicateurs comptables. La seconde tient dans l’importance donnée aux erreurs de management. En revanche, l’intérêt majeur de l’approche est qu’elle met en évidence des symptômes plus ou moins précoces de l’échec au travers d’indicateurs clefs (chiffre d’affaires, performance économique, dette…).
Vers une approche unifiée et globalisante
L’approche la plus unifiée est celle de Crutzen et Van Caillie (2007, 2010) qui réconcilient les approches financière et organisationnelle. Toute entreprise évoluant vers la faillite passe par plusieurs étapes chronologiques même si l’origine des difficultés est diverse selon la taille, l’âge et le secteur. Dans une première étape, l’entreprise connait des déséquilibres. Après une période variable, les symptômes de défaillance apparaissent dans les indicateurs financiers (étape 2). L’entreprise est engagée dans une spirale négative -diminution de la liquidité et de la méfiance des prêteurs- (étape 3) pour finir à la reconnaissance de la cessation des paiements.
L’approche de Crutzen et Van Caillie (2007, 2010) a pour objectif de mettre en évidence la dynamique de la faillite et de déterminer les points d’inflexion sur lesquels il faut intervenir pour redresser la situation face aux difficultés auxquelles les entreprises font face.
Que tirer de tout cela ?
Premièrement, la faillite est un phénomène dynamique qui se traduit par plusieurs étapes. Deuxièmement, ces étapes se traduisent par une dégradation des indicateurs qui ne sont que des symptômes. Lorsque ceux-ci apparaissent et deviennent plus marqués, il est souvent trop tard pour redresser la situation. L’entreprise entre alors dans une procédure collective.
Les coûts de faillite : une réalité plurielle
On distingue traditionnellement dans la littérature deux types de coûts : les coûts directs et indirects.
Les coûts directs
Les coûts directs sont constitués par les frais des mandataires de justice et les frais d’inventaire de greffe. D’autres éléments sont à incorporer à ces coûts tels que ceux perçus par le commissaire à l’exécution du plan. Ces coûts représentent de 1 à 10% de la valeur de la firme.
Les coûts indirects
On peut distinguer cinq types de coûts indirects.
Lorsqu’une entreprise est en Redressement Judiciaire, les clients de cette dernière peuvent chercher à rompre leurs relations commerciales de peur de ne plus être approvisionné et de ne pas bénéficier d’un Service Après-Vente (SAV). La crainte de difficultés futures fait fuir les clients ce qui induit en retour une difficulté croissante pour l’entreprise en Redressement Judiciaire.
Le deuxième coût porte sur l’attitude des fournisseurs. Face la difficulté d’un client dans une situation de Redressement Judicaire (qui dans plus de 90% des cas conduit à la Liquidation Judicaire) les fournisseurs réduisent leurs délais de paiement car, en cas de liquidation totale, en raison de leur position défavorable dans l’ordre de priorité dans le remboursement des créanciers, ils risquent de ne pas voir leurs créances honorées. Là encore, cette anticipation rajoute aux difficultés des entreprises en Redressement Judiciaire.
Le troisième tient dans l’attitude du personnel. En effet, dans un Redressement Judiciaire, on assiste très souvent à des licenciements qui traduisent un double coût : celui d’une perte de compétence et une perte de motivation des salariés restant dans l’entreprise. Ce départ des meilleurs salariés est d’autant plus préjudiciable pour l’entreprise en difficulté que ce personnel est indispensable à sa sortie de crise.
Le quatrième coût est appelé par les américains fire sale (vente précipitée d’actifs). En effet, face à l’obligation de trouver du cash pour payer leurs créanciers, les entreprises vont désinvestir dans la précipitation ce qui les conduit à vendre leurs actifs à un prix inférieur à leur vraie valeur.
Le cinquième coût est lié à l’asymétrie d’information et au risque. En effet, le dirigeant a non seulement une information privilégiée comparativement aux actionnaires mais aussi tient essentiellement son bien être de sa position dans l’entreprise alors que les actionnaires ont une richesse plus diversifiée (notion de risque). En raison de ces caractéristiques, les dirigeants vont chercher soit à retarder la faillite pour préserver leurs avantages (alors même que tout redressement est impossible), soit à extraire des avantages importants avant leur mise à l’écart (opération de cashing out).
Les coûts indirects, qui préexistent aux procédures collectives, peuvent représenter jusqu’à 20% de la valeur de la firme.
Au final, l’ensemble des coûts sont inversement proportionnels à la taille de l’entreprise, ne sont pas supportés de façon identique par tous les acteurs en fonction de la règle de priorité et de la législation en vigueur.
Conclusion
La fin du quoiqu’il en coûte et la crise énergétique vont enclencher de nouvelles trajectoires de faillite et les coûts qu’elles engendrent. Une meilleure compréhension des dynamiques de faillite est nécessaire afin de pouvoir traiter de façon efficace les difficultés des entreprises afin de mieux en prévenir les coûts.
Eric Séverin et David Veganzones
Bibliographie
D’ Argenti J., (1976). Corporate Collapse: The causes and symptoms, Halsted Press, New York.
Crutzen N., Van Caillie D. (2007). L’enchaînement des facteurs de défaillance de l’entreprise : une réconciliation des approches organisationnelles et financières. (No. halshs-00543111)
Crutzen N., Van Caillie D. (2010). Trois profils-types de petites entreprises en difficulté, working paper, 24p.