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Faillites en chaîne dans l’industrie des cryptoactifs : vers une meilleure régulation ? 

Depuis le printemps 2022, l’industrie des cryptoactifs traverse l’un des épisodes les plus importants de son histoire. L’écosystème Terra (comprenant le stablecoin[1] TerraUSD et la cryptomonnaie, Terra, appelée aussi Luna) s’est effondré brutalement en mai 2022, suite à une perte de confiance des investisseurs après le découplage entre le TerraUSD et le dollar[2]. Ensuite le fonds d’investissement Three Arrows Capital[3] et les Bourses d’échange Celsius[4], FTX et BlockFi[5] ont suivis et se sont successivement déclarées en faillite. Dans leur sillage, Genesis aussi pourrait se déclarer en faillite courant janvier 2023[6]. Dans le sillage des faillites de l’année, le bitcoin s’est effondré de plus de 65% de sa valeur en quelques mois, passant de 48.188 dollars le 28 mars 2022 à 15.459 dollars le 21 novembre 2022[7].

Chute du cours de FTX 

Le 8 novembre 2022, la cryptomonnaie FTT, détenue par la plateforme FTX, a chuté de 30 %, tombant sous les 16 dollars. Cette chute, initiée par une rumeur d’insolvabilité de la plateforme de trading FTX (Alameda Research), a provoqué un bouleversement sur le marché des cryptomonnaies avec une chute des principales cryptomonnaies, bitcoin et ether. La plateforme FTX, la deuxième plus grosse Bourse d’échange de cryptoactifs du monde, valorisée 32 milliards de dollars et qui détient majoritairement des FTT, était gravement exposée en cas de défiance des investisseurs.

Faillite de la plateforme FTX

Le 11 novembre 2022, la plateforme FTX a été placée en redressement judiciaire. Les actifs ont été gelés et les transferts de fonds rendus impossibles.

En outre, un piratage s’est produit le lendemain de l’effondrement de FTX, pour environ 450 millions de dollars de cryptomonnaies (415 millions selon FTX en janvier 2023 et 477 millions de dollars selon Elliptic[8], société anglaise fournissant des services d’analyse et de conformité dans le secteur des cryptomonnaies).

De manière analogue, la plateforme d’échange de cryptomonnaies Mt. Gox[9] avait été piratée en 2014 et subi une perte de 850.000 bitcoins, ce qui représentait environ 685 millions de dollars.

A ce jour, de nouveaux éléments sont révélés publiquement au fil des investigations. Sam Bankman-Fried, le PDG de FTX, a été inculpé pour fraude et blanchiment d’argent. Toutefois, nous ne connaissons pas entièrement les raisons de la faillite de FTX : à quoi est dû l’effondrement ? La fraude, le piratage, le mécanisme de prophétie autoréalisatrice, ou les 3 à la fois ?

Remboursement partiel de livrets comportant des cryptos bloqués

Coinhouse, première plateforme de cryptos française[10] enregistrée en tant que Prestataire de Services en Actifs Numériques (PSAN)[11] auprès de l’Autorité des Marchés Financiers, s’est résolue à bloquer ses 2.560 livrets cryptos devenus illiquides suite à l’effondrement de FTX[12]. Bien que n’ayant pas récupéré les livrets et les fonds, Coinhouse a proposé à ses clients en décembre 2022 un geste commercial consistant en un remboursement des avoirs prêtés bloqués dans la limite de 6.000 dollars, en échange de la signature d’un protocole d’accord intégrant une clause de confidentialité et une clause de renonciation par laquelle ils renoncent à toute action en justice ultérieure afin d’obtenir une indemnisation complémentaire.

De l’importance de détenir soi-même ses cryptomonnaies

Un wallet est un portefeuille dans lequel sont conservés les actifs, ie. les cryptomonnaies. Il existe des portefeuilles en ligne (« hot wallets ») ou portefeuilles « offline » (« cold wallets »). Lorsque l’on conserve des cryptos via un site d’échange centralisé (Centralised Exchange[13]) tels que Binance ou Coinbase, on transfère la responsabilité de la gestion (incluant le stockage et la sécurisation) de ses clés privées (grosso modo les mots de passe permettant d’accéder à ses cryptos) à un tiers.

Or, il existe des moyens de conserver ses clés privées sans passer par un intermédiaire, via des « hardware wallets », type Ledger ou Trezor[14], ou via des « software wallets », tels que Guarda Wallet, Electrum ou Exodus. Un hardware wallet présentera une plus grande sécurité qu’un software wallet, les portefeuilles sous forme de logiciel étant généralement connectés à Internet et davantage susceptibles d’être piratés.

Encadrement législatif et règlementaire

Suite aux nombreux effondrements successifs, plusieurs États et banques centrales cherchent à fixer un cadre réglementaire adapté au secteur des actifs numériques et notamment encadrer et surveiller les intermédiaires du secteur. De nombreux pays envisagent de renforcer leur arsenal juridique et fiscal en matière de cryptomonnaies, dont l’Italie, le Portugal, l’Inde, Israël, le Royaume-Uni et la France.

Autre inquiétude pour les régulateurs, plus grande encore peut-être que les intermédiaires : la finance décentralisée (ou DeFi)[15]. Les protocoles permettant les échanges décentralisés, dont nous avons parlé plus haut (Decentralised Exchange), sont au cœur de la DeFi. Le protocole Uniswap[16] est un des plus connus et enregistre un volume d’échanges quotidien de plus d’un milliard de dollars[17].

Si l’agence gouvernementale U.S. Securities and Exchange Commission peut empêcher jusqu’à présent les bourses centralisées de coter des titres non-enregistrés comme les crypto-actifs, voire réguler les plateformes tels que FTX ou Binance, il ne peut pas empêcher les détenteurs de crypto-actifs de négocier leurs titres sur une blockchain, via des échanges peer-to-peer (« de pair à pair »). Or, sans intermédiaire, la régulation n’est pas possible et cela favorise les transactions illicites.

En France, les crypto-actifs sont définies par le Code monétaire et financier. Les plateformes d’investissements qui proposent l’achat ou la vente de crypto-actifs contre une monnaie fiat sont considérées comme des “prestataires de services sur actifs numériques” (PSAN) depuis la loi PACTE[18]. Les PSAN existants et à venir doivent faire l’objet d’un enregistrement obligatoire auprès de l’AMF, qui vérifie notamment l’honorabilité et la compétence des dirigeants et bénéficiaires effectifs et le respect de la structure à la règlementation relative à la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. Une procédure d’agrément optionnel par l’AMF a également été instituée. La liste des PSAN enregistrés et/ou agréés est rendue publique sur le site de l’AMF, aucun PSAN n’a été agréé auprès de l’AMF à ce jour[19].

Au niveau européen, l’entrée en vigueur des règlements MiCA (Markets in Crypto-Assets) et TFR (Transfer of Funds Regulation) est attendue pour 2024. Ils instaurent un ensemble de règles communes au sein de l’Union européenne, auxquelles devront se conformer les courtiers et plateformes proposant des services en lien avec les crypto-actifs[20]. Ces derniers devront obtenir un agrément « CASP » (“Crypto Asset Service Provider”) pour pouvoir offrir leurs services au sein de l’Union Européenne et pour ce faire :

  • prouver l’honorabilité et la compétence des dirigeants et bénéficiaires effectifs ;
  • démontrer qu’ils disposent d’un système informatique résilient et sécurisé, d’un niveau suffisant de fonds propres, qu’ils ont une politique tarifaire claire et informent les clients de manière transparente sur les risques associés à l’investissement dans les crypto-actifs, ainsi que sur leur empreinte environnementale et climatique ;
  • recueillir certaines données sur le donneur d’ordre et le bénéficiaire des transferts de crypto-actifs qu’ils réalisent, notamment sur la nature de la transaction, son montant et ses contreparties, pour mieux détecter les éventuelles transactions suspectes et les bloquer ;
  • vérifier l’identité des utilisateurs pour toutes les transactions de plateforme à plateforme dès le premier euro ; pour les transactions de plateforme à portefeuille privé (y compris les hardware wallets), cette obligation s’appliquera à partir de 1000 euros[21].

A noter que la finance décentralisée (DeFi) échappe au périmètre d’application du texte, de même que les NFTs[22]. Des axes de règlementation sur ces sujets sont en cours d’élaboration par la Commission européenne.

Marie-Hélène Gostiaux

Mots-clés :

blockchain, cryptoactif, FTX, bitcoin, MiCA, TFR, Binance, DeFi, Uniswap, cryptomonnaies, NFT, PSAN

[1] Un stablecoin ou « cryptomonnaie stable » en français est une monnaie numérique adossée à une valeur-refuge comme le dollar américain ou l’or. Les stablecoins sont conçus pour réduire la volatilité par rapport aux cryptomonnaies non-adossées comme les bitcoins. Cela signifie qu’en principe, il peut être échangé à parité de « un pour un » via des plateformes telles que Coinbase. Le problème est que les affirmations de la société émettrice de Stablecoins peuvent être mensongères et les réserves de dollars être inférieures à la capitalisation (si le stablecoin repose sur des réserves de valeur). Un autre cas est celui des stablecoins algorithmiques, lorsque la valeur d’un actif numérique augmente ou diminue, un algorithme fait en sorte qu’elle retourne à l’équilibre avec la valeur-refuge, par un achat ou une vente de façon automatique afin de stabiliser les prix. https://www.coinbase.com/fr/learn/crypto-basics/what-is-a-stablecoin

[2] TerraUSD devait garantir une parité de 1 pour 1 avec le dollar américain. Ce qui n’a pas été le cas, entraînant ainsi une défiance à l’égard des stablecoins algorithmiques. En l’espace de quelques jours, la cryptomonnaie Luna qui figurait dans le top 20 des cryptomonnaies en termes de capitalisation (environ 40 milliards de dollars en circulation) est passée sous les 355 millions de dollars de capitalisation.

[3] https://www.coindesk.com/business/2022/12/02/three-arrows-capital-liquidators-seize-356m-from-singaporean-banks/

[4]https://www.lemonde.fr/pixels/article/2022/07/14/la-plate-forme-de-cryptomonnaie-celsius-se-declare-en-faillite_6134717_4408996.html

[5] https://www.bfmtv.com/crypto/en-faillite-depuis-un-mois-block-fi-devrait-rouvrir-les-retraits-pour-certains-utilisateurs_AV-202212200388.html

[6] « Crypto Firm Genesis Is Preparing to File for Bankruptcy » https://www.bloomberg.com/news/articles/2023-01-18/crypto-firm-genesis-said-to-prepare-bankruptcy-filing-as-soon-as-this-week?leadSource=uverify%20wall&sref=gu9RiAAZ#xj4y7vzkg

[7] https://www.boursorama.com/bourse/devises/taux-de-change-bitcoin-dollar-BTC-USD/

[8] https://www.elliptic.co

[9] https://www.bfmtv.com/crypto/bitcoin/la-saga-du-remboursement-des-clients-de-mt-gox-touche-a-sa-fin_AV-202210100326.html

[10] . La plateforme permet en particulier l’achat, la vente et la conservation de Bitcoin (BTC), Ethereum (ETH) et de plus de 50 autres crypto-actifs. https://www.coinhouse.com

[11] En matière de cryptoactifs, la loi PACTE a introduit en France un nouveau statut couvrant un grand nombre d’activités. Un acteur peut ainsi être considéré comme un prestataire de services sur actifs numériques (PSAN) s’il fournit au moins l’un des services sur actifs numériques mentionnés à l’article L. 54-10-2 du Code monétaire et financier. La conservation d’actifs numériques pour le compte de tiers et l’achat/vente d’actifs numériques contre une monnaie ayant cours légal doivent faire l’objet d’un enregistrement obligatoire auprès de l’AMF.

[12] https://www.lesechos.fr/patrimoine/placement/livrets-cryptos-les-clients-de-coinhouse-nont-pas-tout-perdu-1897764

[13] A l’inverse, on peut aussi réaliser des échanges décentralisés, c’est à dire de pair à pair sans passer par une plateforme d’intermédiation (Decentralised Exchange). Idéalement, si l’on part du principe que « le problème, ce n’est pas la crypto, ce sont les intermédiaires », ce type d’échanges devrait être privilégié.

[14] Ils prennent souvent la forme de clé USB ou de petits disques durs externes. Exemples : Ledger est une licorne française figurant parmi les leaders des cryptos et vend des hardware wallets. Trezor propose également des hardware wallets. Si un hardware wallet permet de conserver la clé privée d’un utilisateur hors du réseau, il permet aussi de réaliser des transactions (de cryptomonnaies, de NFTs…) lorsqu’il est connecté à un réseau avec un logiciel.

[15] « La finance décentralisée est une forme de finance basée sur la blockchain qui ne s’appuie pas sur des intermédiaires financiers centraux tels que des courtiers, des bourses ou des banques pour offrir des instruments financiers traditionnels, et qui utilise plutôt des contrats intelligents sur des blockchains, la plus courante étant Ethereum » en utilisant les échanges peer-to-peer entre individus. Il s’agit d’un « moyen d’échanger, d’acheter et de vendre avec peu d’intermédiaires et donc par théorie, d’éviter les fonds bloqués ou des frais non prévus à la base ou toute autre action qui impacterait les finances des propriétaires de fonds » (Définition Wikipédia)

[16] https://uniswap.org

[17] https://www.capital.fr/crypto/apres-laffaire-ftx-quel-avenir-pour-la-cryptomonnaie-en-2023-1455611

[18] LOI n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises

[19] https://www.amf-france.org/fr/espace-professionnels/fintech/mes-relations-avec-lamf/obtenir-un-enregistrement-un-agrement-psan#Liste_des_PSAN_agrs_auprs_de_lAMF

[20] Incluant les stablecoins

[21] Les transactions entre portefeuilles privés ne seront pas soumises à cette vérification d’identité. La vérification d’identité lors d’une transaction impliquant un portefeuille physique « hardware wallet » sera plus difficile car jusqu’à présent, il n’y a pas de collecte de données nominatives lors de la création d’un portefeuille physique. Bien entendu, en ce qui concerne la collecte des données nominatives, le Règlement général sur la protection des données (RGPD) s’appliquera cumulativement ; les CASP devront donc veiller à s’y conformer.

[22] Non-fongible token (NFT) ou jeton non fongible est « souvent présenté comme un titre de propriété, consigné dans un registre numérique public et décentralisé » grâce au protocole de la blockchain. (Definition Wikipedia)