Cet article expose les effets inattendus de la motivation du service public (MSP) sur les attitudes et comportements des fonctionnaires.
Si les travaux de recherche ont longtemps exploré les effets positifs de la MSP, progressivement de nouveaux travaux ont vu le jour sur sa face plus sombre.
Premièrement, la MSP mènerait à une satisfaction résignée qui traduirait un repli sur la sphère personnelle tant celle professionnelle rimerait avec insatisfaction.
Deuxièmement, des effets négatifs furent identifiées particulièrement en termes de santé ou d’intention de quitter la fonction publique. Cette dynamique destructrice est d’autant plus marquée que la personne a une forte MSP. Elle demeure au travail et ce même si sa santé se dégrade. Un désengagement du travail pour se protéger devient inenvisageable car il est perçu comme un renoncement personnel à ses valeurs et à une mise en danger de ses collègues comme des administrés. Ainsi, le fonctionnaire est plongé dans un cercle vicieux qui le conduit à limiter l’absentéisme à court terme mais à développer à long terme du stress ou à être victime de burnout. De plus, face aux difficultés à réaliser leur travail selon leur attentes sociétales élevées, les fonctionnaires peuvent envisager de réaliser des actions inattendues qui leur semblent légitimes pour pouvoir réaliser leur travail.
Progressivement, des propositions de soubassements théoriques sont apparues. Deux orientations se dégagent ici selon le degré d’adéquation entre la personne et son organisation.
La première s’attache à étudier la mauvaise adéquation entre la personne et son organisation. Deux grilles théoriques sont proposées : (1) la théorie de l’identité, (2) le contrat psychologique. Selon la théorie de l’identité, la MSP est comprise comme l’expression de l’identité des fonctionnaires. L’impossibilité de s’exprimer engendre un surinvestissement professionnel pour combattre ce déséquilibre identitaire, source de conséquences négatives pour les personnes. Selon la théorie du contrat psychologique, les fonctionnaires vivraient un non-respect de la réciprocité des engagements qui conduirait à un vécu de rupture du contrat psychologique, synonyme de satisfaction résignée. Le fonctionnaire peut se sentir dans un contexte organisationnel qui n’est pas conforme à ses anticipations, le conduisant à envisager de quitter la fonction publique. Le stress est puissant car le fonctionnaire constate qu’il ne contrôle pas un environnement non conforme à ses attentes. Il s’adapte alors en se retirant du travail.
La seconde est celle valorisant une adéquation entre la personne et son organisation. Le modèle ASA (attraction, sélection et attrition) est mobilisé. L’explication de la face sombre de la MSP provient ici d’un décalage temporel entre les raisons pour lesquelles les fonctionnaires sont devenus des serviteurs de l’Etat et ce qu’ils vivent maintenant. Ce décalage les conduit à devenir inflexibles et à s’opposer aux pratiques issues du nouveau management public.
Cette richesse conceptuelle ne doit pas cacher que la compréhension des conséquences négatives de la MSP reste pauvre sur sa dimension comportementale. Une voie demeure porteur prometteuse : celle de la « noble cause corruption ». Il s’agit de souligner qu’une survalorisation de la dimension compassion de la MSP peut conduire le fonctionnaire à questionner sa neutralité et à développer des comportements non éthiques au profit de publics qu’il perçoit en difficulté. Loin d’être de la corruption, ce comportement est l’expression de la formule « la fin justifie les moyens ». La déviance comportementale apparaît comme justifiée moralement. Ces développements récents témoignent de l’existence parmi les fonctionnaires d’une capacité d’agence mise au service de leur propre conception d’une action juste de l’Etat. La face sombre de la MSP s’exprime par une privatisation par les fonctionnaires de ce qui est juste ou pas dans l’action étatique.
La richesse de ce travail conceptuel invite la communauté scientifique à se saisir de situations précises pour proposer une connaissance contextualisée. Par exemple, la prise en compte des caractéristiques du travail, l’autonomie ou les comportements des supérieurs et des collègues, sont des éléments importants à intégrer dans l’analyse de l’étude des comportements inattendus.
En conclusion, le développement depuis plusieurs années de politiques inspirées du nouveau management public fait de la MSP un nouvel enjeu de ressources humaines. Ainsi, il convient d’approfondir la réflexion car la base de la légitimité de l’action étatique dans la société repose sur l’engagement de ses fonctionnaires. Ne pas comprendre leur MSP, peut conduire au développement d’ une hypocrisie organisationnelle tant le discours sur l’action de l’état pourrait être différent de ce que les citoyens vivraient au quotidien auprès de fonctionnaires développant des pratiques déviantes.
(1) Cet article prend appui sur un chapitre réalisé dans le cadre d’un ouvrage collectif rédigé par 40 membres de la section 06 du Conseil national des universités (CNU) de la mandature 2019-2023. La volonté des différentes contributions est d’éclairer les controverses en optant pour une vision réflexive, fondée sur le registre de la disputatio : une discussion entre pairs mobilisant arguments et contre-arguments. Mesurer, transmettre, s’interroger, explorer, se projeter, les différents chapitres du livre aborde des questionnements majeurs de tous les enseignants-chercheurs en sciences de gestion et du management et, plus largement, du grand public qui souhaite mieux appréhender la gouvernance du système universitaire.
Francois Grima et Irène Georgescu
Références
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Awan, S., Bel, G., & Esteve, M. (2020). The benefits of PSM: An oasis or a mirage?. Journal of Public Administration Research and Theory, 30(4), 619-635.
Georgescu I, Grima, F et Barreda M (2018) « From the dark side of Public Sector Motivation to the white side of Unethical Pro Organizational Behavior; the case of upcoding in a public sector hospital”. 19th congress of European Management, Rekjavik, June
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