politique

La fonction RH publique face aux faits religieux au travail

Limites de la loi, réaffirmation nationale et modalités de réappropriation

La problématique de l’application du principe de laïcité dans la fonction publique suppose une fine connaissance de la loi, un portage politique national et local, et de se donner les moyens de la réappropriation de ce principe à l’aide d’outils.

Le secteur public, pourtant juridiquement outillé, également concerné

« La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. » (Constitution française, 1958).

Constitutionnelle, la laïcité à la française est un principe consacré par la loi du 9 décembre 1905 et prévoit une séparation entre les églises et l’Etat. Son objectif principal est de permettre la liberté de conscience (croire ou ne pas croire, changer de religion, en quitter une pour ne plus en avoir, en rejoindre une) et de culte des français (pratiquer sa religion comme on le souhaite ou ne pas le faire).

Par ailleurs, pour garantir l’égalité de tous les citoyens face aux services publics, la laïcité implique également la neutralité des agents publics et de ceux qui portent une mission de service public. Très concrètement, les agents publics doivent donc s’abstenir « de manifester, dans l’exercice de ses [leurs] fonctions, ses [leurs] opinions religieuses ». Il s’agit en réalité d’un « savoir-être » essentiel aux agents, qui mettent à distance professionnelle une partie de leur identité, à des fins d’égalité.

L’on pourrait donc supposer que la fonction publique est relativement peu concernée par les comportements religieux au travail, mais plusieurs rapports montrent que la question des tensions liées à l’application du principe de laïcité y est également présente, en des formes parfois différentes que dans les entreprises qui appartiennent au secteur privé (e.g. relations des agents avec les enfants scolarisés, restauration scolaire, gestion des sépultures, vérification d’identité pour la délivrance de titres), mais également en des formes plus traditionnellement observées (e.g. prière, signes religieux, absences et aménagements horaires). Face à ce phénomène, des démarches nationales, et d’autres plus locales ont été mises en œuvre.

Une démarche nationale et pluriannuelle : réaffirmer les fondamentaux

Au plan national des initiatives émergente, portées à la fois par la présence accrue de thématique religieuse dans l’espace public et médiatique, et un rapport attestant de certaines difficultés à l’application du principe de la laïcité dans la fonction publique (cf. rapport Zuccharelli). Deux exemples : le plan national de formation « Laïcité et Valeurs de la République » qui a pour objectif de « clarifier » le principe de la laïcité et sa mise en œuvre ; ou encore la loi « confortant les principes républicains », publiée au journal officiel le 25 aout 2021, après avoir changé plusieurs fois de nom (ex projet de loi lutte contre les séparatismes).

S’agissant de la loi récemment entrée en application, celle-ci prévoit des mesures qui impactent directement l’environnement de la fonction publique, territoriale notamment. Ainsi, le contrat d’engagement républicain avec les associations financées, le statut dérogatoire de la scolarisation à domicile constituent deux éléments importants. Surtout, les collectivités territoriales doivent également et désormais veiller « à ce que ses salariés ou les personnes sur lesquelles il exerce une autorité hiérarchique ou un pouvoir de direction, lorsqu’ils participent à l’exécution du service public, s’abstiennent notamment de manifester leurs opinions politiques ou religieuses, traitent de façon égale toutes les personnes et respectent leur liberté de conscience et leur dignité ». Les collectivités deviennent ainsi des prescripteurs et des contrôleurs de neutralité. Certains ont d’ailleurs qualifié ce saut juridique d’extension du domaine de la neutralité.

Le plan national de formation et de sensibilisation part quant à lui d’un triple constat de méconnaissance, de relatif désintérêt et de difficultés de mise en œuvre du principe de neutralité. Il organise la formation de formateurs « labélisés » (2200 à ce jour en France), et fait le pari d’une (re)mise à niveau des agents publics, à l’aide d’un « kit pédagogique ». Plus fondamentalement, il pose la question de l’appropriation et de ses modalités. Certaines collectivités iront jusqu’à former la quasi-totalité de leurs agents, en adaptant le dispositif et en priorisant des approches par les situations vécues.

Des initiatives locales plus originales : construire la réappropriation

Au niveau plus micro, certaines initiatives montrent comment la fonction RH peut jouer un rôle pilote de la mise en application du principe de laïcité, à conditions d’être soutenue par la gouvernance, et de disposer de marges de manœuvre suffisante. Nous avons par exemple passé trois années au sein d’une collectivité territoriale, pour conduire un projet de réappropriation du principe de laïcité. Quelques mois après la fin de ce projet, nous faisons le bilan, et revenons sur trois grandes difficultés observées à notre arrivée, et proposons des outils pour y répondre.

La première difficulté est conceptuelle : dans une même collectivité, les agents ne comprennent pas le principe de laïcité de la même façon (pour certains il est un appel à l’accommodement de la pratique des agents, pour d’autre à l’invisibilisation, et pour d’autre encore, il est tout simplement incompris). Ici, la sensibilisation, notamment par une réinscription historique de la construction du principe de laïcité, en s’appuyant sur les crédits nationaux du plan Laïcité et VLR est l’outil à privilégier.

La seconde difficulté est managériale : l’on peut tout à fait, en tant que manager ou membre du service RH, être au clair sur la définition de la laïcité, et pour autant avoir des difficultés à transposer ses implications dans son quotidien. Ici, le rôle du service RH a été de recueillir l’ensemble des problématiques, pour les compiler, puis de confronter ces situations à la loi. En travaillant en partenariat avec un chercheur, et avec l’appui de (feu) l’Observatoire de la Laïcité, des réponses circonstanciées et juridiquement solides ont pu être construites puis « descendues » vers les managers. Un référent laïcité a été désigné, formé, et il anime un comité qui se saisi au besoin des problématiques rencontrées. A ce comité participent les organisations syndicales, la direction, et les élus au Personnel, aux Droits humains et à la Population.

Une troisième difficulté au niveau des outils : Même lorsque le principe est compris dans son ensemble, même lorsque la ligne managériale est sensibilisée, un inconfort peut parfois cristalliser les situations. Les raisons sont connues (cf. rapports annuels de l’Observatoire du fait religieux en entreprise) et ne se limitent d’ailleurs pas à la fonction publique : crainte d’être accusé de racisme, crainte d’exercer de discrimination, crainte d’un positionnement approximatif ou déjugé plus tard. Aux initiatives de formations et de sensibilisation se sont donc ajoutés plusieurs pratiques RH qui en quelque sorte ritualisent l’obligation de neutralité. L’on y retrouve l’ajout de ce savoir faire aux fiches de poste de tous les agents, un rappel systématique à l’embauche, mais aussi en amont, lors des jurys de recrutement, et enfin la mise en œuvre d’un charte interne, affichée dans tous les bâtiments publics, qui distingue et rappelle les droits et obligations en la matière, pour les agents, mais aussi pour les usagers.

Finalement, l’expérimentation conduite dans cette collectivité montre à la fois que la formation est une condition nécessaire mais pas suffisante, et que la gouvernance locale joue un rôle majeur d’impulsion et de mise à disposition de moyens. La fonction RH est la plus légitime pour organiser, coordonner, déployer et adapter les démarches aux trois niveaux de concepts, de la posture managériale, et des outils. Voici donc quelques-unes des conditions d’une réappropriation du principe de laïcité par les collectivités territoriales à l’appui des DRH.

Hugo Gaillard

Références

Gaillard H. (2020). « Les tensions de gouvernance publique liées à la réaffirmation du principe de laïcité. Une recherche-intervention dans une collectivité territoriale de 10 000 habitants. », Politiques et Management Public, 3-4(37), p. 241-258, https://doi.org/10.3166/pmp.37.2020.0014