Au cours des dernières décennies, les partenariats public-privés (souvent connus sous le sigle PPP) ont été retenus par de nombreux pays pour des dispositifs ciblés. Les formats et l’efficacité de ces partenariats diffèrent énormément d’une expérience à l’autre. Ainsi, la liste de leurs succès et échecs est longue, et les débats sur le financement des projets et la capacité des PPP à apporter une valeur sociale et économique perdurent.
De façon générale, un PPP est un accord conclu entre une autorité publique et un partenaire privé visant à fournir une infrastructure et/ou un service public. De façon plus spécifique, les PPP désignent une forme de contractualisation apparue au Royaume-Uni au début des années 1990 (Private Finance Initiative, PFI), et arrivée en France sous le nom de Contrat de Partenariat (CP) dans les années 2000. Ces partenariats correspondent à des contrats globaux de long terme qui permettent de confier au prestataire un ensemble de missions, allant par exemple de la conception d’une infrastructure à son exploitation (Saussier et Tirole, 2015). Ces PPP permettent aux autorités publiques de bénéficier de la capacité de financement d’acteurs privés, et autorisent les paiements en différé (de la partie publique à la partie privée) sur la base de critères de performance. Finalement, ce type de partenariat permet un partage des risques entre les deux partenaires. La partie publique supporte le risque lié à la demande, dans la mesure où c’est elle qui effectue les paiements, contrairement aux contrats de délégation de service public dans lesquels le paiement est effectué par les usagers (c’est le cas par exemple des concessions autoroutières en France). Le partenaire privé supporte quant à lui le risque de production, et peut subir des pénalités de retard ou de non-respect des objectifs de performance au cours de l’exécution du contrat.
Une large littérature existe autour des PPP et les développements théoriques sont dominés par des études dans les champs du management public et de l’économie. Les travaux existants montrent notamment que la gestion de la contractualisation entre des partenaires publics et privés peut s’avérer difficile, et que les PPP sont soumis à de nombreuses incertitudes et sont très fréquemment renégociés (Estache et Saussier, 2014). De plus, la qualité des institutions des pays conditionne en grande partie la performance des PPP (Yang et al., 2013); dans ce type de contrat, la partie publique peut jouer le rôle de juge et de partie, et la présence d’institutions de qualité permet de rendre le marché plus attractif pour de potentiels opérateurs privés, de limiter l’opportunisme des deux parties, et d’améliorer l’exécution du contrat.
Les PPP se propagent dans les pays en développement, notamment ceux de la région MENA (Middle East North Africa : Moyen Orient et Afrique du Nord, hors pays du Golfe). Ces pays qui ont connu de longues périodes d’instabilité politique, une détérioration de leurs économies et d’importants problèmes fiscaux, ont recours aux investissements privés pour profiter des fonds et de l’expertise d’acteurs privés dans la gestion des services publics. Les PPP sont donc considérés comme un moyen contemporain de développer des services publics par le biais de projets d’infrastructures modernes. Ces projets sont considérés comme essentiels pour le développement économique de ces pays, mais ils concernent souvent des activités coûteuses et politiquement sensibles. Depuis le début des années 2000, les pays de la région MENA se sont activement lancés dans des politiques de règlementation des PPP : promulgations récentes des lois autonomes sur les PPP (par exemple, la Jordanie en 2014, le Maroc et la Tunisie en 2015, le Liban en 2017), et établissement d’organismes de réglementation des PPP ou PPP national units.
La thèse de Bader (2021), qui explore l’évolution et le développement des PPP au Liban, a révélé des dynamiques intéressantes sur leur mise en place et leur gestion. Cette étude met l’accent sur l’importance des facteurs institutionnels et politiques façonnant l’évolution des PPP dans les pays aux institutions encore fragiles. Les projets de PPP et les règles institutionnelles co-évoluent. Autrement dit, le phénomène de création et de développement de PPP pour certaines activités (par exemple la distribution d’électricité) d’une part, et la mise en place d’un cadre réglementaire pour les PPP d’autre part, se nourrissent mutuellement. Dans les économies en voie de développement, cette co-évolution est fortement contrainte par les agendas des acteurs politiques.
Elaboration d’un cadre réglementaire pour les PPP au Liban
Suite à la guerre civile (1975-1991), le Liban a vu apparaître un large éventail de PPP dans les secteurs des télécommunications (téléphonie mobile), des services postaux, de l’électricité, de la gestion des déchets et du tourisme. Cependant ces PPP ont souvent été perçus comme servant les intérêts commerciaux et politiques des élites dirigeantes du pays. Le processus de passation des marchés publics, tel qu’il était conçu avant 2010, présentait diverses défaillances réglementaires qui se sont traduites par plusieurs projets de PPP mal planifiés, des dépassements budgétaires, l’absence de consultation appropriée, et la non-transparence du processus d’appel d’offres. Ceci a justifié la nécessité de modifier le cadre législatif régulant les PPP. L’adoption de la loi PPP, bloquée pendant dix ans pour des raisons essentiellement politiques, est finalement votée en Septembre 2017, sans pour autant faire l’unanimité parlementaire.
L’étude menée montre que la règlementation récente des PPP (législation sur les PPP et émergence d’un organisme de régulation) remet en question les pratiques existantes, sources d’échec de projets antécédents. Toutefois et même si l’élaboration d’un cadre réglementaire est un aspect essentiel des plans de réforme, le développement de la réglementation sur les PPP a renouvelé les jeux de pouvoir en étant perçue comme une érosion du pouvoir des autorités actuelles. On assiste donc à un jeu politique entre les acteurs désireux de transformer les pratiques existantes et ceux qui voudraient préserver leur pouvoir sur les grandes infrastructures et les choix des partenaires mobilisés.
La mise en place d’un PPP pour la distribution de l’énergie
En parallèle de ces réformes réglementaires, un projet de PPP est mis en place pour la distribution de l’énergie sur le territoire Libanais : le DSP ou « Distribution Service Providers ». Ce PPP est un contrat pour la conception, la construction, l’exploitation, la maintenance et la modernisation du réseau de distribution d’énergie, signé par Electricité du Liban (organisme public) et un consortium de trois prestataires de services privés.
Lors de la spécification du partenariat, les parties ont cherché à mettre en place des solutions innovantes et efficaces pour répondre aux besoins du secteur de l’énergie, et ont donc consacré beaucoup de temps à la rédaction du contrat. Cependant, son exécution ne s’est pas déroulée comme prévu. Des facteurs internes et externes ont rapidement limité le progrès du PPP. Des ambiguïtés contractuelles, des interprétations divergentes et une inadéquation des conditions contractuelles avec les procédures déjà existantes ont alimenté les tensions entre les partenaires. Des formes de résistance provenant d’autres parties prenantes ont également contribué à bloquer l’activité du partenariat. D’une part, les chefs des administrations régionales par exemple ont perçu cette participation privée comme une menace plutôt qu’une opportunité pour innover. D’autre part, des travailleurs publics à la condition précaire, craignant d’être remplacés par des employés des entreprises privées, ont mené une grève.
Ces différentes sources de tension ont porté préjudice à la relation entre les partenaires (public et privé) au risque de causer le départ d’acteurs clés, d’induire des renégociations, de bloquer le projet, voire de remettre en question la survie du PPP lui-même.
Les PPP : des structures institutionnalisées ?
La performance et l’efficacité des PPP s’avèrent donc fortement influencées par les particularités du contexte environnant. On réalise ainsi la fragilité des PPP dans les pays en développement dans lesquels les jeux politiques influencent beaucoup l’émergence d’organes de régulation et la réglementation « en train de se faire », supposés organiser des PPP déjà mis en place ou en création.
On peut finalement se demander dans quelle mesure les PPP dans les pays émergents peuvent devenir des structures « stables » au fil du temps ? Notre étude montre que la construction de la réglementation et la mise en œuvre concrète des PPP sont soumises aux influences d’un ensemble de défis politiques et de faiblesses institutionnelles. Dans ces pays où les gouvernements ne sont pas en mesure d’assurer une implémentation adéquate des réglementations en matière de PPP, les espaces d’intervention des acteurs politiques de la politique dans l’émergence, l’opération et le développement des PPP deviennent complexes à délimiter. Ceci accentue davantage le découplage entre structures formelles et pratiques réelles et diminue les chances d’une bonne gouvernance des PPP, ce qui induit une faible performance en matière de service public. Le risque est alors de voir progressivement le PPP, en tant qu’outil de gestion publique, être rejeté par les citoyens.
En pratique…
Dans ce contexte, les gestionnaires et les décideurs politiques sont donc invités à collaborer sur des « solutions sur mesure » pour une meilleure conception des contrats PPP au plus près des intérêts locaux, le temps que la réglementation soit stabilisée et pleinement opérante. En parallèle, il est essentiel de structurer les dispositifs réglementaires et les organes de contrôle pour l’attribution et la gestion de projets de PPP dans la mesure où les pays en voie de développement continueront à s’appuyer sur ce type de dispositif pour développer leurs services publics.
Carla Bader, Zoé Le Squeren et Xavier Lecocq
Références
Bader, C. (2021). Crafting public-private partnerships in emerging countries: a coevolution perspective.[Thèse en sciences de Gestion]. Université de Lille.
Estache, A., & Saussier, S. (2014). Public-private partnerships and efficiency: A short assessment. CESifo DICE Report, 12(3), 8-13.
Saussier, S., & Tirole, J. (2015). Renforcer l’efficacité de la commande publique. Notes du conseil danalyse economique, (3), 1-12.
Spiller, P. T. (2008). An institutional theory of public contracts: Regulatory implications (No. w14152). National Bureau of Economic Research.
Yang, Y., Hou, Y., & Wang, Y. (2013). On the development of public–private partnerships in transitional economies: An explanatory framework. Public administration review, 73(2), 301-310.