Interview

Entretien auprès d’Alain Rocca, conseiller à la Présidence pour la stratégie éditoriale, pédagogique, et de développement international (Institut National de l’Audiovisuel – INA)

Entretien mené par Michel Barabel

Bonjour Alain, pouvez-vous présenter en quelques mots le Centre de Formation Professionnelle de l’INA?

Le Centre de Formation Professionnelle de l’INA accueille aujourd’hui près de 3000 stagiaires par an, intermittents du spectacle, salariés de l’audiovisuel ou d’autre secteurs, particuliers en recherche d’emploi ou en reconversion, désireux de faire évoluer leurs compétences dans les métiers de l’audiovisuel et des médias numériques. Il dispose d’une équipe permanente de 22 responsables pédagogiques, complétée d’une vingtaine de personnes dédiées à l’organisation des stages, fait appel à une communauté de 250 intervenants externes, et bénéficie d’un plateau technique ultramoderne de 7000 m2 réparti sur deux sites, à Bry-sur-Marne et à Issy-Les-Moulineaux.

Son offre de formation se répartit sur treize filières, qui couvrent une grande partie des métiers de l’audiovisuel et des médias numériques, et propose un catalogue qui recense plus de 450 formations possibles.

Comme tout centre de formation professionnelle, celui de l’INA a dû s’adapter au contexte de la Covid-19 ? Quelles ont été les actions mises en place ?

Effectivement, lorsqu’arrive le premier confinement le 16 Mars 2020, aucune de nos formations parmi les 450 du catalogue n’est encore 100% dématérialisée[1].

Face à cette situation inédite, nous avons fait en sorte de garder le lien en ligne avec nos stagiaires. Cela nous a amenés à opérer différents mouvements :

  • (1) la « bascule » de l’ensemble des responsables pédagogiques vers l’utilisation quotidienne des outils de réunion en ligne. Ces outils (majoritairement Zoom ou Teams, ce dernier étant privilégié par la DSI de l’INA) sont utilisés d’abord pour assurer un suivi « unilatéral » des formations en cours, en appui de la plateforme LMS maison, et bien évidemment servent également de support à l’ensemble du travail collaboratif permettant de gérer la continuité opérationnelle de l’activité. Dans une moindre mesure, nous avons également eu recours à plusieurs dispositifs de classes virtuelles.
  • (2) la transformation immédiate en « 100% dématéralisé », par une demi-douzaine de responsables pédagogiques, de plus d’une vingtaine de sessions de formations, en s’appuyant soit sur la plateforme LMS maison soit sur une plateforme « standard »
  • (3) la création ex nihilo de modules en ligne gratuits, sans certification ni évaluation (vidéos d’acculturation, webinaires, classes virtuelles…). Initiée par la direction pour faire participer à sa manière le centre de formation professionnelle à la contribution de l’INA, en tant qu’entreprise de l’audiovisuel public, la mise à disposition gracieuse de contenus audiovisuels « culturels », entendus au sens large a immédiatement rencontré l’approbation de nombreux responsables pédagogiques. Ce sont ainsi près de vingt heures d’acculturation aux problématiques de l’audiovisuel qui ont été produites et mises en accès libre sur internet par le centre de formation professionnelle. Au point de classer en mai 2020 l’INA sur le podium des meilleures plateformes gratuites de cours et formation en ligne !

L’ensemble de ces actions ont pu être réalisées grâce à la conjonction d’une mobilisation absolument exceptionnelle de la petite équipe du PADLe (notre équipe en charge de l’ingénierie pédagogique digitale), avec la disponibilité et l’engagement de nombreux collaborateurs de l’équipe pédagogique et administrative du centre de formation professionnelle.

Au-delà des réussites opérationnelles constatées, cette période a ainsi permis de constater que la grande majorité des collaboratrices et collaborateurs étaient en capacité de s’approprier les outils de la dématérialisation de leur activité… sous réserve d’avoir choisi d’être les acteurs de cette appropriation !

Quels enseignements tirez-vous de la situation ?

Peu à peu, à des rythmes peut-être différents, la direction et les équipes du centre formation professionnelle réalisent que la situation inédite et disruptive imposée par la pandémie, va avoir des conséquences durables sur leur activité.

Au-delà des considérations généralistes sur le télétravail ou des modifications de contexte causées par la nouvelle loi « Avenir », ce sont surtout deux points saillants qui sont perçus en interne sur cette période comme significatifs du nouvel avenir de la formation professionnelle à l’INA :

En premier lieu, la disparition du projet de holding de l’audiovisuel public de l’horizon opérationnel. Même si elle dépasse le seul périmètre de la délinéarisation, cette disparition a sur ce champ une conséquence claire : la trajectoire de dématérialisation de l’offre de formation professionnelle redevient de la pleine responsabilité des équipes et de la direction du centre. C’est à l’INA d’être capable, sans attendre une quelconque alliance ou regroupement, de conserver seule son statut de centre de formation de référence et d’activer pour se faire la trajectoire pertinente de dématérialisation.

En second lieu la constatation de deux injonctions, aussi majoritaires que paradoxales, en provenance de nos usagers :

  • les retours qui remontent de nos interlocuteurs au sein de nos entreprises clientes : l’insistance de celles-ci de diminuer la part présentielle des sessions de formation qu’ils nous commandent, principalement afin de diminuer le temps d’absence de l’entreprise du salarié en formation. Déjà présente avant le confinement, cette pression pour plus de distanciel gagne en intensité dès le premier confinement, pour devenir une quasi-constante ;
  • ceux de nos clients « particuliers », qui à l’inverse insistent sur leur fort attachement à la dynamique de groupe induite par la part présentielle de nos formations, et l’importance qu’ils attachent à cette dimension dans l’évaluation de la qualité de nos formations. Ces remontées conservent toute leur intensité même dans la période de réouverture du centre dans un environnement sanitaire particulièrement contraignant (masques, distanciation, absence de restauration collective…).

Le fait que vous soyez une entreprise de l’audiovisuel public change-t-il la donne ?

Force est de constater qu’en tant que salariés de l’audiovisuel public, les collaborateurs de l’INA restent de fait mieux protégés que beaucoup de leurs concitoyens des conséquences économiques les plus graves de la pandémie (perte d’emploi et de salaire).

Nonobstant, dès le mois de Juillet, une évidence s’était cristallisée de façon très majoritaire au sein de l’ensemble des collaboratrices et des collaborateurs : oui il faut accélérer la part dématérialisée de notre offre de formation professionnelle, mais en veillant à conserver tout ce qui fait son ADN et en particulier cette excellence qui s’incarne dans un collectif qui échange en présentiel autour de dispositifs techniques réels.

Bref, en route vers une dématérialisation maîtrisée capable d’associer le meilleur du présentiel avec les avantages du distanciel…. On pourrait parler de présentiel augmenté !

Ce qui était considéré avant le premier confinement comme une orientation stratégique de la direction, soutenue par une petite partie des responsables pédagogiques, et appréciée avec méfiance, voire contestée, par d’autres, est ainsi devenue en l’espace de quelques mois pour l’ensemble des collaborateurs et collaboratrices un chemin que le centre de formation professionnelle ne peut plus ne pas emprunter…

[1] 120 formations du catalogue bénéficient d’un accompagnement pédagogique dématérialisé, surtout constitué par de la mise à disposition en ligne de documents,