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Nombre de création d’entreprises et politique publique entrepreneuriale: nouveaux défis

Les médias ont largement repris les chiffres de l’INSEE sur le nombre de création d’entreprises en 2020. Un nouveau record a été atteint avec 848 200 créations d’entreprises. Cette donnée brute confirme la thèse de la diffusion d’une société entrepreneuriale énoncée dès le début des années 2000 par Audretsch (2007) et reprise par le Président Macron à travers l’idée de « start-up nation » en 2017. Cette transformation sociétale est le fruit à la fois d’une transformation du capitalisme qui se traduit par une remise en question du salariat mais aussi par une politique publique entrepreneuriale ambitieuse pour faciliter la création d’entreprises. Ce chiffre mérite d’être analysé finement pour en tirer des enseignements en termes de politique publique entrepreneuriale.

L’envolée du nombre de micro-entrepreneurs et la stagnation de l’entrepreneuriat féminin

Ce nouveau chiffre record interroge sur la nature des créations d’entreprises. La progression se concentre sur les immatriculations d’entreprises individuelles sous le régime du micro-entrepreneur (+9%). L’apparition en 2009 du statut d’auto-entrepreneur, devenue micro-entrepreneur a permis à toutes les catégories de la population (jeune, retraité, chômeur, etc.) de pouvoir expérimenter l’entrepreneuriat de façon simplifiée et sécurisée. Ce statut contribue à la diffusion d’une culture entrepreneurial en montrant que tout un chacun peut se lancer dans la création d’entreprises. Dans le même temps, les créations d’entreprises individuelles classiques régressent (-13%) et les créations de sociétés restent stables. La crise sanitaire a encouragé les créations liées aux secteurs des activités de transports et d’entreposage (+ 22 %). Ces activités sont tirées par les plateformes numériques. Peut-on parler de création d’entreprises ou d’entrepreneuriat pour des activités qui tendent à être requalifiées en contrat de travail dans plusieurs pays.

Un autre chiffre semble assez préoccupant, c’est la proportion de créatrices qui stagne autour de 40% alors qu’elle avait progressé régulièrement depuis 30 ans passant de 29 % en 1987 à 33 % en 2000. Comment parvenir à une parité dans le domaine de l’entrepreneuriat ? Il convient de mieux comprendre les verrous actuels dans l’écosystème entrepreneurial qui entravent tant la parité que l’ambition des projets.

Repenser les politiques publiques entrepreneuriales

A l’aune de ces chiffres, pour les pouvoirs publics, la question de la politique d’accompagnement entrepreneurial mérite d’être discutée et repensée, voire réinventée. Les pouvoirs publics au niveau national et au niveau local restent très impliqués dans la construction et la gestion de dispositifs et de structures (Theodoraki et Messeghem, 2017). Deux priorités se dessinent au regard de ces derniers chiffres, l’accompagnement des entrepreneurs de nécessité et l’accompagnement de l’entrepreneuriat féminin.

La montée d’un entrepreneuriat de nécessité lié en partie au développement du nombre de micro-entrepreneurs conduit à s’interroger sur l’accompagnement à proposer pour des entrepreneurs pour certains en situation de pauvreté. Ces projets peuvent révéler un potentiel. Des travaux sur les entrepreneurs en situation de pauvreté (Nakara, Messeghem et Ramaroson, 2019) montrent que les projets peuvent présenter un caractère innovant dans 28% des cas. Pour ces projets, des programmes d’accélération spécifiques peuvent être conçus comprenant un volet social et entrepreneurial. L’enjeu est que les difficultés rencontrées par ces entrepreneurs n’entravent pas le potentiel de développement de leur projet. La dimension psychologique de l’accompagnement a toute son importance. Des dispositifs de counseling peuvent être envisagés pour contribuer à pallier les difficultés psychologiques qui peuvent freiner l’ambition du projet. L’autre enjeu est de rendre plus inclusifs les programmes d’accompagnement les plus prestigieux. Le programme French Tech y répond en partie en retenant dans ses priorités un volet « Talents et Inclusion ».

La stagnation de la proportion de créatrice à 39% conduit là-aussi à se demander si les dispositifs actuels sont suffisants. Pour réinventer l’accompagnement, trois actions peuvent être privilégiées :

  • Libérer la parole entre entrepreneures pour libérer l’esprit d’entreprendre : créer des espaces d’échanges bienveillants, en particulier en phase ante création. Selon Bueno Merino et Duchemin, (2016), les échanges entre femmes permettent de déconstruire les représentations de genre et favorisent l’engagement entrepreneurial.
  • Renforcer le capital social : les travaux de Constantinidis (2010) soulignent les difficultés des entrepreneures à s’engager dans le réseautage et accéder à des réseaux influents. L’enjeu est de contrebalancer la tendance à favoriser les relations de proximité et de confiance, en développant des relations professionnelles à travers de nouveaux réseaux physiques ou virtuels.
  • Repenser les dispositifs de financement : De nombreuses études soulignent les difficultés des entrepreneures pour accéder à des financements comme le financement bancaire ou en capital risque. Si des dispositifs existent, les entrepreneures doivent mieux être accompagnées pour renforcer leurs connaissances et leur expertise dans ce domaine et les représentations des acteurs du financement doivent évoluer. On peut se demander si la mise en place d’un index égalité hommes-femmes sur les conditions d’octroi des crédits pourrait y contribuer.

L’entrepreneuriat et son accompagnement ont ainsi connu ces dernières années de profondes transformations qui se sont accélérées ces derniers mois avec la crise sanitaire. De nombreux défis restent à relever pour que l’entrepreneuriat reste un vecteur de progrès social. Il est temps pour les pouvoirs publics d’engager comme cela a été fait en 2013, à travers les assises de l’entrepreneuriat, une grande consultation sur le devenir de l’écosystème entrepreneurial français.

Karim Messeghem

Références

Audretsch, D. B. (2007), The entrepreneurial society., New York: Oxford University Press.

Bueno Merino, P. et M.-H. Duchemin (2016), « Enjeux de la différenciation selon le genre dans l’accompagnement collectif de la femme potentiellement créatrice », Management International, Vol. 20, n°4, p. 90-112

Constantinidis, C. (2010). Représentations sur le genre et réseaux d’affaires chez les femmes entrepreneures. Revue française de gestion, n°202, 127-143.

Nakara, W.A., Messeghem, K. et Ramaroson (2019), “A. Innovation and entrepreneurship in a context of poverty: a multilevel approach”, Small Business Economics, p. 1-17.

Theodoraki, C. & Messeghem, K. (2015), « Ecosystème de l’accompagnement entrepreneurial : une approche en termes de coopétition », Entreprendre & Innover, Vol. 27, n°4, p. 102-111.