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Les risques financiers climatiques

Le changement climatique est un phénomène déjà bien réel : élévation du niveau de la mer, aggravation des événements extrêmes comme les cyclones, inondations, feux de forêt ou les sécheresses…. sans compter les conséquences indirectes qui touchent la population et l’environnement naturel (risques sanitaires, crises alimentaires, réfugiés climatiques, perte de biodiversité…). Pour respecter les accords de Paris, signés en 2015 afin de limiter ces impacts physiques, il faudrait que l’humanité réduise ses émissions de gaz à effet de serre (GES), principalement issues de la combustion de ressources fossiles (pétrole, charbon et gaz naturel), d’environ 6% tous les ans pendant les 20 prochaines années.

Les acteurs économiques vont ainsi devoir faire face à des obligations de financement non seulement des impacts du changement climatique mais aussi de ceux liés à la mise en œuvre des politiques de lutte contre le changement climatique. Ces risques financiers climatiques se déclinent ainsi en risques physiques et risques de transition.

La question de la valeur

Le risque de transition, qui résulte des ajustements effectués en vue d’une transition vers une économie bas-carbone créé ce que l’on appelle des actifs échoués (« stranded assets »). Il s’agit d’investissements ou d’actifs qui perdent de leur valeur du fait de l’évolution des marchés. Cette dépréciation est principalement liée à des changements en matière de politique environnementale qui viendrait pénaliser des activités jugées trop émettrices en GES ou à l’apparition d’innovations technologiques propres ou encore à la baisse de la demande (évolution des exigences des consommateurs comme des investisseurs vers des produits et investissements « verts ») qui rendent alors les actifs « fossiles ou bruns » obsolètes ou échoués avant leur amortissement complet.

Les sociétés qui ont les énergies fossiles comme richesses (production d’énergie, transports, construction et industrie lourde) risquent ainsi de perdre de la valeur car elles ne peuvent plus exploiter leurs richesses dans les mêmes conditions de production et de rentabilité. Les acteurs financiers qui ont investi dans ces entreprises sont également menacés par cette dépréciation possible des actifs adossés à des projets fossiles. Différentes études ont ainsi montré que l’activité́ des institutions financières à l’échelle mondiale pourrait être impactée à hauteur d’environ 17 % de leur valeur – soit 24 200 milliards de dollars – si le réchauffement climatique atteignait +2,5°C d’ici 2100.

Déjà en 2011 Carton Tracker alertait sur les risques de transition pesant sur le secteur financier et en 2015 Mark Carney, gouverneur de la Banque d’Angleterre, concrétise cette alerte en parlant de la nécessité de « briser la tragédie des horizons ». Il importe d’articuler l’horizon d’occurrence du risque climat qui se fera sentir d’ici 50 à 100 ans et l’horizon de gestion des acteurs financiers allant de l’instantanéité pour les activités de trading jusqu’à 3 à 5 ans pour le cycle crédit voire une dizaine d’année pour le cycle d’investissement. En d’autres termes, lorsque le changement climatique deviendra un enjeu déterminant pour la stabilité financière, il sera peut-être déjà trop tard.

Ce risque de transition n’est pas anodin. Ainsi les entreprises intensives en carbone pourraient se retrouver sans liquidités financières pour investir dans de nouveaux projets ou faire faillite et les banques pourraient voir leurs actifs dépréciés à tel point que certains parlent d’une nouvelle crise financière « climate krach ».

Les études essayant d’évaluer ces actifs échoués se sont multipliés ces dernières années afin de mobiliser les institutionnels de la finance pour faire face à ce risque. Le volume de ces actifs échoués est difficile à évaluer car la prise en compte des risques climatiques physiques soulève quelques difficultés sur la complexité des impacts climatiques, la définition des périmètres d’analyse, la caractérisation des actifs allant du brun au vert…. Les données disponibles sont également parfois manquantes même si des initiatives telles que l’article 173 de la Loi de Transition en 2015 ou les lignes directrices de la TCFD (Task Force on Climate-Related Financial Disclosure) proposent un cadre de reporting. Des analyses stress test participent à la prise de conscience des acteurs financiers. Une autre étude menée en 2021 par un groupe d’étudiants du MBA RSE de l’Institut Léonard de Vinci avec le soutien de plusieurs ONG (Reclaim Finance, Les Amis de la Terre ou Oxfam) consiste à travailler à partir de bilans des banques pour évaluer ces actifs fossiles insérés dans les actifs et passifs des institutions financières.

De nouvelles stratégies

Face à ces risques financiers climatiques, les stratégies usuelles de gestion des risques (transfert, conservation ou diversification des risques) ne suffiront pas à couvrir l’exposition aux risques de transition. Afin de réconcilier les horizons dans la prise de décision économique et gérer le risque de transition, deux options stratégiques sont avancées :

  • La stratégie d’exclusion consiste à désinvestir ou ne pas investir dans des activités intensives en carbone. La Caisse des Dépôts et Consignations a ainsi annoncé en 2019 la fin des investissements, en direct ou via des fonds, dans les entreprises dont l’exposition de l’activité au charbon dépasse 10 % du chiffre d’affaires.
  • La stratégie d’atténuation consiste quant à elle à conserver les actifs exposés au risque tout en mettant en place des stratégies pour atténuer son exposition au risque. Cela peut passer par la négociation de clauses contractuelles limitant les pertes pour l’acteur financier en cas de matérialisation du risque ou par une pratique d’engagement actionnarial pour diminuer dans le temps l’exposition de l’actif aux risques climatiques.

Certes de multiples critiques peuvent être faites sur ces approches. Mais elles ont le mérite d’alerter les acteurs économiques sur ces risques de transition. Or à ce jour, les institutions financières n’ont pas toutes adopté une telle analyse des risques climat. En 2018, Novethic recense 54 % des investisseurs français comme engagés en raison de l’intégration du risque climat à leurs politiques d’investissement et seulement 13% évaluent l’alignement de leurs portefeuilles avec une trajectoire 2°C.

La vérité est que la transition énergétique sera d’abord destructrice avant d’être créatrice de richesse entrainant des dépréciations d’actifs physiques et financiers. Ce qui importe est de trouver le bon rythme à donner pour que les contraintes imposées aux entreprises fossiles ainsi qu’aux banques ne soient pas trop importantes et brusques pour leur permettre de s’adapter et de survivre. Alors, accélérons le mouvement…

Gaël Giraud, Christian Nicol, Isabelle Nicolaï