La crise de la COVID 19 a remis en vogue les réponses keynésiennes en termes de politiques économiques. Déclassé et souvent mis à mal par les politiques libérales ou néo-libérales depuis le début des années 1980, le keynésianisme est redevenu à la mode. La plupart des pays industrialisés ont préféré réinjecter des sommes massives pour maintenir à flot leurs économies, par une accentuation sans limite de l’endettement, plutôt que d’éviter que la « main invisible » du marché ne sanctionne violemment les entreprises les plus fragiles ou les secteurs les plus touchés par la pandémie. Des chercheurs ont même posé la question « Sommes nous tous devenus Keynésiens ? »
Néanmoins, par un paradoxe dont l’Histoire à le secret, le secteur non marchand ne semble pas atteint par la même ferveur keynésienne. A l’inverse, l’intervention de l’Etat diminue dans le « Tiers secteur ». Selon Salamon, Anheier, 1995, 1998 de l’institut John Hopkins, le « Tiers secteur » est défini comme le secteur regroupant les organisations sans but lucratif » (« non profit organizations ») caractérisées par cinq critères : institutionnalisées, privées, indépendantes, avec un budget propre et comportant un certain niveau de participation volontaire de bénévoles et/ou de donateurs. De même, l’adhésion doit être volontaire et non obligatoire. Le « Quoi qu’il en coûte » ne semble pas de mise pour ce secteur, et sa dimension « non essentielle » a été un symbole du rapport ambigu avec l’Etat.
Association et financement public : des amours contrariées
Les rapports entre le Tiers Secteur et les pouvoirs publics sont complexes. En particulier sur la question du financement : subventions ou commande publique ? Les subventions publiques désignent les financements publics pour soutenir les initiatives que la collectivité publique encourage, les financements de type commandes publiques transformant l’intervention de l’association en outil des politiques publiques. Les modalités d’intervention et leurs niveaux illustrent le niveau de l’Etat Providence et en particulier son déclin.
En 2005, le financement public représentait 51% des financements de l’ensemble des associations ; en 2017, il passe à 44% (source paysage associations 2018). Les petites associations sportives, culturelles et de loisirs dominent le paysage associatif : elles représentent ensemble 69 % des associations et leur nombre continue d’augmenter à un rythme non négligeable. Le nombre des associations culturelles a ainsi augmenté dans la période à un rythme annuel moyen de 4,4 %. Les associations culturelles représentent 23% des associations sans salariés et 24% des associations employeuses. On assiste à une augmentation rapide du recours aux ressources privées. « De plus en plus, le service associatif s’achète », a observé Viviane Tchernonog dans ce rapport, insistant sur la rapidité du changement concernant la participation des usagers. Quant aux dons et au mécénat, si leur part peut paraître faible, ils constitueraient « aujourd’hui une ressource essentielle dans certains secteurs d’activité » tels que l’humanitaire, la défense des droits, la culture ou encore le sport. Au final, « les transformations qui sont intervenues ont pu ébranler les fondamentaux du secteur », a conclu la chercheuse. Avec, selon elle, une « mise en cause des fonctions de cohésion sociale, de solidarité et de la capacité à innover ». Et également une équation difficile à résoudre pour les associations implantées dans des « territoires pauvres, en déclin, vieillissants », aux ressources limitées mais aux besoins croissants.
Quel rôle demain pour l’Etat ?
L’impact économique de la crise du COVID – 19 va avoir un impact lourd sur les ressources des associations, avec un potentiel effet collatéral du repli de la consommation des ménages. En soutenant le monde associatif, l’Etat contribue à maintenir la production de richesses et d’emplois du Tiers secteur et à soutenir le développement social, culturel, environnemental, également reconnu comme une richesse. Par exemple, des études américaines sur 30 ans, ont montré l’impact de l’accès à l’art sur les enfants. Lorsqu’ils participent à des programmes, ils sont quatre fois plus susceptibles d’être reconnus pour leurs résultats scolaires et quatre fois plus susceptibles de gagner un prix pour avoir écrit un essai ou un poème, améliorant ainsi la qualité de l’éducation.
Alors que le modèle de l’endettement et l’intervention de l’Etat semble aujourd’hui le mieux adapté pour résister à la crise sanitaire et sociale (et à ses effets dévastateurs) et préparer efficacement la croissance de demain notamment pour nos jeunes en matière d’éducation et de formation (Quoiqu’il en coûte), ne peut-on y voir aussi un moyen inespéré de repositionner le rôle de l’Etat ? En effet, la crise actuelle ne redonne – t – elle pas, au-delà de soutiens utiles mais parfois artificiels (assistance, subvention), la possibilité de réinventer une approche keynésienne de l’Etat plus protectrice mais aussi plus agile et focalisée dans l’intérêt de nos jeunes et moins jeunes, pour enfin accepter une relance économique de grande ampleur ?
Elizabeth Couzineau-Zegwaard et Erwan Poiraud
Références
Salamon, L.M., Anheier, H.K. Social Origins of Civil Society: Explaining the Nonprofit Sector Cross-Nationally. VOLUNTAS: International Journal of Voluntary and Nonprofit Organizations 9, 213–248 (1998).
Cottin-Marx, Simon, et al. « La recomposition des relations entre l’État et les associations : désengagements et réengagements », Revue française d’administration publique, vol. 163, no. 3, 2017, pp. 463-476.