Le dispositif de l’apprentissage soutenu par l’Etat
« L’apprentissage repose sur le principe de l’alternance entre enseignements théoriques et pratiques en CFA (Centre de formation d’apprentis) et chez l’employeur avec lequel l’apprenti a signé son contrat. ». Il nous est apparu important de commencer avec la définition de l’apprentissage au sens de France Compétences afin de bien cibler le propos qui va suivre. L’objectif ici n’est pas de refaire l’histoire de l’apprentissage mais de voir les impacts de la loi « Avenir professionnel » de 2018 sur ce dispositif et l’impact collatéral sur les universités.
La loi de 2018 implique une facilitation du développement de l’apprentissage avec notamment une ouverture plus large à la concurrence privée. La loi a permis « la libéralisation du marché à l’ensemble des organismes de formation qui souhaitent dispenser des actions de formation par apprentissage », une augmentation des salaires des apprentis et un élargissement de l’âge pour prétendre à l’apprentissage qui passe de 25 à 29 ans révolus. Ces trois grands changements ont pour objectif d’attirer les jeunes vers l’apprentissage.
Le passage de l’âge maximum pour prétendre à l’apprentissage de 25 à 29 ans après la loi (sauf pour certaines exceptions qui peuvent aller au-delà de 29 ans) est important dans le contexte des universités. On constate que 61% des contrats entrants sont des jeunes qui préparent une certification à bac+ 2 ou plus (entre niveau 5 et niveau 8) alors qu’ils étaient 38% en 2018.Cette augmentation est également liée aux aides de l’Etat après le covid 19. Les aides de l’Etat qui s’élevaient à 8000€ pour l’enseignement supérieur jusqu’à Bac +3 dans un premier temps puis qui se sont étendues aux niveaux 7 (bac +5) ont été attractives pour les entreprises. Depuis, le 1er Janvier 2023, les aides de l’Etat sont de 6000€ pour tous les niveaux.
En ayant une approche critique, les aides de l’Etat entraînent un biais au développement de l’apprentissage. Bien que le nombre de nouveaux contrats ait augmenté significativement entre 2018 et 2022 passant de 321 038 à 837 029[1] (avec un objectif de 1 million de nouveaux contrats d’ici 2027), les aides ont été déployées de manière globale pour toutes les entreprises. Les entreprises surfent sur cette opportunité mais cela représente un coût conséquent pour l’Etat qui met « sous perfusion » l’apprentissage. La dépense publique de l’Etat en 2022 pour la politique d’alternance est estimée par la cour des comptes à 16,8 milliards d’euros[2] (ce qui concerne le coût des contrats d’apprentissage, de professionnalisation, la Pro A). Les aides de l’Etat à l’embauche d’alternants représentent à eux seuls 4,8 milliards d’euros en 2022. La cour des comptes interroge, ainsi, la soutenabilité de la politique d’alternance.
Le positionnement des universités vis-à-vis de l’apprentissage
L’apprentissage dans les universités n’est pas chose nouvelle. Le dispositif a surtout été adopté dans un premier temps par les IUT et les écoles d’ingénieurs universitaires qui sont vus comme pionniers (Sauvage, 2020) dans l’appropriation et le développement de l’apprentissage.
Néanmoins, la loi « Avenir professionnel » de 2018 va avoir un impact conséquent pour les universités. Nous constatons quatre grandes raisons au fait que les universités s’emparent du dispositif de l’apprentissage.
La première raison est que les formations en apprentissage sont un enjeu financier pour les universités notamment dans le cadre de l’autonomie des universités et donc du besoin de développement de ressources propres.
La seconde raison est qu’il y a une demande du monde socio-économique qui est notamment stimulée par les aides de l’Etat ce qui rend le dispositif plus attractif pour les entreprises.
La troisième raison est la relative simplicité de mettre en place l’apprentissage dans les universités. Bien qu’il y ait tout de même une adaptation des formations pour le passage de la formation initiale et l’apprentissage, cette dernière peut être facilement mise en place puisque le public étudiant reste le même.
La quatrième raison est que depuis 2007, l’insertion professionnelle est une mission des universités. L’apprentissage est un dispositif facilitant l’insertion professionnelle des jeunes après leur apprentissage.
Recommandations stratégiques pour les universités
Le mariage entre stratégie et universités est souvent difficile (Goy, 2015). Aussi, il semble intéressant de s’inspirer des bonnes pratiques existantes dans des composantes qui ont déjà développé de l’apprentissage à l’instar des IUT ou des IAE.
Les universités ont tout intérêt à construire une véritable stratégie fondée sur des pratiques existantes : une stratégie émergente au sens de Mintzberg et Waters (1985) et de ne pas simplement rester sur un effet opportuniste. En effet, il y a certaines composantes voire universités qui ont une stratégie sur l’apprentissage et qui en font un élément de différenciation (Sauvage, 2020). Néanmoins, cette différentiation pourrait devenir à terme un facteur clé de succès pour l’enseignement supérieur.
Par ailleurs, la stratégie doit également se fonder comme une réponse à un besoin socio-économique sur les territoires. Le lien avec le monde socio-économique est de première importance pour développer l’apprentissage dans les universités. L’apprentissage peut également être un point d’entrée avec le monde socio-économique permettant de développer d’autres dispositifs comme la formation continue avec un développement d’offres de formation sur-mesure pour les entreprises dans le cadre de leur plan de développement des compétences mais aussi des partenariats de recherche sous l’aspect de conventions Cifre. Cela aurait un double effet : à la fois le développement des activités qui sont le cœur de métier de l’université à savoir la formation et la recherche mais ces activités sont aussi un moyen de diversifier les ressources propres de l’université (Calviac, 2019).
Bibliographie
Calviac S. (2019). « Le financement des universités : évolutions et enjeux », Revue française d’administration publique, 169(1), pp. 51–68.
Goy H. (2015). « Politique contractuelle et stratégies universitaires : le rendez-vous manqué ? », Gestion et management public, 3 / 4(2), pp. 65–82.
Mintzberg H., Waters J. (1985). « Of Strategies, Deliberate and Emergent », Strategic Management Journal, 6(3), pp. 257–272.
Sauvage F. (2020) « Les formations en apprentissage à l’université : enjeux et tendances », Les Cahiers de la SFSIC [En ligne], Collection, 9-Varia, FORMATION, MONDE PROFESSIONNEL http://cahiers.sfsic.org/sfsic/index.php?id=779.
[1] Données Dares 2023 : https://dares.travail-emploi.gouv.fr/donnees/le-contrat-dapprentissage
[2] Note de la cour des comptes juillet 2023 : https://www.ccomptes.fr/fr/documents/65357