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Théorie de l’acteur-réseau: éclairage théorique et méthodologique

La théorie de l’acteur réseau s’inscrit dans les travaux en sociologie de la traduction. Elle met au cœur de l’analyse les relations entre sciences, technique et société. L’idée de réseau consiste ici rassembler des humains (direction, utilisateurs, prestataires…) et des « non-humains » (objets, technologies, outils, lieux, dispositifs) lesquels vont agir soit comme médiateurs ou intermédiaires les uns avec les autres au service de l’innovation et de la société.  Selon cette vision, la technique et les objets sont ainsi envisagés comme étant intégrés au monde social. Ces travaux de recherche se révèlent particulièrement utiles pour développer de nouveaux modes de direction et d’action dans les organisations, spécialement sur les questions d’innovation.

À partir de plusieurs concepts clés (le réseau, la problématisation, la traduction, les controverses, les mécanismes de convergence ou de divergence), Michel Callon et Bruno Latour vont proposer une méthode pour traduire un réseau et tenter de le modifier. Le modèle permet de mieux appréhender les rebondissements du processus d’innovation, puisque les acteurs et le dispositif vont se construire simultanément, au travers de mécanismes d’ajustement entre l’objet technique et son environnement.

Cette approche comprend plusieurs phases :

Phase 1 : l’analyse du contexte. Elle revient à une analyse des actants en présence (humains et non humains), de leurs intérêts, de leurs enjeux et de leur degré de convergence. Un besoin de changement est ressenti et exprimé, laissant entrevoir des perspectives d’actions. On introduit dans cette analyse l’ensemble des non humains, c’est-à-dire les objets et technologies concernés par le problème.

Phase 2 : la Problématisation : les acteurs vont vouloir faire avancer les connaissances sur un thème complexe à forts enjeux, en vue de proposer un passage obligé, un énoncé permettant de résoudre un problème dans l’intérêt de tous.

Phase 3 : l’intéressement : cette étape vise à convaincre les différents acteurs ou actants concernés, humains (directions, utilisateurs, prestataires…) et non humains (comme les objets, outils, technologies, lieux, dispositifs, normes et réglementations) qui vont être retenus pour leurs contributions, apports et expertises, selon un principe de symétrie, en les incitant à participer et à agir dans le cadre d’une expérience innovante. Il s’agit donc d’une phase, où on essaye d’intéresser l’ensemble des acteurs concernés par le problème à travers des arguments convaincants.

Phase 4 : l’enrôlement : cette étape prend la forme d’une négociation généralisée, où il s’agit d’attribuer un rôle, une fonction, une tâche précise à chacun des acteurs, qui peuvent agir, réagir et donner leur avis afin d’améliorer le processus d’ensemble.

Phase 5 : la mobilisation : cette étape vise à amplifier les actions menées à un niveau local et expérimental pour les réaliser et les diffuser à une plus grande échelle, grâce à l’engagement de porte-paroles. Les porte-paroles rendent alors possible la prise de parole et l’action concertée. La mobilisation, consiste à favoriser l’implication de tous, à consolider le réseau, grâce à des porte-paroles capables de « traduire » les différents intérêts en présence d’un registre à l’autre (par exemple de la logique technologie vers une logique de métier). La mobilisation permet de trouver du sens et de l’intérêt à l’élaboration du réseau. Elle conduit à créer de nouvelles connaissances, de nouveaux outils techniques avec une nouvelle organisation sociale.

Les controverses qui correspondent aux modes d’expression des groupes concernés, ainsi que les compromis sont des repères pour identifier la dynamique du réseau et l’évolution des éléments de convergence ou de divergence.

Selon ces principes, l’innovation ne résulte pas d’une démarche linéaire et séquentielle. Elle est le produit complexe d’interactions entre des partenaires hétérogènes intéressés et mobilisés qui vont participer à l’élaboration de l’innovation.

Olivier Meier

Références

Akrich M., Callon M., Latour B., Sociologie de la traduction, textes fondateurs. Presses des Mines, 2006.

Callon, M., « Eléments pour une sociologie de la traduction », L’année sociologique, N° 36,  1986, p. 169-208.
Callon, M., « Sociologie des Sciences et économie du changement technique : l’irrésistible montée des réseaux technico-économiques », In Ces réseaux que la raison ignore, Centre de Sociologie de l’Innovation (Eds.), L’Harmattan, Paris, 1992, p. 53-78.
Callon, M., « Le réseau comme forme émergente et comme modalité de coordination :le cas des interactions stratégiques entre firmes industrielles et laboratoires académiques », in Réseau et coordination, M. Callon, Cohendet, Curien, Dalle Eymard-Duvernay, Foray &Schenk, Economica, Paris, 1999, p. 13-64.
Meier O., Missonier A-S., « Analyse des systèmes d’interactions à l’oeuvre au sein d’un projet TI : mise en évidence d’une perspective dynamique et relationnelle », Systèmes d’Information et Management, 17, 2012, p. 7-48.
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Meier O., Schier G., « The Early Succession Stage of a Family Firm: Exploring the role of agency rationales and stewardship attitudes », Family Business Review, 29(3), p. 256-277.
Meier O., Barabel M., ManageMentor, 4ème éd., Dunod, 2022.