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La disputio au coeur du management : vers la reconnaissance de la valeur du don

Si l’on peut trouver lorsque l’on s’intéresse au fonctionnement des organisations une certaine valeur au don ce n’est pas le cas du sacrifice. Le don peut être un moteur de l’estime de soi ou de la valorisation des autres sans contrepartie financière. Le don et l’engagement échappent par nature à toute logique de quantification. Il est cependant possible de donner une idée assez précise de l’engagement des enseignants-chercheurs en sciences de gestion et du management grâce à l’édition 2022 du rapport de l’observatoire des formations de la FNEGE 2022[1]. Ces enseignants-chercheurs fonctionnaires d’Etat sont des maîtres de conférences, des professeurs des universités et des doctorants qui enseignent dans les Instituts d’Administration des Entreprises, les départements tertiaires des Institut Universitaires de Technologie, les instituts et facultés de l’Université publique. Elles et ils relèvent administrativement de la section 6 du conseil national des Universités (CNU), une instance nationale composée de membres élus et nommés et qui a pour mission d’évaluer les enseignants-chercheurs au cours de leur carrière. L’évaluation par les pairs élus et nommés d’une instance nationale comme le CNU est une spécificité française qui découle du statut de la fonction publique des enseignants chercheurs. Ces universitaires coordonnent des formations de la licence au doctorat qui sont parmi les plus plébiscitées par les étudiants. En effet, en 2019-2020, un étudiant de l’enseignement supérieur français sur cinq étudie le management. Un enseignant-chercheur en gestion encadre ou forme plus de 100 étudiants en moyenne, c’est 33 pour les autres disciplines. Malgré cet engagement auprès des étudiants, les professeurs des universités qui sont les mieux rémunérés d’entre eux ne représentent que 24% de l’ensemble des enseignants-chercheurs soit le ratio le plus faible de toutes les disciplines universitaires enseignées en France. Si ces données ne permettent pas de mesurer le don et l’engagement des enseignants-chercheurs en gestion, elles permettent de le supposer.

Discipline sacrifiée ?

Peut-on pour autant évoquer l’idée d’une discipline sacrifiée alors qu’elle est riche en enseignement, en recherche nationale et internationale, en rayonnement socio-économique et où le taux d’insertion des étudiants dans un milieu professionnel privé ou public est très élevé ? Derrière ces chiffres qui qualifient une population d’enseignants-chercheurs de 2257 membres (dont 530 professeurs des universités et 1727 maîtres de conférences) il y a 225 700 étudiants formés chaque année. Comment reconnaître et valoriser le métier d’enseignant-chercheur en sciences de gestion et du management qui comportent plusieurs particularités ? Son objet, le management est décisif pour répondre aux nouveaux objectifs de croissance durable et responsable qui sont assignées aux entreprises et aux organisations. L’engagement pédagogique et institutionnel des enseignants-chercheurs en gestion répond à ces nouveaux défis au quotidien malgré les contraintes qui pèsent sur leurs conditions d’exercice. La concurrence scientifique est internationale. Le CNRS qui est une spécificité française permet à des chercheurs de consacrer la totalité de leur temps de travail à des activités de recherche. Or, la gestion a très peu de postes de directeurs de recherche CNRS (23% de professeurs des universités et 77% de maîtres de conférences) alors que les autres disciplines tendent à 40% ? Le don est souvent l’ingrédient qui permet de faire vivre une organisation mise sous tension. La question est : combien de temps cela peut-il encore durer ? Car finalement, l’exemple des IAE montre que le système fonctionne bien et démontre la vitalité des formations portées par la recherche avec une forte insertion socio-économique et des taux d’embauche à des salaires compétitifs pour leurs diplômés.

Le don

Le don relève de motivations intrinsèques. Il est lié à la satisfaction qui est apportée par une action/une décision. Néanmoins la reconnaissance du don individuel par un collectif, dans le cas du système universitaire une assemblée de pair, est essentiel pour autant que celui-ci ne se transforme pas en sacrifice. Il convient en effet que cette instance chargée de reconnaître le travail accompli dispose des moyens pour le faire[2].

Le don peut être porteur de valeurs positives : engagement, motivation, estime de soi, satisfaction. Le sacrifice peut engendrer des perceptions plus négatives : fatigue, burnout, épuisement, démotivation, désengagement.

Le chapitre auquel nous avons contribué s’interroge sur l’importance du don dans le système universitaire français, en gestion en particulier. Nous nous focalisons en particulier sur le rôle du conseil national des universités en abordant la question de deux points de vue. Tout d’abord, nous nous demandons si être membre du CNU peut être considéré comme un don. Dans les différentes missions d’évaluation du CNU, la reconnaissance du don à la communauté académique est un élément important pour continuer à faire vivre les collectifs de travail.

Nicolas Aubert, Marc Bonnet, Aude Deville et Anouk Grevin

Références

Aubert, N., Bonnet, M., Deville, A., & Grevin, A. 2022. Vers la reconnaissance de la valeur du don : Un parcours au sein de la section 06 du CNU. In Deville, A., Dupuis, J., Lebraty, J., Nègre, E., Riché, C., & Sattin, J. (Eds.), La disputatio au cœur du management : Débats et controverses. Aix-en-Provence, France : Presses universitaires de Provence. doi :10.4000/books.pup.56663


[1] Ce document a été rédigé par Pierre-Louis Dubois, Professeur Emérite à l’Université de Montpellier.

[2] A ce jour et depuis l’élection des Membres du CNU en décembre 2019, la section 06 a tenu trois sessions de qualification MCF et PR (au total 1439 dossiers examinés), deux sessions PEDR (au total 304 dossiers examinés), deux sessions d’avancement (au total 648 dossiers examinés), deux réunions pour les dossiers 46.3 (9 dossiers examinés), et contribué à la production de huit rapports de session (consultables sur le site du CNU). Pour la première édition de l’évaluation des dossiers qui sollicitent une prime (RIPEC 3) il est annoncé 159 dossiers de professeurs des universités et 601 dossiers de Maîtres de conférences pour la section 06 du CNU.