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Le processus de création du Pôle Territorial de Coopération Economique (PTCE) : un levier de coopération et d’action sociétale sur les territoires

Le pôle territorial de coopération économique (PTCE) est un dispositif défini par la loi du 31 juillet 2014. Il rassemble les collectivités territoriales, les organisations de l’économie sociale et solidaire (ESS), les entreprises, les centres de formation et de recherche et les citoyens d’un même territoire dans le but de créer des emplois non délocalisables et de faciliter le développement local durable. Le PTCE connaît aujourd’hui un nouvel essor dans le cadre de la relance des PTCE, grâce à la mise en place de nouveaux dispositifs financiers attendus au printemps 2021.

La thèse en sciences de gestion de Saniossian (2020), repose sur une recherche-intervention (Aggeri, 2016) longitudinale dans les Hauts-de-France entre 2017 et 2020 auprès de 12 PTCE et de leur écosystème régional. Ils ont été étudiés par le biais de 47 entretiens informels, 52 observations participantes, 84 entretiens semi-directifs, 23 interventions et l’analyse de 300 documents. Cette recherche-intervention nous a permis d’identifier le processus de création des PTCE « en train de se faire » par les interactions et échanges avec l’ensemble des acteurs interviewés.

Un processus de création en 3 étapes : de l’organisation pilote à la structuration collective

Nos résultats permettent d’identifier un modèle à la fois théorique et pratique concernant le processus de création des PTCE. Ce modèle décrit l’implication des organisations à travers trois étapes dans les cas où le PTCE est mis en place avec succès.

Dans la première étape – l’impulsion individuelle – l’organisation pilote (celle qui initie l’envie de porter un projet collectif et s’entourer d’autres parties prenantes pour développer de nouvelles activités, elle porte alors juridiquement et légitimement le projet collectif) joue le rôle central en raison de son implication et de sa propre logique d’action. Les pratiques de l’organisation pilote consistent en une ouverture pour permettre la communication sur le projet de PTCE et l’intégration de membres. Par conséquent, le processus de création peut s’arrêter à ce stade si l’organisation pilote a des difficultés à faire adhérer les organisations du territoire en tant que membres.

Si l’organisation réussit à intégrer des membres, le processus de création passe à la deuxième étape – les groupes divisés – où l’intégration des membres est variable et dépend de la nature des organisations impliquées. Cette situation produit des groupes divisés (un noyau dur d’organisations similaires impliquées dans les espaces opérationnels et stratégiques et un groupe d’organisations diversifiées qui sont intégrées au compte-goutte dans certains espaces opérationnels) dans le processus d’adhésion. Cependant, ce groupe divisé peut développer des activités et des réalisations dans des dispositifs collectifs, tels que des groupes de travail communs. À la fin de cette étape, les membres ont des liens et une implication différente dans les pratiques du PTCE.

Il est donc nécessaire de dépasser cette étape et de clarifier les processus d’organisation du PTCE pour permettre l’implication de toutes les natures d’organisation. La troisième étape – le groupe collectif – se développe alors avec l’intégration de tous les membres dans les dispositifs de gouvernance et de stratégie. Cette intégration favorise les activités collectives, partagées et créatives entre les membres. Les membres mettent en place  collectivement des expériences de gouvernance et de coopération économique. À la fin de cette étape, les PTCE « en devenir » sont devenus des PTCE effectifs, ayant alors recours à une structuration juridique mutualisée.

Par exemple, nous avons observé comment l’émergence d’un PTCE sur un territoire permet d’interroger l’ensemble des acteurs du territoire sur les besoins de ce territoire. La définition de ces priorités est une occasion de réunir des acteurs autour de thématiques sociétales et environnementales : mobilité en zone rurale, alimentation locale et durable, artisanat et commerce de proximité ou encore insertion des jeunes. Ces échanges, associés à une logique d’expérimentation de réponses innovantes, conduit à la création de nombreuses activités socio-économiques co-portées par les acteurs impliqués : une coopérative jeunesse de services, un garage solidaire ou encore un magasin partagé. Aujourd’hui, les acteurs questionnent le besoin de partager collectivement les décisions et la gestion du PTCE dans une structure juridique partagée, afin de permettre une gouvernance, une stratégie et un modèle économique collectif.

L’implication des organisations parties prenantes : effet levier de la création du PTCE

Le processus de mise en place des PTCE, guidé par l’implication des organisations parties prenantes, s’appuie sur plusieurs leviers d’action se combinant de différentes façons :

  • La mise en place d’espaces réunissant les organisations parties prenantes autour d’une vision commune de territoire,
  • Le développement d’activités socio-économiques co-imaginées, gérées et partagées entre les membres, et,
  • La participation à la construction du cadre politique et réglementaire visant à faire du PTCE un dispositif d’action publique territorialisée.

Le cas des PTCE renouvelle donc la vision traditionnelle du processus de création des « méta-organisations » (Valente & Oliver, 2018), ces organisations composées d’autres organisations. Les fédérations professionnelles, l’ONU ou la FIFA sont par exemple des méta-organisations, tout comme les PTCE. Mais la particularité d’un PTCE est d’être composé d’organisations variées, comme des collectivités locales, des associations et des entreprises.

Ainsi, notre modèle montre le rôle prépondérant de l’organisation pilote dans l’émergence du PTCE et la nécessité de recourir à une perspective pratique et opérationnelle pour fédérer les acteurs multiples à co-créer des activités socio-économiques. La structuration juridique du PTCE (et donc la création d’une méta-organisation multi-parties prenantes à proprement parler) est alors utilisé comme un moyen de co-gérer et partager les prises de décisions collectives, plutôt que comme une fin en soi.

Jennifer Saniossian, Christel Beaucourt et Xavier Lecocq

Références

Ahrne, G., Brunsson, N. (2008). Meta-organizations. Edgar. Cheltenham.

Aggeri, F. (2016). La recherche-intervention : fondements et pratiques. In A la pointe du management. Ce que la recherche apporte au manager. Motti, N. Barthélémy. J. Dunod. Paris.

Berkowitz, H. & Dumez, H. (2015). La dynamique des dispositifs d’action collective entre firmes : Le cas des méta-organisations dans le secteur pétrolier. L’Année sociologique, 2(2), 333-356.

Valente, M., Oliver, C. (2018). Meta-organization formation and sustainability in sub-saharan Africa. Organization Science. 1-24.

Saniossian J. (2020). Le processus de création des méta-organisations multi-parties prenantes. Le cas des pôles territoriaux de coopération économique (PTCE). [Thèse en sciences de gestion]. Université de Lille.