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Les impacts socio-économiques du dispositif public des Ateliers Santé Ville

En 2000, le Comité interministériel des villes a encouragé des expérimentations en matière de santé sur les territoires prioritaires de la politique de la ville et a introduit le dispositif des Ateliers Santé Ville (ASV), piloté par des agents communaux. Ces commissions de travail, organisées à l’échelle des Quartiers Prioritaires de la Ville (QPV), ont pour objectif de réduire les inégalités sociales et territoriales dans l’accès aux droits de santé, à la prévention et aux soins. Sont réunis associations, habitants, établissements sanitaires, professionnels de santé libéraux, institutions et collectivités territoriales du territoire.

Si les ASV sont perçus comme un levier de la démocratie sanitaire locale, certains élus doutent de leur efficacité. Malgré les données existantes (Motard, Tessier 2016), les Mairies peinent à démontrer les impacts socio-économiques de ce dispositif. Comment évaluer ces impacts ? Une recherche-intervention, conduite par l’ISEOR en 2018-2019, utilisant la méthodologie de l’évaluation socio-économique (Savall, Goter, 2021), a permis d’identifier et de mesurer les performances cachées des ASV. 2 quartiers ont été choisis pour une approche contrastée. 62 personnes, dont 33 à deux reprises, ont été interviewées pour recueillir les impacts sociaux et économiques (Savall, Goter, Bondin, 2019).

Sur le plan social, les ASV assurent une meilleure interconnaissance des partenaires. La connaissance des missions et rôles respectifs permet de développer davantage de coopération et de synergies dans le cadre d’actions telles que, par exemple, le dépistage du cancer du sein. Les réunions de travail favorisent la remontée d’informations de terrain. Les groupes de travail favorisent la découverte de solutions communes. Une montée en compétences des partenaires est constatée, tant sur l’ingénierie de projet que dans le domaine de la santé. En identifiant les besoins des usagers par des partenaires sur le terrain, l’ASV propose des actions stratégiques plus pertinentes et efficaces du point de vue de la santé publique.

Sur le plan économique, la mutualisation des compétences et des ressources matérielles permet de réaliser des actions qui n’auraient pu voir le jour sans le travail en réseau. Elle permet de réaliser des économies et autofinance le travail en réseau. D’autre part, les partenaires ASV gagnent du temps dans la mobilisation de leur réseau, dans les projets et l’accompagnement des usagers. Deux types d’impacts économiques ont été identifiés. Ils constituent des performances cachées d’un dispositif public, car ils ne sont habituellement pas mesurés :

  • des coûts évités : Les ASV évitent des dépenses de santé et réduisent les temps passés par l’ensemble des acteurs agissant sur le parcours de santé des usagers.
  • des captations de ressources : Les ASV mobilisent des ressources matérielles, financières et de temps passés par tous les acteurs consacrés à améliorer la santé des usagers.
Captation de ressources
Gains de subventions d’actions de promotion et de prévention de la santé
Co-construction d’activités de santé publique avec les habitants
Montée en compétences des structures associatives et des professionnels
Coûts évités
Mutualisation de moyens sur les événements
Meilleurs orientation et accès aux droits et aux soins
Amélioration de l’hygiène de vie des usagers
Moindre augmentation du nombre de bénéficiaires de l’Affection Longue Durée (ALD)
Accès rapide à l’information pour les partenaires et informations croisées
Doublons d’actions de santé évités
Gains de temps sur la réalisation d’un diagnostic et sur la mise en place d’un projet
Synthèse de la nomenclature des coûts évités et des captations de ressources
Exemple de calcul co-produit avec des partenaires ASV : le groupe de travail ASV organise des activités physiques visant à réduire l’isolement des femmes moins coûteuses que les activités physiques de droit commun. 50 habitantes du quartier participent aux ateliers :  50 habitantes x 10 % x 3493 € (dépense moyenne par personne liée à une maladie cardio-vasculaire), soit plus de 17 100 € de dépenses de santés évités.

Dans le quartier A, la performance économique dégagée est de 925 600 € par an, grâce à l’affectation et à la mobilisation de 8 personnes (ETP : partenaires, coordinatrices, chef de la mission santé). Dans le quartier B, elle est de 747 700 € (8,75 personnes ETP).

Performances cachées totalesCoûts évitésCaptations de ressources
Quartier A925 600 €498 200 €427 400 €
Quartier B747 900 €687 000 €60 700 €

En conclusion, les ASV génèrent des performances cachées : celles dont on ne parlait pas et que l’on n’avait pas mesurées. Ainsi la Ville a les moyens de pérenniser le dispositif ASV qui dégage une performance socio-économique pour le territoire, supérieure à ce qu’il coûte (budgets alloués, temps passé par les agents de la Ville). Ces résultats montrent que le dispositif ASV, intéressant du point de vue de la santé publique, est économiquement viable (Savall, Cappelletti, Raphan, 2020).

Françoise Goter et Véronique Zardet

Références
Savall H., Goter F., Bondin L. (2019), Évaluation socio-économique des Ateliers Santé Ville, Rapport ISEOR, 333 p.
Savall H., Goter F. (2021), « Comment évaluer les impacts socio-économiques d’un dispositif public ? », Article publié dans l’Observatoire ASAP.
Motard C. & Tessier S. (2016). « Les démarches Ateliers santé ville : la promotion de la santé à l’œuvre dans les territoires », Santé Publique, 6(6), 729-733.
Savall H., Cappelletti L., Raphan P. A. (2020), poster le CNAM et ISEOR, « La méthode des coûts-performances cachés : outil stratégique et opérationnel d’évaluation des politiques publiques », Les rencontres de l’évaluation, Assemblée Nationale, 13 février 2020.
Savall H. et Zardet V. (1987). Maîtriser les coûts et les performances cachés, Le contrat d’activité périodiquement négociable, prix Harvard l’Expansion de management 6e stratégique, Economica, édition en 2015. (Traduit en anglais : Mastering Hidden Costs, IAP, Charlotte : NC, 2008).