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Que peuvent apporter les technologies numériques au fonctionnement du CNU ?

Premier semestre 2022, les start-ups françaises ont levé 8,4 milliards d’euros ce qui place la France au second rang européen. Les seules trois premières semaines de l’année ont vu naître cinq licornes Ankorstore, Exotec, Payfit, Qonto et Spendesk. Elles rejoignent ainsi des entreprises comme ContentSquare qui, après avoir levé en mai 2021 500 millions de $, vient de nouveau de boucler un tour de table de 600 millions de £ et ainsi se voir évaluer à plus 5,5 Milliards. Spécialiste de l’optimisation des sites au travers de l’analyse des données utilisateurs, les 1500 collaborateurs de ContentSquare analysent 3200 milliards d’interactions chaque mois.  Si les technologies numériques environnent et aussi façonnent nos organisations, elles n’en finissent pas néanmoins d’inquiéter leurs utilisateurs potentiels. Pourtant, la seule véritable inquiétude à avoir n’est-elle pas celle de ne pas les utiliser ?

Comme toute organisation, le CNU est concerné par l’usage des technologies numériques (Bidan et al., 2022). Ces dernières peuvent, d’une part, venir en soutien des activités traditionnelles du CNU mais également permettre l’exercice de nouvelles missions. Certes, il convient d’être humble. On ne passe pas d’un fichier Excel non maîtrisé à des milliards de données analysées. Ce n’est pourtant pas une raison pour ne pas proposer et surtout ne pas mettre en place des avancées.

Commençons par aborder le rôle que le numérique pourrait jouer en soutien aux activités traditionnelles du CNU.

En matière d’aide aux activités actuelles du CNU, le logiciel R, outil bien connu par les spécialistes d’analyse de données, en marketing, en systèmes d’information mais aussi en finance, peut incontestablement affiner l’étude des dossiers des candidats (notamment, à l’aide d’un des packages associés à ce logiciel). Ainsi, par exemple, il peut être possible, en analysant le texte contenu dans le dossier du candidat, mais aussi le texte des résumés de ses publications, de cibler ses centres d’intérêts mais aussi de voir sa progression thématique. Les packages dédiés au Natural Language Processing (NLP) sont nombreux et peuvent faire émerger des caractéristiques non décelables par une simple lecture aussi attentive qu’elle puisse être. La qualité d’écriture d’un auteur peut également être évaluée à partir de la complexité du vocabulaire qu’il utilise.

Comme toute organisation faisant régulièrement l’objet d’un renouvellement de ses membres, la question de la mémoire du CNU se pose : mémoire des processus d’évaluation, des candidats, des dossiers, des décisions prises, des contextes historiques et institutionnels dans lesquels les décisions ont été prises. En segmentant un dossier en plusieurs sujets (enseignement avec le nombre d’heures et le type de publics, recherche avec les publications et les projets etc.) et en croisant ces éléments avec les décisions et avis donnés, il est possible, années après années, de garder une mémoire du travail d’évaluation réalisé par le passé et ce d’une manière structurée. Ainsi, des règles ou des formes (patterns en anglais) pourront émerger. Le fait de pouvoir définir des « formes », des profils de dossiers et de les comparer ensuite aux résultats obtenus lors des sessions précédentes, via des techniques de machine learning, permettra, dans un second temps à l’évaluateur, confronté à un dossier conséquent de rapidement mettre en lumière les zones perfectibles et d’amélioration de ce dernier. Les technologies numériques contribuent donc à un traitement plus qualitatif des dossiers dans la mesure où elles fournissent aux rapporteurs des indicateurs, des informations autrefois non disponibles car noyées dans la quantité des éléments disponibles. Cette aide devrait substantiellement les aider dans leur travail d’évaluation.

Mais, plus en avant, l’analyse des données pourrait permettre de donner des conseils au candidat et aussi de prédire des trajectoires de carrière. On entre ici dans le second aspect liant numérique et CNU : l’ouverture vers de nouvelles missions. En effet, le numérique pourrait positionner le CNU comme centre national de détection des jeunes candidats talentueux mais aussi comme centre de prévention pour des personnes décrochant avec la possibilité de leur apporter des conseils en montrant le ou les points problématiques. Certes, le CNU donne déjà des conseils mais de manière sporadique et surtout sans complétement tenir compte de l’ensemble des autres dossiers, mais surtout sans capacité d’analyse prédictive. Pourtant, le CNU, instance nationale, constitue le bon niveau qui permet de disposer des données permettant ces conseils. En effet, à ce niveau national, ce sont l’ensemble des dossiers qui remontent et qui peuvent être comparés. Le niveau local, lui ne peut avoir suffisamment de données (vision parcellaire) et le niveau international pose des questions de référentiel de comparaison. D’ailleurs concernant ce niveau international, le risque majeur réside dans le fait que des organisations ou associations s’emparent de cette mission et que finalement les conseils et les analyses prédictives soient opérés sans contrôle et connaissance des modalités et en totale déconnexion avec le Ministère. Google Scholar, Academia ou ResearchGate pourraient donc occuper ce rôle.

Enfin, proposons aussi, dans le cadre des nouvelles missions envisagées pour le CNU, d’utiliser les réseaux sociaux pour que cette instance devienne le lieu de promotion nationale des universitaires français. En effet, les réseaux sociaux sont un moyen de promotion sans égal et le CNU constitue un lieu dans lequel une grande partie des dossiers des enseignants chercheurs français est rassemblée. Dans le but de valoriser davantage, auprès notamment des acteurs du monde socio-économique, tant au niveau national qu’international, la qualité et la diversité de la production scientifique en sciences de gestion et du management, le CNU pourrait recourir aux traditionnels réseaux sociaux, tels que Twitter et LinkedIn, pour diffuser toute cette richesse informationnelle dont il dispose. Il s’agirait en quelque sort de diffuser des éléments saillants et positifs issus des travaux du CNU sur les réseaux sociaux.

En conclusion, technologies numériques et CNU peuvent et doivent entrer en synergie. La prise de conscience des membres du CNU 06 est actée et la motivation est au rendez-vous quant à l’utilisation de ces outils. Les technologies, de leur côté, existent. Il reste donc à attendre l’impulsion de la tutelle, notamment au niveau d’une meilleure structuration des données en ligne. A cette occasion, le CNU 06 pourrait être la section de test et de conseil pour favoriser cette impulsion.

Jean-François Lemoine et Jean-Fabrice Lebraty

Références :

Bidan, M., Lebraty, J.F., Lemoine, J.F., et Lesca, N. (2022). Technologies et CNU : une nécessaire synergie, La disputatio au cœur du management. Débats et controverses, A. Deville et al. (eds.), Presses Universitaires de Provence (PUP), pp. 203-222.