partie 1, revue de littérature
De nombreux secteurs de l’industrie moderne appliquent des technologies (IA, digitalisation, plate-formisation…) pour automatiser les processus de routine. Dans ce contexte, il est important de noter que l’art contemporain et la culture en générale ne font pas exception. Diverses technologies de l’information et solutions innovantes sont activement misent en œuvre dans le domaine de l’art, ce qui contribue à l’augmentation du potentiel créatif et au développement de nouvelles formes d’expression artistique. L’impact de l’IA et des technologies sur l’identité professionnelle des artistes est un sujet complexe où tout n’a pas encore été compris. Ces technologies autant fascinantes qu’angoissantes propose de multiples défis aux artistes qu’ils soient source de créativité et d’innovation, ou utilisées pour remplacer et ainsi diminuer la valeur travail des artistes. Etudier les enjeux des technologies pour les artistes à travers le prisme de l’identité professionnelle nous amènent à entrer dans la sphère psychologique, sociologique de ce métier présentiste.
Ce premier volet propose une revue de littérature visant à explorer les transformations que l’on peut attendre de l’identité professionnelle face aux nouvelles technologies, en s’attardant sur 2 dimensions clés : la conceptualisation, la construction identitaire.
L’identité professionnelle : une conceptualisation
L’identité professionnelle peut être définie comme la perception qu’a un individu de lui-même en tant que travailleur, en fonction de ses valeurs, ses compétences, ses expériences et ses aspirations professionnelles (Dubar, 1991). Elle se construit à travers l’interaction entre l’individu et son environnement professionnel, ce qui inclut ses collègues, ses supérieurs hiérarchiques, les clients et les organisations dans lesquelles il travaille. Dubar évoque deux dimensions de l’identité professionnelle : la dimension cognitive, représentations que les individus ont de leur profession, de leur compétences et de leur rôle, et la dimension affective elle renvoie aux sentiments et aux émotions que les individus éprouvent à l’égard de leur profession.
L’identité professionnelle est étroitement liée à l’identité sociale, qui correspond à la part de l’identité d’un individu qui découle de son appartenance à des groupes sociaux (Tajfel & Turner, 1986). L’identité professionnelle peut être considérée comme une sous-catégorie de l’identité sociale, plus spécifique au contexte du travail. Elle est influencée par l’identité sociale de plusieurs manières. D’une part, les groupes sociaux auxquels appartient un individu peuvent influencer ses choix professionnels et son développement identitaire au travail (Barbuto, 2005). D’autre part, les expériences vécues au travail peuvent influencer la perception qu’a un individu de lui-même et de sa place dans la société (Goffman, 1961).
L’identité professionnelle est aussi la façon dont les différents groupes de travailleurs s’identifient aux pairs, aux chefs, au groupe. Elle est fondée sur des représentations collectives distinctes, et est le résultat d’une identification à l’autre, en fonction de l’investissement de soi dans les relations sociales (Sainsaulieu, 1985).
Ces liens entre identité professionnelle et identité sociale peuvent être sources de tensions pour les individus. Par exemple, un individu peut se sentir tiraillé entre son identité professionnelle et ses valeurs personnelles (Ashforth & Mael, 1989). De même, il peut être confronté à des situations de discrimination ou de harcèlement au travail en raison de son appartenance à un groupe social particulier (Gutek, 1985). La technologie ainsi que les réseaux sociaux impactent en profondeur l’image des acteurs d’eux-mêmes, notamment sur les questions d’authenticité et de légitimité, mais aussi des acteurs qui l’entourent.
Construction de l’identité professionnelle
La construction de l’identité professionnelle est un processus dynamique et continu qui se déroule tout au long de la vie professionnelle d’un individu (Dubernet, 2007). Ce processus est influencé par plusieurs facteurs, tels que les expériences vécues au travail, les interactions avec les autres, les formations suivies et les modèles de réussite auxquels l’individu s’identifie (Van Maanen & Schein, 1979). Plusieurs modèles théoriques ont été développés pour expliquer les processus de construction de l’identité professionnelle. Par exemple, le modèle de l’interaction symbolique (Goffman, 1961) met l’accent sur le rôle des interactions sociales dans la construction de l’identité. Le modèle du récit de vie (Bruner, 1991) souligne l’importance des récits que les individus se construisent pour donner du sens à leurs expériences professionnelles.
Si l’identité professionnelle se construit au fil du temps et des expériences (Becker, 1963), elle n’en reste pas moins influencée de valeurs et normes sociales qui évoluent, qui changent, s’adaptent au fil des époques adoptant ainsi une dimension dynamique et processuelle (Dubar, 2001). Les artistes sont particulièrement touchés par cette dynamique part la temporalité de leurs œuvres sur lesquels les regards et la critique peuvent se retrouver à l’opposé du contexte situationnel d’origine (Benjamin, 1936). Par exemple, jusque dans les années 1980, l’imitation notamment dans le secteur de la musique était souvent décriée, déclassée, l’originalité légitimant l’œuvre artistique mais la création d’un nouveau secteur, celui des industries créatives, puis la proclamation d’une nouvelle économie, l’économie créative, les activités et produits créatifs tendent de ce fait à se substituer à la « création » (Paris, 2007). L’identité professionnelle semblent moins se porter sur l’originalité artistique que sur la réussite commerciale, l’incertitude et le risque des marchés créatifs favorisant ce positionnement identitaire.
En conclusion, l’identité professionnelle est un concept complexe et multidimensionnel au cœur de la compréhension du comportement humain au travail. En tant que forme particulière de l’identité sociale, elle est influencée par les interactions entre l’individu et son environnement professionnel. Lorsqu’il y a une évolution majeure dans le secteur, l’identité professionnelle tant à muer avec celle-ci. La compréhension des processus de construction de l’identité professionnelle et de ses implications pour les individus et les organisations est essentielle pour le développement de meilleures pratiques de gestion des ressources humaines et pour la création d’environnements de travail plus sains et plus productifs.
Nous explorerons dans un deuxième volet le regard d’acteurs du secteur culturel sur les innovations technologiques, notamment l’IA, pour tenter d’en soulever les possibles tensions identitaires.
Références
Ashforth, B. E., & Mael, F. (1989). Social identity theory and the organization. The Academy of Management Review, 14(1), 20–39
Barbuto, J. E. (2005). Motivation and Transactional, Charismatic, and Transformational Leadership: A Test of Antecedents. Journal of Leadership & Organizational Studies, 11, 26-40
Becker (1963), Outsiders: Studies in the sociology of deviance
Benjamin W. (1936), Allemands – Une série de lettres
Bruner, J. (1991). The Narrative Construction of Reality. Critical Inquiry, 18, 1-21
Dubar C. (1991), La socialisation : construction des identités sociales et professionnelles, Paris, Armand Colin
Dubar C. (2001), La crise des identités. L’interprétation d’une mutation
Dubernet A. (2007), « Parce que je le vaux bien… ». Bilan de compétences et promotion de soi
Goffman, E. (1961). Asylums: Essays on the social situations of mental patients and other inmates. Doubleday (Anchor)
Gutek Barbara A. (1985), Sex and the Workplace: The Impact of Sexual Behavior and Harassment on Women, Men, and Organizations
Paris T. (2007), Organisation, processus et structures de la création
Sainsaulieu R. (1985), l’identité en entreprise
Tajfel, H. and Turner, J.C. (1986) The Social Identity Theory of Intergroup Behavior. In: Worchel, S. and Austin, W.G., Eds., Psychology of Intergroup Relation, Hall Publishers, Chicago, 7-24
Van Maanen & Schein (1979), Towards a theory of organizational socialization