A l’heure où la France se cherche des leaders politiques pour la relève d’Emmanuel Macron en 2027, il est intéressant de s’interroger sur ce qui fait leur réussite à leur émergence dans nos démocraties libérales. Paul Saint-Pierre Plamondon, chef du Parti Québécois au Québec, offre un cas exemplaire d’une figure à haut potentiel, quoiqu’encore très minoritaire. Il coche toutes les cases du modèle du « héros-leader » qui occupe mes recherches depuis une dizaine d’années. Rien de prédictif, toutefois : un outil de réflexion pour comprendre la structure des stratégies.
Un leader politique émerge en ce moment au Québec : Paul Saint-Pierre Plamondon, « PSPP » en raccourci, 46 ans, chef du Parti Québécois et député. Il représente encore un poids modeste, puisque son parti a 3 élus à l’Assemblée qui en compte 125. Après l’élection partielle dans la circonscription de Jean-Talon à Québec qui aura lieu le 2 octobre prochain, il en aura peut-être 4. Rien encore de fracassant. Mais, d’après la matrice de la réussite qui occupe mes recherches depuis une dizaine d’années (voir références en fin d’article), je peux diagnostiquer qu’il sature déjà les sept critères du « héros-leader » dans nos sociétés contemporaines.
Y a-t-il des enseignements à tirer pour nos candidats potentiels de 2027 ?
(i) Être solide sur ses objectifs. PSPP défend une MISSION. C’est le b.a.-ba du leadership : avoir un projet clair. Dans son cas, l’objectif est la renaissance du mouvement indépendantiste au Québec et son aboutissement en Québec-pays. Il l’énonce vers le milieu des années 2010, justifiant son action par l’idée qu’« à moyen terme, la question de l’indépendance du Québec reviendrait en force ». La mission est de Rebâtir le camp du oui, titre de son livre en 2020. Le cadre identitaire qu’il installe est celui d’un peuple « bienveillant, courageux, rêveur ».
(ii) Savoir nager à contre courant. PSPP a une aptitude à la DIVERGENCE. C’est une autre clé du leadership naissant (pensons à De Gaulle) : se distinguer de la norme. Son coup le plus visible : il restera le premier député de l’histoire québécoise, et canadienne, à ne pas prêter serment au roi d’Angleterre au moment de son accession au Parlement. Il s’en voit, de ce fait, interdire l’entrée. Le personnage est tout l’inverse d’un béni-oui-oui qui se niche au confort du camp dominant. Depuis le référendum de 1995, perdu de peu par les indépendantistes (à 0,5% près), le mouvement n’a plus le vent en poupe. Il y a là, chez PSPP, un potentiel héroïque : relever le défi en situation de handicap. Des suffrages pourront lui venir de cette preuve de courage.
(iii) Privilégier la coopération. PSPP se signale par un effort vers l’ENTENTE. Pas de polémique inutile, pas de stratégie de la controverse : l’inverse d’un Trump. Même lors de l’épisode d’avoir eu à tourner talons lors de l’interdiction d’entrer au Parlement, politesse et mesure guident les députés concernés. PSPP nourrit une confiance dans la parole partagée. Il appelle les militants à « sortir, parler, convaincre », ce qu’il applique à lui-même : lors de la campagne de 2018, PSPP fait du porte-à-porte, accompagné, l’hiver, par sa femme enceinte, et, l’été suivant, toujours avec sa femme, la poussette en plus. La coopération s’installe selon un motif fractal, qui se répète à plusieurs échelles : familiales, au sein du parti, avec les adversaires politiques, dans l’espace public, avec la société et ses différentes composantes.
(iv) Ne pas avoir peur du rapport de forces. PSPP ne rechigne pas à la COMPÉTITION. Les sujets de discorde sont mis sur la table sans ambages : l’état-nation universaliste (québécois) versus le multiculturalisme post-national (canadien) ; le « racisme antiquébécois », dont PSPP écrit qu’il est « la seule forme d’intolérance qui soit socialement acceptable au Canada anglais » ; la difficile cohabitation du français et de l’anglais, avec, à l’horizon, ni plus ni moins qu’une question de « survie linguistique et culturelle » pour le Québec francophone. PSPP défend l’idée qu’« il y a un gouvernement de trop » entre le niveau fédéral canadien et le niveau provincial québécois. Il suggère qu’« une véritable gouvernance environnementaliste implique de pouvoir se détacher des choix polluants du Canada ». Sur cette base, sans surprise, les campagnes se déroulent avec « énormément de pression ».
(v) Être un grand acteur. PSPP, comme tout leader politique, assume une dimension de RÔLE. Il a lui-même animé une émission de radio et tenu des chroniques à la télévision pendant des années. Lors d’une entrevue abordant toutes les objections lancées à son encontre, il se montre à l’aise, plein d’humour : « ça fait ben des pucks » (une « puck » est le palet du hokey sur glace, sport national au Québec et au Canada ; « ça fait ben des pucks » veut dire « ça fait beaucoup de palets à arrêter » quand on est gardien de but.) PSPP théorise en professionnel que « la politique est une question d’images autant que d’idées ». Des narratifs se dessinent : avec ses deux autres collègues élus du PQ au Parlement, ils sont « les trois mousquetaires », ce qui colle bien à leur image de rebelles défendant des causes qui les dépassent.
(vi) Être une personne de corps et de sentiment. PSPP est mû par son INTÉRIORITÉ. Aujourd’hui, pas de grand acteur qui ne soit branché sur sa sensibilité, ses émotions. Le jeu doit être vivant, authentique, personnel. Le public doit y croire. Sur ce registre, il arrive que PSPP soit ému aux larmes, comme, par exemple, un jour d’élection où il attend, devant les caméras, les résultats. Il a sa fille dans ses bras. Il commence à parler devant un petit groupe, et, d’un seul coup, il a un sanglot : « Je suis émotif… », avoue-t-il. PSPP est mû par une éthique de la conviction, il parle même de « conviction fondamentale », il se dit « fidèle à ses rêves de jeunesse ». S’il assume qu’il est fatigué après une campagne, c’est qu’il est impliqué de tout son corps.
(vii) Englober des injonctions en tension entre elles. PSPP sait naviguer parmi les PARADOXES. Un journaliste ne s’y trompe pas qui décerne à PSPP le surnom de « Paul Saint-Pierre Paradoxal ». Je ne citerai ici qu’un exemple de tension : d’un côté, PSPP se réclame d’un projet souverainiste pour le Québec et d’une fierté pour la culture québécoise (la MISSION), et de l’autre, sur un plan biographique, il est diplômé de McGill, l’université anglophone de Montréal, et d’Oxford, établissement british s’il en est, puis il a connu une carrière internationale d’avocat qui l’a tenu éloigné de sa terre (DIVERGENCE par rapport au cadre de la MISSION centrée sur le Québec). Plamondon explicite que, pour lui, un changement de monde est intervenu à mi-carrière : parcours international dans sa vingtaine et retour au pays dans sa trentaine. Il y gagne, dit-il, le recul pour inscrire le Québec dans le concert des nations. De plus, c’est en voyageant qu’il a découvert comment les autres peuples vivent leur fierté nationale, ce qu’il souhaite désormais pour le Québec. Cette capacité à marcher en équilibre sur des chemins de crête donne au leader politique un potentiel de rassemblement.
Nos leaders politiques français, chacun ou chacune selon son programme, auraient-ils à en prendre de la graine ?
Références :
Fournout O. (2013), “Société, cinéma et ingéniérie relationnelle. L’action du héros et du leader”, Communication, Université Laval/Québec, vol.32/1: https://journals.openedition.org/communication/4854
Fournout O. (2016), “The Hero-Leader Matrix in Business and Cinema”, Journal of Business Ethics, vol. 141: https://link.springer.com/article/10.1007/s10551-016-3063-4
Fournout O. (2022), Le nouvel héroïsme, puissances des imaginaires, Presses des Mines, Paris : https://www.pressesdesmines.com/produit/le-nouvel-heroisme/