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Peut-on disrupter la variable temps dans les transformations ?

Dans un monde où tout irait plus vite, la variable temps semble paradoxalement figée dans les théories de transformation. Par exemple, Il est communément admis chez les consultants que le temps entre 2 réorganisations importantes dans un grand groupe est de 3 ans soit 18 mois entre la définition de la stratégie et sa réalisation. On trouve ainsi nombre de règles sanctuarisant la variable temps. Il faut 3 ans pour faire un produit ou encore 10 ans pour qu’une innovation de rupture disrupte un marché.

Quand la variable temps devient un enjeu de business

Transformer impliquerait ainsi un temps très significatif allant de plusieurs mois à plusieurs années. Des outils comme le diagramme de PERT (Program Evaluation and Review Technique) sont utilisés en gestion de projet pour optimiser ce temps ou éviter des dérives. La courbe de deuil régulièrement utilisée par des coachs et consultants affiche les différentes étapes pour qu’un changement soit accepté par les salariés. La variable temps serait donc nécessaire à toute transformation en plus d’être significative, ne serait-ce que par le facteur humain. Si le diagramme de PERT est bien un outil efficace pour réduire les délais sur un projet, la courbe de deuil est un sophisme utilisé pour vendre des produits. Elle ne relève d’aucune recherche faite sur les réorganisations, étant juste transposée opportunément pour en faire un argument commercial certes percutant. Les clients seront effectivement réceptifs à l’idée que la résistance annoncée face à une transformation qu’ils veulent réaliser n’est qu’une question de temps, le salarié passant invariablement par diverses étapes qui commenceraient par le déni pour finir dans une quête de sens et enfin la sérénité. Ce sophisme a été utilisé chez France Telecom pour justifier la résistance des salariés, oubliant que cette dernière peut être le symptôme d’un rejet initialement non verbalisé. Le consulting se traduit concrètement par des heures facturées. La variable temps est la composante majeure de son chiffre d’affaires. Elle lui est donc nécessaire et se doit d’être significative. Par extension, elle devient également nécessaire et significative dans les recommandations proposées aux clients aux exceptions d’usage prêt. Ce qui ne se facture pas n’existe pas en consulting. A sa décharge, comment déterminer financièrement la valeur d’un conseil ?

Les limites de la normalisation

 Il est plus surprenant de retrouver une variable temps prédéterminée par la recherche dans des théories sur des stratégies. Une transformation bouscule la norme. Chercher à normer ce qui est par nature hors norme constitue un bel oxymore. Une stratégie s’inscrit pleinement dans l’action, ayant un début et une fin. Elle se construit par le bas en fonction d’un contexte et d’un environnement donnés, sur ce que la stratégie veut toucher, les moyens que l’entreprise peut et/ou veut se donner. Elle est donc singulière. La théoriser est d’autant plus risqué qu’elle s’applique sur peu de cas étudiés (ou étudiable en raison de leur éventuel caractère exceptionnel), ce qui ajoute un fort biais de représentativité. La variable temps dans les transformations est traitée comme la conséquence des actions opérationnelles prédéfinies. Que se passe-t-il quand elle constitue le cœur de la stratégie ?

Le travail confiné : disrupteur de la variable temps

En ce sens, le travail confiné mis en place durant la crise sanitaire représente un cas unique pour la recherche (et pour les entreprises) dans l’histoire des réorganisations. Il réduit les biais à une portion congrue, ayant touché l’ensemble des entreprises concernées par cette possibilité. Quelles que soient leur taille ou encore le secteur dans lequel elles interviennent, les entreprises ont réussi leur confinement avec des degrés variable dans l’efficacité produite. On entend régulièrement que 50% ou plus des transformations échoueraient. Tout était réuni pourtant pour obtenir un taux d’échec important. Pire, tout projet de transformation de cette importance incluant une durée quasi nulle ne serait-il pas tué dans l’œuf par principe ? Et pourtant, à l’échelle des transformations classiques d’organisation, le travail confiné a vu sa variable temps proche de 0, s’établissant de quelques heures à quelques jours selon les entreprises pour un succès généralisé. Elle a ainsi remis en cause son côté nécessaire et/ou significatif. Comment l’ensemble des entreprises concernées ont-elles su déjouer chacune de leur côté ce principe ? Il faut chercher ailleurs que les classiques freins que l’on retrouve depuis 10 ans sur les réseaux sociaux et qui mériteraient d’être tout autant questionné à l’aune du travail confiné.

Loïc Le Morlec