Univers boudé par la recherche en sciences de gestion, terrain inconnu ou étudié sous le prisme de la consommation presque exclusivement, l’univers de la musique metal revêt pourtant d’innombrables opportunités d’études. Théorie des organisations, marketing, management, stratégie, comportement et relation des acteurs sont autant de disciplines permises par ce champ organisationnel.
La musique metal : un univers dédaigné et pourtant omniprésent
Le champ de la musique metal est beaucoup étudié en sociologie et musicologie pour mettre en avant le caractère déviant d’une communauté vers un extrême au travers des représentations culturelles données par le genre. Néanmoins, si les précurseurs du style dans les années soixante-dix ont cherché à s’émanciper d’un univers formalisé et institutionnalisé, les nouvelles normes de consommation du service musical et celles du marketing imposent aux acteurs de se conformer aux règles du marché. Aujourd’hui, la culture metal sert de référence dans les outils culturels et promotionnels (cinéma, télévision, photographie, jeux vidéo, publicité) où le côté extrême explicite de son art est utilisé pour mettre en avant certains sentiments et émotions : la colère, le malheur, l’agressivité, la déviance politique, l’excitation etc.
Le style metal a connu une très forte démocratisation à l’aube des années 90/00 avec l’émergence de groupes mondialement reconnus (Metallica, Iron Maïden pour les plus anciens, Korn, Slipknot, Limp Bizkit, Linkin Park dans les années 2000) et aussi avec l’essor d’émissions consacrées au style sur les chaînes de télévision dédiées à la musique (exemple : MCM, MTV) ou conventionnelles (Arte avec l’émission tracks). Depuis, la musique metal n’a cessé de s’orienter vers des musiques de plus en plus extrêmes (Death metal, GrindCore, HardCore, Black metal etc.) et développer de nouveaux styles fusionnés à d’autres communautés, avec le hip-hop (nu metal, exemple : Limp Bizkit en duo avec Xzibit, Snoop Dog etc.), le jazz et le classique (metal prog, exemple : Dream theater, Horns etc.), avec l’univers électro (exemple : Korn en duo avec Skrillex) ou encore avec le reggae (exemple : Skindred).
Un style très codifié et transposable
Des signes distinctifs, des tenues vestimentaires remarquées, un langage approprié, le metal offre une multitude de codes, de références qui, à l’instar des communautés de motards ou du luxe, soulèvent d’importantes questions relatives à la science de gestion (Keith Kahn-Harris, 2016). Les dynamiques multiculturelles, les actions anticonsuméristes, l’identité professionnelle, la valeur perçue, la légitimité, la co-création etc. sont des théories aisément applicables à l’univers étudié. La recherche d’identité y est ici très présente ce qui favorise certains comportements qu’il est pertinent d’étudier (Guibert, 2015).
Il existe un nombre important de sous-style du metal avec pour chacun des codes et comportements très différents qui peuvent s’appliquer à d’autres terrains d’études. Par exemple le Hardcore (HXC) est un style extrêmement agressif qui propose des références sociétales dans ses textes comme pour le rap underground ; le black metal (scènes et personnages très théâtralisés) agit par transgression à l’ordre religieux et a donné lieu au style vestimentaire gothique ; le death metal est un style à la technique de jeu des instruments hautement savante où la composition rejoint souvent avec le modèle de la musique classique. Ces différences proposent aux chercheurs un terrain de recherche élargi lui permettant d’y appliquer un ensemble varié de théories issues des sciences de gestion.
Un terrain soumit à de fortes tensions et paradoxes
Les metalleux sont aujourd’hui soumis à de fortes tensions. Musique de niche, le metal est depuis 20 ans en pleine ascension et connaît une progression fulgurante sur les plateformes de streaming (+154 % entre 2017 et 2018) mais reste minoritaire dans les styles de musique les plus écoutés (19 % des consommateurs des musiques dans le monde écoutent du metal selon l’IFPI). Au départ, emmené par une vague de comportement anticonformiste dans les années soixante-dix, l’environnement metal est confronté à la loi du marché ce qui crée un paradoxe entre l’idéologie de référence et la réalité des comportements (Gerő and Sik 2020). À titre d’exemple, le festival Hellfest (festival consacré à l’univers metal) se déroule sur trois jours et est le festival le plus cher de France (289 € les trois jours pour 2022) et pourtant les places se vendent 9 mois à l’avance ! Le metalleux est un passionné qui est prêt à dépenser beaucoup pour suivre sa communauté.
Il en est de même pour les artistes eux-mêmes, très souvent oubliés de la recherche mais qui doivent pourtant s’insérer dans un univers qu’ils désapprouvent dans leurs chansons (antisocial, Trust). Il est aujourd’hui nécessaire pour les artistes de savoir manipuler d’une part les outils marketing pour être écoutés afin de se produire en live, le nombre de vue d’un groupe sur YouTube lui donnant éventuellement le droit d’accéder à certaines scènes, et les outils numériques, dans un processus de composition souvent à l’inverse de la culture, croyances et pratiques du métal, mais imposé par les exigences des plateformes de streaming musical (Deezer, Spotify).
« Certains artistes qui réussissaient dans le passé pourraient bien ne plus réussir dans le futur. On ne peut pas enregistrer de la musique tous les trois ou quatre ans et penser que cela va suffire », Daniel Ek, CEO Spotify, 2020
Le monde de la musique metal est un terrain riche dont l’hermétisme ne doit pas être un frein à la recherche. Beaucoup de groupes que nous avons rencontrés dans le cadre de nos travaux se sont montrés très ouverts et désireux de leur métier et de leur art. Tout comme les autres terrains sensibles, il faut travailler avec le metalleux une relation de confiance et une familiarité qui ne peuvent s’instaurer que par une présence dans la durée.
Références
Kahn-Harris, Global Metal Music and Culture: Current Directions in Metal Studies, 2016
Guibert, Représentation des usages sociaux de la musique metal, 2015. DOI : 10.4000/volume.4427
M. Gerő, E. Sik, The Moral Panic Button: construction and consequences, 2020
Lüthe et S. Pölhmann, Unpopular Culture, 2016. DOI : 10.5117/9789089649669
A. Blanc et I. Huault, Reproduction de l’ordre institutionnel face à l’incertitude : Le rôle du discours des majors dans l’industrie musicale, 2010.
Dutraive et B. Szostak, essai sur les caractéristiques et les ambivalences du paradigme de l’économie créative, 2021. DOI 10.4000/rei.10289