Source de l’image : Tableau Co2 de Corinne Rubens
Le 9 mars dernier, Lolita Rubens a soutenu son Habilitation à Diriger les Recherches en psychologie sociale à l’Université d’Aix-Marseille. Cette HDR portait sur le changement de comportement dans le domaine de l’environnement, et plus particulièrement le paradigme de l’hypocrisie et les feedbacks liés à l’énergie. L’objectif était notamment de favoriser le changement de comportement en rendant les interventions proposées par la psychologie sociale les plus adaptées, efficaces et simples à mettre en place.
La première partie présentait les recherches sur le paradigme de l’hypocrisie induite. Après avoir défini et présenté le paradigme, notamment en précisant les interprétations théoriques proposées pour expliquer les effets de l’hypocrisie induite, une explication alternative de ces effets était proposée. Lolita Rubens et ses collègues considèrent ainsi que les individus placés en situation d’hypocrisie induite ressentent de la dissonance cognitive, non pas parce que leur image de soi est menacée (même si cela peut être le cas), mais plutôt parce qu’ils perçoivent une inconsistance entre une norme sociale qu’ils connaissent, et ont même parfois internalisée, et leurs comportements passés allant à l’encontre de cette norme. L’application du paradigme de l’hypocrisie induite au domaine de l’environnement a ensuite été considéré, en particulier en explorant l’impact que pouvait avoir le délai existant entre l’intervention induisant l’hypocrisie et l’adoption du comportement cible proposé pour réduire la dissonance éveillée. Il a été montré que la procédure d’hypocrisie induite est sensible au délai. Ainsi, lorsque les participants n’ont pas eu la possibilité d’adopter le comportement cible immédiatement après l’intervention, ils ne l’ont pas adopté du tout. Enfin, à travers une méta-analyse portant sur les travaux menés dans le cadre du paradigme de l’hypocrisie induite, trois questions importantes ont été étudiées. Il a été montré que 1) la procédure d’hypocrisie induite permettait d’avoir un impact effectif sur les comportements et les intentions comportementales, 2) les participants qui rappelaient uniquement leurs comportements transgressifs passés déclaraient des intentions comportementales plus élevées que les participants des groupes « contrôle ».
La seconde partie de l’HDR regroupait les travaux menés sur les feedbacks incitant aux économies d’énergie. Après avoir présenté les enjeux spécifiques à la thématique de l’énergie et l’approche méthodologie interdisciplinaire, croisant les apports de la psychologie sociale, de la sociologie et des sciences de l’ingénieur, deux recherches longitudinales ont été présentées. Dans la première, il a été montré que les Bâtiments Basse Consommation, même s’ils sont conçus avec le souci d’une efficacité énergétique maximale, ne suffisent pas à garantir de faibles consommations des personnes y vivant. Ces bâtiments, en tant que contexte apprenant, qui auraient pu éveiller aux enjeux énergétiques et permettre aux individus d’accéder plus facilement à une prise de décision environnementale ou des comportements responsables, ne suffisent pas à amener les habitants à modifier leurs comportements. De même, les feedbacks normatifs proposés ne sont que peu parvenus à modifier la consommation des personnes considérées. Lorsque cela a été le cas, les changements étaient difficiles à mettre en place. Pour modifier leurs habitudes énergétiques, les individus devaient adopter une posture réflexive sur le long terme, et le profil des personnes influençait leur appropriation des données proposées. Dans la seconde recherche, c’est l’impact de la sensibilité et de l’expertise des individus par rapport à la thématique de l’énergie qui a été étudié, notamment sur la réception des feedbacks proposés. Ceux-ci étaient travaillés de sorte à ce qu’ils soient les plus accessibles et facilement appropriables par tous et toutes (en n’utilisant pas d’unité de mesure pour les données de consommation, par exemple). Il a été observé que les personnes ayant déjà été sensibilisées à l’énergie quelques années plus tôt étaient celles qui avaient le plus confiance dans leur capacité à changer de comportement et qui avaient les habitudes d’économies d’énergie les plus importantes. Il semble qu’il existe ce que l’on pourrait appeler une « culture de l’énergie » qu’il conviendra de mieux définir et appréhender.
Pour conclure, il était rappelé qu’il est essentiel de travailler sur des comportements réels, et en s’appuyant systématiquement sur une méthodologie scientifique rigoureuse, permettant d’assurer la reproductibilité et la pertinence des interventions testées et proposées. Même s’il est maintenant avéré que les efforts individuels ont un impact loin d’être négligeable dans la baisse de l’empreinte carbone de la France et que ces « petits gestes » individuels sont également positivement liés à un certain type d’engagement politique (en particulier les manifestations ou l’activisme en ligne) et à la mise en place d’actions collectives, il semble qu’il est important de considérer un niveau d’impact supérieur. De plus, ce travail de recherche s’est fait en co-construction avec les acteurs de terrain, les personnes les plus susceptibles de nous renseigner sur les pratiques en place au début de notre travail et également parfois la meilleure façon de les aborder. Ce travail en co-construction semble essentiel afin de mieux mobiliser les normes sociales et le répertoire collectif d’alternatives pro-environnementales qui peuvent être solidarisantes.