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Une collectivité territoriale face à la transformation numérique

Cet article a pour objectif de relater comment se traduit la transformation numérique conduite au sein d’une collectivité territoriale. Il repose sur des observations menées au sein d’une commune de vingt-sept mille habitants, située dans le département du Val-de-Marne.

Le développement et l’influence croissante des outils numériques dans la société et dans les organisations de travail revêtent de multiples enjeux et problématiques (fracture numérique, infrastructures et réseaux, modification des conditions de travail, modalités et temps de formation, organisation du temps de travail, ouverture à de nouveaux marchés, réglementation et sécurité des données, etc.).

Au sein de l’administration publique, ce secteur est rattaché, depuis octobre 2019, à la Direction interministérielle du numérique (DINUM), un service du Premier ministre placé sous l’autorité de la Ministre de la Transformation et de la Fonction publique. La DINUM pilote la transformation numérique du service public. Elle mène dans ce cadre plusieurs programmes en direction des territoires (France relance, transformation numérique des territoires, etc..).

À l’échelle des collectivités territoriales cette transformation numérique prend des aspects différents, selon les volontés politiques et le tissu économique du territoire. Les chercheurs Amel Attour et Christian Longhi évoquent dans un article intitulé la fracture numérique, le chainon manquant, les déterminants de l’investissement des collectivités dans ce secteur en distinguant deux segments de cette transformation numérique : l’investissement dans les infrastructures et l’utilisation des solutions numériques dans les relations aux usagers. Nous reprenons cette distinction au sein de nos observations.

Dans cette commune, la transformation numérique fait apparaître des disparités entre les services et au sein des structures. L’absence d’une direction dédiée au numérique est une première observation importante. En début d’année 2022, un diagnostic acté par le Maire (pour des propositions d’organisation, de fonctionnement et de perspectives de développement dans ce domaine) a montré la nécessité de fixer des priorités et d’apporter une cohérence globale aux multiples initiatives des directions et services de la collectivité.

Une direction des services de l’information nécessaire pour plus d’efficience

Au niveau des infrastructures, la commune a impulsé un raccordement à la fibre avec un opérateur privé pour l’ensemble de son territoire. En 2022, la quasi-totalité du territoire communal est désormais reliée au haut débit par la fibre. Par ailleurs, les services de la Mairie sont répartis sur plusieurs structures et elles ne sont pas encore tous rattachées au même réseau ne facilitant ni le travail collaboratif ni les échanges de documents entre les services. Cela induit de nombreux envois de courriels et impose parfois le recours à des réseaux virtuels privés (Virtual Private Network (VPN)) pour se connecter au réseau principal du centre administratif. Ces deux conséquences, liées à l’état actuel du réseau local, sont devenues aujourd’hui des enjeux identifiés, tant pour la sobriété énergétique que pour la sécurité des infrastructures. Cette absence de réseau unique externalisé ne favorise pas non plus le télétravail et rend difficile l’activité à distance en temps de crise sanitaire. Le matériel informatique actuel, principalement composé de postes fixes, pose aussi problème car la flotte d’ordinateurs portables est limitée à une quinzaine d’ordinateurs (pour plus de cinq cent agents). Cette observation reste toutefois à relativiser car comme la majorité des communes, la Ville, support de cette étude, emploie en grande partie des agents de catégorie C (environ soixante-dix pour cent de l’effectif global) pour lesquels l’utilisation d’un ordinateur n’est pas toujours nécessaire (l’annuaire courriel de la collectivité comporte d’ailleurs aujourd’hui environ deux cents adresses).

L’harmonisation des pratiques dans les services pour améliorer les relations aux usagers

Les relations aux usagers se caractérisent par l’utilisation d’une solution de Gestion des Relations Usagers (GRU). Elle permet aux différents services municipaux de traiter une demande quelque soit le canal de communication (courriel, demande au guichet d’accueil, courrier, appel téléphonique, portail citoyen) utilisé par l’usager. L’ensemble des services a accès à ce logiciel et peut interagir avec les autres services et/ou avec les usagers. Ces derniers bénéficient d’un portail numérique en ligne leur permettant de prendre rendez-vous avec la Mairie, de stocker des documents et de les partager avec certains services, d’effectuer des demandes en ligne (inscription scolaire, demande d’occupation de la voie publique, candidatures, etc..), de payer des factures et d’être également informés sur l’état d’avancement de leur(s) demande(s). Les divers constats effectués sur le terrain montrent que l’utilisation adéquate de cette solution varie selon les services et que le rôle joué par l’encadrement, dans le recours à cette solution, s’avère déterminant. Les services qui n’utilisent pas la solution sont majoritairement ceux dont le directeur et/ou les chefs de service n’incitent pas les agents au recours régulier à cet outil. Ce mode de fonctionnement pèse sur les relations à l’usager et apporte moins de garantie pour un suivi fiable du traitement des demandes. Cette situation peut créer de fait localement une discrimination en matière d’égalité d’accès aux services publics. Par ailleurs, pour les usagers, cette solution GRU ne reste qu’un moyen de communication parmi d’autres (page Facebook de la ville, formulaire contact du site internet, « chatbot »).

Ces diverses observations montrent les difficultés rencontrées par une organisation en cours de transformation. Dix ans après les articles de Thierry Weibel et Jean-Pierre Corniou sur les enjeux et difficultés observés dans le domaine du numérique par le secteur public et plus particulièrement les collectivités territoriales, semblent toujours d’actualité.

Maxime Blanc

Références

Attour Amel, Longhi Christian, « Fracture numérique, le chaînon manquant. Les services d’e-administration locale dans les communes françaises », Les Cahiers du numérique, 2009/1 (Vol. 5), p. 119-146.

Corniou Jean-Pierre, « La transformation numérique au service de la croissance », dans : Dominique Reynié éd., Innovation politique 2012. Paris cedex 14, Presses Universitaires de France, « L’innovation politique », 2012, p. 337-372. DOI : 10.3917/puf.fond.2012.01.0337.

Weibel Thierry, « Administration 2.0 », dans : Dominique Reynié éd., Innovation politique 2012. Paris cedex 14, Presses Universitaires de France, « L’innovation politique », 2012, p. 297-323. DOI : 10.3917/puf.fond.2012.01.0297.