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L’absentéisme ou le mythe de Sisyphe appliqué aux RH

Dans le « mythe de Sisyphe » de Camus, l’on découvre entre autres, en Sisyphe, le malheur de l’homme personnifié et l’absurdité de notre condition. Mais l’on retrouve surtout sans que l’on y prenne trop garde la volonté constante, la pugnacité de celui qui s’accroche à la vie et lutte envers et contre tout. Faire le parallèle entre ce mythe et l’absentéisme pourrait paraitre osé, mais dans les faits ne cherchons nous pas depuis des années et des années à pousser notre rocher visant à contenir un absentéisme en croissance constante.

Si l’on ne tient pas compte de ces deux dernières années (au regard des conditions très particulières liées à la pandémie du Covid-19), force est de constater que l’absentéisme est un phénomène en croissance relativement régulière depuis 2010 et ceci bien que les entreprises et les établissements publics se soient emparés depuis bien plus longtemps encore du problème à grand renfort de plans de lutte contre l’absentéisme.

Contre-visites médicales, Entretiens de ré accueil et qualité de vie au travail …

Classiquement les mesures mises en œuvre recouvrent quatre champs tels que régulièrement présentés par l’ANACT :

  • La réglementation avec des mesures dissuasives contre l’absentéisme et dans une moindre mesure des mesures incitatives au renforcement de la présence ;
  • La prévention en travaillant notamment sur l’organisation du travail et les politiques de prévention santé ;
  • Les pratiques professionnelles au travers de l’organisation et les pratiques « RH » et de diagnostics sociaux ;
  • La sensibilisation / Communication au travers de plans de communication et de la sensibilisation de l’encadrement aux bonnes pratiques d’organisation du travail ;

Lorsqu’on les examine, l’on constate que ces plans de lutte contre l’absentéisme sont majoritairement, pour ne pas dire quasiment exclusivement constitués d’actions alternant selon la formule populaire, « la carotte et le bâton ». Contre-visites médicales, entretiens de ré-accueil, incitations financières, formation des managers et actions ponctuelles visant à réduire la pénibilité au travail constituant la panoplie usuelle des DRH et Managers du quotidien.

Et si on se passait du livre de recette « La gestion de l’absentéisme pour les nuls » ?

Au-delà de la relative simplicité de mise en œuvre de ces outils, se pose la question de l’adaptation des mesures aux réalités de l’organisation et de son corps social. Les outils d’analyse restent relativement frustres et surtout peuvent induire les décideurs en erreur. Trop souvent les entreprises et organisations publique ont une lecture de l’absentéisme au travers de quelques tableaux de bord, historiques et très souvent simplistes, conçus sur la base de tableaux génériques pouvant servir de « benchmark ». Sans contester la qualité et la rigueur du travail d’organismes comme Sofaxis, Amying ou Malakoff Mederic (pour ne citer que les baromètres absentéisme les plus connus), que penser d’informations telles que : « le taux d’absentéisme des hommes est de 3,54 % alors que celui des femmes est de 5,3 »[1]. Le genre serait facteur d’absentéisme ? Cette différence n’est-elle pas due à d’autres facteurs, liés aux postes de travail notamment ? Chercher à se comparer à des chiffres globalisés et décontextualisés a-t-il un sens ? En l’absence de pratiques « Analytiques RH », il n’est pas possible de répondre et l’on se contente trop souvent d’outils statistiques descriptifs limités aux médianes, moyennes et quartilles sur des populations que l’on cherche à comparer.

L’analyse des données d’absentéisme doit se libérer des idées préconçues. Il s’agit d’abandonner les schémas préétablis qui nous font nous focaliser sur quelques comparaisons du type « hommes / femmes » ou par Service. Pour y arriver, il nous faut des analyses statistiques approfondies, qui identifient les variables significatives. Ceci nécessite de disposer de l’ensemble des événements d’absence (date de début, date de fin, motif…) ainsi qu’un grand nombre de données sur le corps social de l’organisation (genre, âge, ancienneté, poste, rythme de travail, indice de risque du poste, fonction, historique professionnel, statut, adresse, etc …) sur plusieurs années en tenant compte de l’évolution des situations des collaborateurs/agents. Dans un second temps l’on travaillera à redresser les effectifs de la population ainsi étudiée et à identifier les niveaux de corrélation entre les variables ou les combinaisons de variables.

A titre d’illustration, nous avons pu mettre en évidence dans certaines structures (notamment hospitalières) l’impact de la taille des équipes, de la distance domicile/travail en fonction des rythmes de travail, la qualité des déplacements (avec ou sans correspondance dans les transports en commun), l’impact au bout d’un certain nombre d’années de certains métiers en terme d’usure physique ou psychologique, l’absence d’impact du genre, l’impact du non remplacement des absents, etc… Autant d’éléments qui permettent alors un véritable traitement de fond du phénomène de l’absence des collaborateurs et agents.

Sans une profonde réflexion sur la manière dont nous devons travailler nos données d’absentéisme, nous resteront condamnés tels Sisyphe à pousser nos plans de lutte contre l’absentéisme toujours sur le même sentier.

L’absentéisme : Sisyphe ou tonneau des Danaïdes ?

Contenir l’absentéisme est bien entendu une préoccupation actuelle, mais le contenir est rendu plus complexe encore par l’évolution du contexte dans lequel évoluent nos organisations. Dans le rapport au ministre chargé de la Sécurité sociale et au Parlement sur l’évolution des charges et produits de l’Assurance Maladie au titre de 2019, l’assurance maladie a mis en évidence l’augmentation des montants d’indemnisation des arrêts maladie entre 2010 et 2016 avec une accélération à compter de 2014. Ceci se traduit par une augmentation sur la période de 15 % des montants d’indemnisation correspondant à une augmentation de 13% du nombre de journées indemnisées et +7 % du nombre d’arrêts. Parmi les facteurs explicatif de cette forte croissance l’on peut noter l’accroissement de la part des bénéficiaires de plus de 60 ans concomitamment à l’allongement notable de la durée des arrêts. Prudemment, les auteurs de l’étude indiquent que « L’évolution de la structure d’âge des arrêts peut être la conséquence des réformes des retraites car elles ont augmenté la participation des personnes les plus âgées au marché du travail. ». Sans même présumer des évolutions possibles de notre système de retraite, il conviendra d’anticiper l’impact du vieillissement des effectifs tant d’un point de vue macro-économique que sur le plan de l’entreprise, car l’absentéisme coûte cher, que ce soit en coût direct qu’en coûts de désorganisation et de démobilisation des équipes.

François GEUZE

[1] L’absentéisme représente en moyenne 17,2 jours par an et par salarié du privé – Le Monde 06/09/2018

Références

Pertinant G., Richard S., Storhaye P. (2017), Analytique RH. Paris Editions EMS, 216p.