Le Covid et l’automatisation ont unis leur force pour former une équipe diabolique. Selon la nouvelle étude de l’Organisation Internationale du Travail, 1,25 milliard de travailleurs sont employés dans les secteurs identifiés comme courant un risque élevé de licenciements. Bien que la restructuration vise à accroître l’efficacité et la rentabilité d’une structure, elle n’atteint souvent pas les objectifs souhaités, notamment en raison des conséquences négatives pour les salariés restants appelés alors les « survivants ». En effet, face aux changements organisationnels, le comportement des employés est conditionné par la façon dont l’entreprise traite l’ensemble des autres parties prenantes. Ce phénomène est encore plus prononcé dans le cas d’une restructuration de la main-d’œuvre, où la perception des survivants, et leur implication, dépendent de la façon dont les victimes sont traitées (van Dierendonck et Jacobs, 2012). Les réflexions menées sur la notion de légitimité dans la prise de décision nous permettent de dégagés des pistes pour faciliter la réussite de la restructuration.
Légitimité économique
Il est tout à fait logique de suggérer que la réduction des effectifs est l’option la moins néfaste lorsque le ralentissement de l’économie oblige les entreprises à réduire leurs coûts pour rester sur le marché. Mais s’agit-il du dernier recours pour une organisation, ou bien se tourne-t-elle vers la réduction des effectifs comme l’une des premières options ? En d’autres termes, les personnes sont-elles traitées comme des fins, plutôt que comme des moyens ? En matière de légitimité économique, on distingue deux types de justifications aux décisions entraînant un licenciement de masse. La première renvoie aux restructurations dites « proactives », elles s’intègrent alors dans une stratégie intégrée visant à accroître l’efficacité par des mesures de réduction des coûts (réorganisation des services, mesure d’économie budgétaire,…). Les restructurations « réactives », renvoient, quant à elles, à décisions issues de difficultés financières. Dans le service publique, cela renvoi à la « suppression de poste », même s’il faut reconnaître que la procédure est moins souple et qu’elle est coûteuse pour les collectivités qui y recourent. Elle n’est cependant pas que théorique. La littérature sur la légitimité postule que les employés perçoivent les décisions de restructuration comme étant plus justes (et, par conséquent, plus « légitimes ») lorsqu’elles sont justifiées par des causes qui ne relèvent pas de la responsabilité de l’entreprise à l’image des restructurations proactives (Deegan, 2019). Toutefois, la légitimité économique ne suffit pas à garantir le soutien et l’engagement de l’ensemble des parties prenantes à la politique de restructuration. Pour obtenir ces derniers les organisations doivent relever les défis d’une légitimité plus globale qui doit prendre en considération la légitimité morale et cognitive.
Légitimé morale et cognitive
Une organisation présente une légitimité cognitive lorsqu’elle aligne ses actions pour être congruente avec les attentes sociétales perçues (Basu et Palazzo, 2008) à son tour, elle incarne une légitimité morale lorsqu’elle se conforme aux attentes normatives d’un environnement institutionnel particulier (Deegan, 2019). Étant donné que les mesures de restructuration de la main-d’œuvre sont centrées sur les employés, qu’ils soient victimes ou survivants, le fait de se conformer aux normes sociales et donc de faire preuve d’un comportement éthique et socialement responsable va au-delà d’une simple application des exigences légales (Rodrigo Aqueveque, et Duran, 2019). Dans ce contexte, les organisations peuvent utiliser des pratiques de Responsabilité Sociale des Entreprises (RSE) non seulement pour se conformer aux exigences de la légitimité régulatrice, mais aussi pour enrichir leur légitimité morale. Ces implications sont encore plus pertinentes si l’on considère que les employés appliquent des modèles différents de ceux des autres parties prenantes pour évaluer l’authenticité des pratiques de RSE de leur propre entreprise (Aguinis et Glavas, 2019). Par conséquent, les employés pénaliseront les entreprises qui mettent en œuvre des actions stratégiques socialement responsables visant principalement la maximisation des profits. Lors de licenciements réactifs, induits par des difficultés financières, des niveaux initialement élevés de RSE contribuent à atténuer les effets négatifs de la restructuration sur la productivité des employés dans les cas de restructuration de faible ampleur, tandis que dans les cas de restructuration de grande ampleur, la productivité des employés est soutenue par des investissements continus dans la RSE (Cornea, Titova et Le Roy, 2021).
Ainsi la restructuration est une stratégie d’entreprise qui est principalement implémentée pour des raisons purement économiques (légitimé économique) alors même que ses conséquences sont finalement conditionnées par les pratiques éthiques (légitimé morale). Lorsque la dimension de la légitimité est ignorée, les actions managériales sont susceptibles de ne pas atteindre les résultats escomptés et de générer l’effet inverse. Les entreprises devraient donc être vigilantes quant aux niveaux initiaux de leurs pratiques de RSE avant d’annoncer un événement de restructuration impliquant un licenciement massif. En outre, la poursuite de l’investissement dans les pratiques sociales après une restructuration de grande ampleur causée par des difficultés financières contribue à atténuer l’effet négatif de la restructuration sur la productivité des survivants.
Références
- Aguinis, H., & Glavas, A. (2019). On corporate social responsibility, sensemaking, and the search for meaningfulness through work. Journal of management, 45(3), 1057-1086.
- Basu, K., & Palazzo, G. (2008). Corporate social responsibility: A process model of sensemaking. Academy of management review, 33(1), 122-136.
- Deegan, C. M. (2019). Legitimacy theory: Despite its enduring popularity and contribution, time is right for a necessary makeover. Accounting, Auditing & Accountability Journal.Cornea, D., Titova, Y., & Le Roy, J. (2021). Caring for survivors: Do CSR policies matter for post‐restructuring employee performance?. Business Ethics, the Environment & Responsibility.
- Rodrigo, P., Aqueveque, C., & Duran, I. J. (2019). Do employees value strategic CSR? A tale of affective organizational commitment and its underlying mechanisms. Business ethics: A European review, 28(4), 459-475.
- Van Dierendonck, D., & Jacobs, G. (2012). Survivors and victims, a meta‐analytical review of fairness and organizational commitment after downsizing. British Journal of Management, 23(1), 96-109.