Voici près d’un siècle que l’orientation « informer, éduquer, divertir » de Lord Reith, premier dirigeant de la BBC, fait figure de table de la loi pour l’audiovisuel public dans le monde. Seulement, voilà : en un siècle, le niveau moyen d’éducation – et d’éducation aux médias, en particulier – a cru dans des proportions saisissantes. Désormais, l’audiovisuel public ne dispose plus du monopole qui fut le sien, loin de là. L’Internet a étendu à l’infini le champ des possibilités aux dépens de la radio-télévision nationale, dont l’avenir et les perspectives font encore l’objet d’âpres discussions.
Ainsi, le projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et à la souveraineté culturelle à l’ère numérique, enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 5 décembre 2019, a pour motif explicite de faciliter le « tournant numérique » de nos radio-télévisions publiques. De quelle façon ? En rassemblant l’audiovisuel public sous une holding commune, intitulée « France Médias », afin de constituer une « BBC à la française », selon les mots du Président Emmanuel Macron.
Ce projet de réforme est symptomatique de l’interventionnisme de l’Etat français dans son rapport à l’audiovisuel public. Reliquats du passé, le repli national et la quête sans cesse recommencée d’une gouvernance optimale ne correspondent pas aux enjeux du moment. Nous proposons quelques propositions simples pour laisser les producteurs de radio et de télévision réinventer l’audiovisuel public de demain avec une plus grande liberté, que l’on pourrait résumer de ma manière suivante : plus de publicité, moins de contrôle étatique et davantage d’Europe.
Proposition 1 : Supprimer la publicité sur le service public et financer le manque à gagner de cette mesure par une universalisation de la Contribution à l’Audiovisuel Public (CAP). Toutes les résidences (hors exonérations sociales) pourraient être assujetties à la CAP, qu’elles disposent d’un téléviseur ou non. Cette mesure, notamment en vigueur en Allemagne, poserait un symbole fort : comme l’hôpital, l’école ou l’université, l’audiovisuel public pourrait être financé par ceux qui les fréquentent, comme par ceux qui ne les fréquentent pas.
Proposition 2 : Libérer l’audiovisuel public français de sa tutelle poli- tique. Limiter à une fois par quinquennat les discussions parlementaires sur le budget de l’audiovisuel, de façon proche à ce qui se fait dans les pays voisins de la France (en Grande-Bretagne, la redevance est revue tous les dix ans ; en Allemagne, tous les quatre ans). Limiter les inter- ventions du ministère des Finances sur ses financements. Réfléchir à la suppression du lien entre les composantes du service public audiovisuel français et le ministère de la Culture, relique de l’époque de la RTF. Enfin, envisager la suppression du droit offert au CSA de révoquer un président de groupe audiovisuel public avant la fin de son mandat.
Proposition 3 : Faire de l’appartenance de la France à l’Europe le levier de la réussite de son audiovisuel. Constituer au sein de chaque composante de l’audiovisuel public une « cellule UER », chargée de financer des programmes, des séries ou des documentaires impliquant au moins un autre média de service public membre de l’UER – c’est-à-dire européens, mais au sens large. Les producteurs choisis pour cette coproduction disposent, de plein droit et sans négociation, de la totalité du financement dont ils ont besoin ainsi que d’une case de diffusion, dans la grille ainsi que sur les espaces de replay du média financeur. Enfin, il s’agit de se donner pour objectif de faire adopter au Parlement européen un principe d’« exception culturelle », excluant les activités de l’audiovisuel public du champ de la concurrence libre et non faussée.