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Durabilité, soutenabilité, résilience, transition : une question de sens ou de direction ?

A l’ère de l’Anthropocène, durabilité, soutenabilité, résilience, transition égrènent les impératifs du changement. Il n’est plus question de savoir si l’économie sera en capacité de s’adapter à l’épuisement des ressources énergétiques fossiles mais si cet épuisement, la perte tragique de la biodiversité, l’artificialisation irraisonnée des espaces, leur pollution, l’acidification des océans, le gaspillage des eaux douces, ces causes et conséquences du réchauffement climatique, auront raison du modèle économique actuel, du tout croissance et tout progrès. Il n’est donc plus question du « Si » mais du « Quand ». Les Meadows (1972) posaient ainsi la question : Le système économique en épuisant sa matière première (« overshoot ») survivra-t-il à lui-même (« collapse ») ? Plusieurs concepts proposés par les experts scientifiques ont été adoptés par la sphère politique (décideurs) et citoyenne pour estimer ce « Quand » et envisager les solutions et les changements à engager pour le dépasser. Cependant, que nous disent les concepts de durabilité, soutenabilité, résilience et transition sur notre compréhension des enjeux et nos manières d’envisager les solutions ? Les lignes qui suivent cherchent à clarifier leur définition et leurs principaux apports et limites pour appréhender notre « Anthropo-scène » en tension à l’heure du réchauffement climatique.

La durabilité est définit par l’OCDE en 2005 comme « l’utilisation de services et de produits qui répondent à des besoins essentiels et contribuent à améliorer la qualité de la vie tout en réduisant au minimum les quantités de ressources naturelles et de matières toxiques utilisées, ainsi que les quantités de déchets et de polluants tout au long du cycle de vie du service ou du produit, de sorte que les besoins des générations futures puissent être satisfaits ». Le concept de durabilité envisage la consommation et l’ensemble des processus qui y conduisent comme des pratiques à modifier (l’économique) dans une perspective conservationniste (préservation des ressources environnementales) et sociale. Il y est donc question de responsabilité et de responsabilisation des acteurs contemporains que nous sommes dans une logique intergénérationnelle. Le concept de soutenabilité est plutôt appliquée à la sphère économique et aux inévitables efforts que doivent fournir les acteurs du système économique pour limiter son impact multifacteurs alors que ses objectifs de rentabilité court-termiste et de recherche d’optimalité fiscale sont fondamentalement remis en cause par les crises provoquées par le réchauffement climatique. Laurent Eloi signale une déconnexion existentielle des économistes avec leurs « oikos » fondateurs (économiques et écologiques). Il rappelle que cette perte de sens des économistes avec les origines de leur pratique, le rapport au physique (l’environnement) et au social (l’humain), explique leur incapacité récurrente à « atténuer les crises jumelles du 21e siècle – les crises de l’inégalité et de la biosphère ». Le terme soutenabilité est, aussi parfois, employé comme synonyme de durabilité. Durabilité et soutenabilité semblent ainsi principalement faire appel à des changements en termes de pratiques et d’usage en incitant, par le changement de nos pratiques de production, de distribution et de consommation et le renouvellement des indicateurs économiques de gouvernance, à la sobriété. Les hommes et leurs actions raisonnées en termes de responsabilité sociétale sont le noyau de la synergie vertueuse de la dynamique du changement salvateur. Ces deux concepts sont « Homocentriques ».

Les concepts de résilience et de transition, au contraire, formulent une approche différente des changements inévitables qu’imposent le réchauffement climatique et les crises multiples qu’il amplifie. Ils ne se résument pas aux modifications que les activités humaines doivent réaliser mais les replacent dans un système qui les englobe, un système écologique. La résilience (Holling, 1973) est définit comme la capacité d’un système à absorber les perturbations qu’il subit sans que ces perturbations le détruisent. Un système résilient n’est donc pas uniquement un système qui retourne à l’état d’équilibre les précédant. Le système (quel qu’il soit) peut s’adapter, se réorganiser et trouver un nouvel équilibre qui lui permette d’échapper à l’effondrement. La résilience est ainsi, à la fois, une question de persistance, de flexibilité par des ajustements incrémentaux et de transformations. Le concept de transition évacue la possibilité de persistance du système. Les transformations incrémentales sont possibles et font écho aux modes de vie que suppose la sobriété. Mais surtout, les transformations doivent être globales. Il n’est pas question d’une économie plus sobre en étant moins financièrement avide mais de faire appartenir à l’histoire les concepts économiques qui régissent les marchés pour en forger de nouveaux essentiellement différents. Il n’est pas question d’être plus efficace dans l’extraction et la gestion des ressources quelles qu’elles soient ou d’être moins frivoles dans sa consommation mais de repenser les pratiques en prenant en compte les bénéfices écologiques mutuels des changements de pratiques (au-delà des sociétés humaines en intégrant les relations biotiques et abiotiques avec lesquelles elles sont connectées). Il est question de réseaux dans lequel l’homme occupe une place parmi d’autres et non leur centre. La transition ne se résume pas à des changements de modes de vie aussi drastiques soit-ils mais impose une « terraformation » inversée (et non colonisatrice) et une refonte de notre rapport à nos environnements en tenant compte des capacités des éléments des systèmes qui les composent à s’équilibrer. La linéarité des procédés humains comme la recherche de la maximisation des rendements dans un espace/temps qui logiquement, selon la doctrine économiste de maximisation des profits, doit être successivement raboté, doit être remplacée par leur circularité. Et, surtout, par la libération de l’espace et du temps pour faciliter la régénération des éléments du système qui en ont la capacité et permettre aux nouveaux éléments qui le modifient fondamentalement de trouver leur équilibre. Empêcher que notre planète se réchauffe au-delà des 1,5°c préconisés par les experts du GIEC n’est pas un objectif, c’est une étape, un effort à fournir pour que le monde à connaître en 2100 ne relève pas de l’utopique abaissement des tensions imposées par le réchauffement climatique. Les concepts de résilience et transition reposent sur une vision écosociotechnique des transformations à engager. Si les experts les manipulant proposent des scenarii, ils exposent d’abord une compréhension multi-échelles des changements opérants, compréhension qui s’inscrit dans des géographies et insiste sur l’importance du choix du niveau spatiale auquel les solutions doivent être appliquées (la région, la nation). Les interconnexions des collectifs, celles des individus et des individus avec les collectifs, des collectifs avec leurs environnements non humains sont essentiels. Rappelons nous, avec Humboldt, alors que le réductionnisme imprime les dynamiques de nombreux secteurs d’activité économiques, techniques et scientifiques, que l’aphorisme primaire de l’écologie est que toutes choses sont interconnectées.

Laurent Tarnaud