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VERDIR LA FINANCE : Misons sur l’engrais plutôt que sur la coloration

Sous-titre: Le rôle de l’enseignement et de la recherche universitaires

En partenariat avec la revue française de gestion (classée rang 2 FNEGE) et le projet NEMESIS – labellisation RFG

La finance « verte » désigne l’ensemble des initiatives de financement portées par le secteur privé, les pouvoirs publics et les autorités de régulation au profit d’investissements bénéfiques à l’environnement et la biodiversité[i]. Porteuse d’espoir, elle contribuerait ainsi à dessiner un monde plus équitable, en accord avec un des principaux traits de la déesse Némésis. La montée en puissance de cette finance verte pose cependant un certain nombre de questions.

La finance verte sur le devant de la scène

La finance verte connaît un essor considérable depuis la COP21 et l’Accord de Paris de 2015. Ce dernier a notamment donné un coup d’accélérateur aux émissions d’obligations vertes. Par la suite, d’autres instruments financiers tels les billets de trésorerie, les prêts durables et même les opérations de titrisation se sont colorés en vert[ii]. Cette montée en puissance est d’autant plus marquée que le secteur des énergies renouvelables n’a pas été affecté par la crise sanitaire[iii]. Côté épargnants, la concomitance de l’augmentation de l’épargne de sécurité et la quête de sens engendrée par la crise sanitaire offre un terrain favorable pour investir dans le « vert »[iv]. Le financement participatif constitue un des leviers de cet engagement citoyen[v]. A l’approche des élections présidentielles, les chroniques et livres blancs[vi] se multiplient pour appeler à une réglementation fondée sur le triptyque incitation/contrôle/ sanction et à « fixer le cap pour que la finance devienne écolo »[vii].

La finance verte en question

En dépit de ce succès, la finance verte se heurte à une méfiance croissante des épargnants. Se pose la question de savoir si elle ne serait pas un « tour de passe-passe » inventé par les financiers qui, in fine, servirait le classique arbitrage risque/rentabilité de l’investisseur au détriment des valeurs citoyennes qu’elle est censée porter. Les craintes convergent vers la formulation du danger de l’éco-blanchiment (greenwashing), qui rend compte du fait de donner une image faussement écologique à des entreprises ou à des produits. La taxonomie verte européenne, sorte de grammaire permettant de qualifier cette finance, vise à lutter contre cette pratique. Au sein de l’écosystème financier, les labels fleurissent, les prix se multiplient pour récompenser telle ou telle initiative. Face à la surenchère de la communication et à la démultiplication des métriques, le risque d’éco-blanchiment engendre celui de lasser la société civile dans son ensemble et de tuer dans l’œuf les espoirs portés par le verdissement de la finance. Certains soulignent que la prétention de « verdir » l’économie est l’argument invoqué par le monde financier pour restaurer une légitimité atteinte par la crise des subprime de 2008. D’autres alertent sur le fait que la finance ne propose aucun modèle explicatif liant investissement dans les produits « verts » et réduction concrète des émissions de CO2.

Les questionnements précités mettent en exergue une nécessité de restaurer la confiance que la finance verte inspire à la société civile et d’orienter la sphère politique. Dans ce contexte, revenir aux fondamentaux de la transmission des connaissances sur la finance apparaît comme une piste prometteuse pour tenter de redonner du sens à ce « verdissement ».

 

Redonner du sens à la finance verte : le rôle de l’enseignement et de la recherche

A l’instar d’autres sondages sur le niveau d’éducation financière des français, la récente enquête de la Banque de France[viii] pointe leur faible connaissance des mécanismes de l’économie et de la finance. Du côté de l’enseignement supérieur, les bouleversements induits par la crise financière de 2008 n’ont pas significativement modifié les pratiques de transmission des connaissances[ix]. L’enseignement proposé dans ces filières demeure majoritairement circonscrit à la transmission de techniques calculatoires d’évaluation d’actifs et de mesure des risques, et la prise de décision rationnelle de l’investisseur se trouve centrée sur cet arbitrage risque/rentabilité.

Si la transmission de la technique est indispensable à la pratique professionnelle de la finance, les mondes financiers ne peuvent se résumer à des représentations abstraites. Une reconnexion avec l’économie réelle passe par la remise en contexte social, politique et réglementaire de la pratique de la finance qui est, avant tout, un nœud de contrats au sein d’un ensemble organisationnel. Dans ce contexte, l’approche dite des sciences sociales de la finance, portée par de plus en plus d’enseignants chercheurs de la discipline[x] en France, est susceptible d’apporter une pierre à l’édifice de la finance verte. Parce que les étudiants d’aujourd’hui deviendront les investisseurs, les managers mais aussi les régulateurs et les politiques de demain, l’éducation financière qui combine technicité et approche sociale peut aider à remettre les valeurs citoyennes portées par la finance verte sur le même plan que l’arbitrage risque/rentabilité. Ainsi, les initiatives de créations de chaires thématiques portées par plusieurs universités et écoles combinant recherche et masters dédiés se sont multipliées ces dernières années[xi]. L’enseignement de la finance par le prisme des sciences sociales se doit d’y trouver sa place[xii]. Enseigner les sciences sociales en finance conduit à privilégier une méthode à partir de l’observation de faits réels ou d’entretiens, et à pratiquer un aller-retour entre observation de la matérialité des pratiques et l’abstraction théorique. Plus précisément, cela implique d’analyser les rapports de forces sociaux ou les compromis politiques qui ont conduit à la mise en place des règles, dispositifs et institutions régissant la finance verte – comme, par exemple, la genèse et le déploiement de la taxonomie européenne – à part égale avec leurs effets induits sur les techniques de valorisation et de tarification des risques des instruments financiers verts (les labels, les fonds, les obligations).La casquette « chercheur » de l’enseignant est également utile pour tenter de décoder les pratiques d’éco-blanchiment. Mais les articles de recherche n’étant lus que par les pairs, cette recherche à impact requiert un effort de diffusion auprès d’une cible plus vaste que le public étudiant. Certains médias comme « The Conversation » ou « Fenêtres Ouvertes sur la Gestion » (IQSOG) offrent de telles vitrines.  

Les initiatives foisonnent en matière d’enseignement et de recherche en finance verte. Même si un recul temporel est nécessaire pour juger de leur impact, gageons qu’une transmission des connaissances assise sur une démarche réflexive et critique pourrait constituer l’engrais de ce verdissement et aider à éviter la coloration sans dosage : à une extrême, la capture par le langage expert qui menace tout champ techniciste en évolution constante ; à l’autre extrême, l’angélisme du discours encore (trop) souvent associé à cette finance A cette fin, nous préconisons une labellisation « SHS » des enseignements en finance et plus spécifiquement en finance verte attestant d’une ouverture pluridisciplinaire aux dimensions politiques, sociales et techniques de la finance. Les attendus de ce label pourront être co-construits dans les écoles et les universités avec l’ensemble des parties prenantes : enseignants-chercheurs, professionnels de la finance et représentants de la puissance publique.

Emmanuelle Dubocage et Stéphanie Serve

[i] Green Finance Study Group – groupe de travail du G20, rapport 2016 ; Banque de France, 2019, La Finance verte, ABC de l’économie.

[ii] 1 000 Mds de dollars d’émissions atteints en décembre 2020. Ansidei J., Leandri N., 2021, La finance verte, La découverte.

[iii] « La résilience des énergies renouvelables à l’épreuve du coronavirus »; Le Monde, 13 mai 2020.

[iv] Dubocage E., Rousselet E., 2021, « Comment mobiliser l’épargne des Français de manière citoyenne ? », The Conversation, https://theconversation.com/comment-mobiliser-lepargne-des-francais-de-maniere-citoyenne-158969

[v] 102M€ de fonds levés en 2020 selon le baromètre de GreenUnivers et Financement Participatif France.

[vi] Le livre blanc du Forum pour l’investissement responsable liste 22 recommandations (https://www.frenchsif.org/isr-esg/wp-content/uploads/Livre_blanc_FIR_decembre2021.pdf)

[vii]  Chronique de France Culture de Jézabel Couppey-Soubeyran «  Comment la finance peut-elle devenir écolo ? » (08/12/2021).

[viii]https://www.banque-france.fr/communique-de-presse/la-banque-de-france-devoile-les-resultats-de-ses-enquetes-sur-la-culture-financiere-des-francais.

[ix] « Dix ans après la crise, comment enseigne t’on la finance », 2018,J.Couppey-Soubeyran, L.Scialom, S.Serve, Y.Tadjeddine https://www.veblen-institute.org/Dix-ans-apres-la-crise-financiere-comment-enseigne-t-on-la-finance.html

[x] Chambost I, Tadjeddine Y, Lenglet M. La fabrique de la finance. Pour une approche interdisciplinaire. Septentrion (Presses universitaires du), 2016.

[xi] A titre d’exemples non exhaustifs : Chaire Finance durable et responsable – Ecole Polytechnoque ; Chaire Finance sociale et durable – Montpellier Business School ; Chaire Finance reconsidered – Kedge Business School et Candriam.

[xii] « Teaching finance through the prism of social sciences », 2021, S.Serve et Y.Tadjeddine, dans Rethinking Finance in the Face of New Challenges, Vol. 15, Emerald Publishing Limited