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Entreprise à mission et marchés financiers : Une incompatibilité ?

L’entreprise à mission est-elle vraiment accessible aux grands groupes présents sur les marchés financiers ? La communication d’Orpéa sur une possible évolution de ses statuts vers une entreprise à mission à la suite de ses déboires, pourrait nous faire penser à une action de greenwashing. La maximisation du profit serait-elle incompatible avec l’éthique ?

Suivant la réponse donnée, la valeur ajoutée de l’entreprise à mission sur notre environnement serait donc réservée à quelques dirigeants de PME. Ils exprimeraient leurs fortes convictions non seulement dans leurs statuts mais surtout dans leur vision et leur stratégie. Encore faudrait-il définir ce qu’est l’éthique, ce qui nous amène alors sur le vaste terrain de la philosophie avec tous ses courants et ses nuances.

En simplifiant, on pourrait ramener l’éthique de ces entrepreneurs vertueux à celle de Kant. L’entreprise à mission serait donc un moyen pour eux de vivre pleinement leurs valeurs et impacter favorablement la société à la mesure de leurs moyens. Cette éthique est difficilement accessible aux grands groupes en raison des contraintes exercées par les marchés financiers. Ils ont des comptes à leur rendre. La pression exercée sur les résultats économiques les mettrait dans une impasse. Si les marchés financiers ont bien entendu un regard attentif à chaque publication de chiffres, la valorisation de l’action est avant tout fonction de la confiance accordée. La capacité d’innovation d’une entreprise, la confiance qu’elle génère pour le futur sont des facteurs qui valorisent bien plus l’action.

Tesla en est l’exemple type avec une valorisation boursière qui fut un temps supérieur à l’ensemble des producteurs automobile. La plupart des grands groupes ont préféré privilégier une stratégie de court terme plus facile, basée sur toujours plus de productivité. Ceci a imprégné leur culture jusqu’à générer une financiarisation du management. On a sans doute ici l’origine de cette obsession pour la maximisation du profit.

Une autre confusion concerne cette incompatibilité présumée entre plus de profit et éthique. Il est évident que dans la vision de Kant, beaucoup de choses les oppose. Or il n’y a pas qu’une vision de l’éthique. Celle qui se rapprocherait le plus de la spécificité des grands groupes serait l’éthique conséquentialiste. Elle est tournée vers des conséquences positives des actions menées. Un 1er problème est qu’en l’état, appliquée aux entreprises à mission, elle n’est tenue par aucun lien puissant, à l’opposé de sa consœur plus vertueuse qui se doit de vivre ses valeurs. Elle ouvre ainsi la porte à toutes les dérives de communication. Le 2ème problème concerne l’exigence de profitabilité qui rassure les marchés financiers. Des initiatives en cours semblent prendre en compte ces 2 problématiques. On citera celle menée par Emmanuel Faber qui a pris la présidence de l’ISBB (international sustainability standards board). Cet organisme a pour volonté de développer des standards de durabilité qui alimenteront un reporting non financier complémentaire aux indicateurs actuels demandés par les marchés financiers. Ceci va dans le sens de la lutte contre le greenwashing et contribue surtout à cette confiance à démontrer aux marchés financiers. La particularité de ces indicateurs est qu’ils positionnent favorablement l’entreprise sur une démarche de long terme, à l’opposé de la remise en cause constante de la performance financière.

La 2ème initiative est portée par Pascal Demurger, le directeur général de la MAIF. Il veut inciter les marchés publics à favoriser les entreprises à mission ayant une bonne cotation. Cette stratégie entre parfaitement dans l’esprit de l’éthique conséquentialiste selon laquelle la fin peut légitimement justifier des moyens pour certaines actions. On peut supposer que favoriser l’accès des marchés publics aux entreprises à mission aura un impact favorable sur le regard posé par les différentes bourses. Ces initiatives entrent en résonance avec une conscience sociétale qui ne se traduit pas encore nécessairement dans les actes d’achat. Nul doute que lorsque celle-ci basculera, les marchés financiers sauront valoriser au mieux ces entreprises pionnières qui auront un sérieux temps d’avance.

Loïc Le Morlec