Thierry Legrand est Diplômé de l’EM Lyon Business School et de Sciences Po, il a exercé des fonctions de gestion des ressources humaines dans plusieurs entreprises multinationales. Actuellement DRH dans l’industrie du câble, il est, par ailleurs, conseiller prud’homme et auteur du livre Formation professionnelle : comment en sommes-nous arrivés là ? (Edilivre, 2019)
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Votre vision du métier de DRH aujourd’hui ? Quels sont les défis prioritaires ?
S’agissant des entreprises occidentales, et même de l’économie occidentale dans sa globalité, je suis marqué par la brutalité des changements de conjoncture. La succession des tensions de marché et, bien entendu, des crises (sanitaire, économique ou politique) récentes engendre une réelle instabilité dans le cahier des charges du DRH. Il doit passer, dans un délai très court, d’une phase de gel des embauches ou de réduction des effectifs, à une croissance forte, avec des objectifs de recrutements très ambitieux. Le rythme de croisière n’existe plus. C’est l’enjeu majeur du moment. Ainsi, la gestion des effectifs s’avère plus délicate à assumer sur le long terme, le dialogue social se durcit en conséquence puisque les partenaires sociaux remarquent cette instabilité. Enfin, dans certaines phases de réductions d’effectifs rapides, la logique économique domine clairement au détriment d’une vision RH de long terme.
Pourquoi avoir choisi d’écrire sur la formation professionnelle ?
La première raison est que la formation professionnelle fait partie intégrante de mes appétences et de mon expertise. J’ai eu l’occasion de mettre en place des plans de formations puis, aujourd’hui, des plans de développement des compétences ou des actions individuelles, dans des secteurs d’activité et des contextes divers, dans des entreprises françaises ou internationales depuis plus de 20 années. Je suis donc un praticien de la formation professionnelle. La seconde raison est plus citoyenne : comment palier l’écart entre le nombre de demandeurs d’emploi et les difficultés de recrutement auxquelles sont confrontées les entreprises ? J’ai souhaité approfondir mes recherches et tenter de répondre à cette question grâce à ce levier représenté par la formation professionnelle.
Vous percevez donc la formation comme un outil de modernisation sociale ?
Absolument. C’est une solution dont l’importance ne doit pas être sous-estimée, notamment pour les chômeurs de longue durée. La formation permettra de rendre employables des populations en difficulté, totalement décrochées du monde du travail. C’est une bonne œuvre sur le plan social. La loi « avenir professionnel » de Muriel Pénicaud (5 septembre 2018) va dans le bon sens. Les pouvoirs publics semblent avoir pris conscience de la situation. D’autres exemples de dispositifs antérieurs viennent créditer cette idée. L’objectif est ici d’atteindre une mobilisation collective des parties prenantes afin de rendre ces politiques plus efficaces.
Le concept de la « formation tout au long de la vie » est-il aujourd’hui compris par le public ? Dans quelles mesures est-il appliqué par la majorité des actifs ?
Dès 2003, François Fillon propose le concept d’une formation « tout au long de la vie ». Autrement dit, les actifs devront se former jusqu’à la retraite. Les situations sont très inégales en fonction des populations. Aujourd’hui, dans le secteur privé, un salarié sur deux connait une fin de carrière compliquée au moment de son départ en retraite. Cette problématique s’accentue encore davantage avec les métiers à forte pénibilité notamment dans le monde industriel, avec le travail en 3*8 par exemple. Après 50 ans, le travail de nuit devient plus difficile. Si nous voulons réduire le nombre de licenciements pour inaptitude sur ces publics, la formation doit permettre d’actualiser les compétences ou de préparer une reconversion. C’est un concept essentiel.
L’individualisation réelle du parcours de formation correspond-t-elle à un pilier fort de la formation professionnelle pour les prochaines années ?
Oui, sans nul doute. Le législateur a cherché, depuis plusieurs années, à inverser la tendance. Ce n’est plus l’entreprise le principal décisionnaire dans la mise en place d’actions de formation. Le salarié doit se montrer proactif et penser à sa propre carrière, à son employabilité à court, moyen et long termes. Néanmoins, chaque salarié n’est pas à égalité sur ce thème, en fonction de son statut, son niveau de qualification ou de connaissances. Certains vivent mal cette responsabilisation. A l’image du lancement du CPF, certains se sentent délaissés, avec un sentiment de « débrouillez-vous ». Aussi, des campagnes de communication adaptées, une mobilisation coordonnée des acteurs de la formation et un accompagnement personnalisé pour certaines populations seront nécessaires.
Entretien mené par Stefen Simon