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Comparaison internationale des réglementations sur les faillites

Dans les études académiques sur les procédures collectives, il est souvent mis en évidence les différences entre les systèmes pro-créanciers dont la Grande Bretagne est l’archétype et les système pro-débiteurs dont celui de la France qui en est la pleine illustration. Or, tous les systèmes ne résument pas à ces seuls pays. C’est pourquoi, notre propose se focalisera sur trois pays occidentaux majeurs à savoir les Etats-Unis et l’Allemagne et la Grande Bretagne, respectivement 1ère, 4éme et 5ème puissance mondiale en termes de PIB. Chaque réglementation a un impact significatif sur le pouvoir de gestion, la gestion des dettes, la dérogation des règles de priorité, la durée et les coûts de faillite. C’est l’objet de notre propos.

Quels sont les coûts et les avantages de ces différentes réglementations au regard du pouvoir de gestion, de la gestion des dettes, de la règle de priorité et de la durée et du coût de la faillite ?

Le pouvoir de gestion

Le pouvoir de gestion dont disposent les créanciers et le débiteur leur confère des droits, préalablement définis, sur les actifs d’une société en cas d’ouverture d’une procédure de redressement ou de liquidation. En Grande-Bretagne, dans le cadre de la procédure de règlement judiciaire, seuls les créanciers privilégiés détiennent un véritable pouvoir de gestion. Tous ces éléments peuvent inciter les créanciers privilégiés d’une part, à maintenir en état d’activité l’entreprise même si cela nuit à l’intérêt des créanciers de rang inférieur ou, d’autre part à la liquider prématurément.

En Allemagne, bien que l’administrateur, en cas de liquidation puisse solliciter des financements et, en théorie, à poursuivre l’activité de la société, ces pouvoirs sont en réalité souvent très limités en raison des privilèges des créanciers. Une fois les biens récupérés par les créanciers, la trésorerie est insuffisante pour pouvoir redresser l’entreprise.

Aux Etats-Unis, l’entreprise en difficulté sous le régime du « chapter 11 » (équivalent de notre redressement judiciaire) garde le contrôle de ses activités pendant toute la période de redressement même si l’action des dirigeants de l’entreprise est étroitement surveillée par le tribunal. Enfin, contrairement au Royaume Uni, le dépôt du bilan interdit automatiquement à la quasi-totalité des créanciers de recouvrer leur créance.

Gestion des dettes

Au Royaume-Uni, la marge de manœuvre du syndic est limitée pour renégocier la dette de l’entreprise en difficulté puisqu’il ne représente que les intérêts que d’un seul créancier. Cela est un frein pour lever de nouveaux fonds et surmonter la difficulté. En revanche, l’administrateur a une plus grande latitude pour gérer l’endettement car la voie judiciaire permet de favoriser un accord des créanciers. Aux Etats-Unis et en Allemagne, l’approbation du tribunal est indispensable mais seule la majorité simple des créanciers (et la majorité des deux tiers en termes de valeur) de chaque catégorie suffit.

Enfin, aux Etats-Unis, le « chapter 11 » permet l’obtention de nouveaux crédits pendant la période de redressement, ces nouveaux crédits bénéficiant d’une priorité de remboursement. Si en Allemagne, il est permis à l’entreprise en difficulté d’avoir accès à de nouvelles sources de financement, celles-ci ne se font que par l’émission de créances privilégiées.

Dérogations à la règle de priorité

En Grande-Bretagne, les dispositions légales ont pour objectif un règlement rapide des créances et le respect du rang des créanciers. Pour autant, on observe des dérogations significatives lors de règlements amiables, où les banquiers renoncent, en moyenne, à environ 12 % de leurs droits.

Des règles de dérogations aux règles de priorité dans l’intérêt des actionnaires et de certains créanciers sont permises dans le cadre du « Chapter 11 ».

En Allemagne, aucune étude systématique n’a été réalisée, mais l’exemple les difficultés financières récentes du sidérurgiste Klöckner-Werke prouvent que les dérogations existent malgré tout. Lorsque cette société a déposé son bilan, en décembre 1992, les dépréciations de créances s’élevèrent à 60 % (le maximum autorisé par la loi) pour les créanciers ordinaires et à 40 % pour les créanciers privilégiés. En outre, les actionnaires conservèrent leur participation.

Durée de la procédure et coûts directs des régimes

En Grande-Bretagne, le syndic consulte peu les créanciers autres que ceux qui l’ont désigné. Cela amène à raccourcir la procédure du règlement judiciaire. La procédure d’administration judiciaire est longue car tout plan de redressement doit être ratifié par le tribunal et les créanciers. En Allemagne, les évolutions actuelles ont eu tendance à permettre aux créanciers de mettre la société en liquidation à expiration du délai de trois mois correspondant à la période de suspension des poursuites. Aux Etats-Unis, on constate aussi une volonté de réduction de la procédure et la mise en place de procédure comme les « prepacks » (faillites préemballées). Bien entendu le raccourcissement de la durée de la procédure a pour objectif de réduire les coûts. Il faut donc chercher à les mesurer, le plus souvent cela se fait au travers du recouvrement des créances. Si les comparaisons sont difficiles, il ressort que, si l’on considère ces deux modes de redressement (redressement ou liquidation), les dépréciations sont à peu près identiques sous ces deux régimes (nous n’avons pas recensé d’étude sur le cas allemand), et, par conséquent, les coûts sont équivalents, à peu de chose près. Il faut garder à l’esprit que les comparaisons entre pays sont biaisées par un certain nombre d’éléments en raison de la différence de taille des entreprises et des secteurs d’activité.

Des défauts majeurs

A l’évidence, aucune des réglementations n’est parfaite ni exempte de défauts majeurs.

La législation américaine présente des procédures longues, coûteuses, parfois complexes, et conduisent à modifier le rang des créances et donc à ne pas respecter les termes originaux des contrats d’emprunts. En outre, les dirigeants sont incités à sur-investir pour augmenter les chances de poursuite de l’activité de leur entreprise.

Au Royaume-Uni au contraire, la procédure du règlement judiciaire est généralement rapide. Les créanciers disposent d’un pouvoir de gestion de l’entreprise, leur assurant un meilleur respect des termes contractuels concernant les dettes, au risque, toutefois, de liquidations prématurées ou inefficaces, ou d’un investissement insuffisant. Il semble que la nomination d’un administrateur n’ait pas pallié ces inconvénients, d’une part, parce que les créanciers privilégiés utilisent peu cette possibilité et, d’autre part, parce que les autres créanciers privilégiés peuvent empêcher cette nomination.

La nouvelle réglementation allemande va dans le sens de la simplification : elle devrait permettre de réduire le nombre des liquidations inefficaces en limitant les droits des créanciers privilégiés.

Pour autant, aucune procédure n’est parfaite et toutes devraient évoluer car on constate que la grande majorité des entreprises en redressement judiciaire sont liquidées comparativement aux entreprises capables de se redresser ou d’être cédées.

Conclusion

A la lecture de notre propos, force est de constater que de nombreuses différences existent. Il serait sans doute utile de s’interroger sur un droit international des faillites qui permettrait un traitement équitable des différentes parties prenantes. En effet, si de trop grandes disparités existent dans le traitement des différentes parties prenantes, il y a fort à parier que, pour les entreprises internationales, les dirigeants et actionnaires choisiront la procédure qui leur est la plus favorable. Cette pratique appelée « forum shopping » (élection de juridiction) qui consiste à saisir la juridiction la plus susceptible de servir au mieux ses propres intérêts entraîne une surenchère judiciaire et soulève la question de la philosophie du droit international.

Eric Séverin, David Veganzones