Sociétal

Hommage à Serge Moscovici, figure de la psychologie sociale

Serge Moscovici (1925-2014) est un psychologue social, historien des sciences français d’origine roumaine (*). Il et l’un des principaux théoriciens de l’écologie politique et un éminent spécialiste de la psychologie sociale. L’annonce de son décès, le 15 novembre 2014, a suscité dans la communauté scientifique, les milieux politiques et les médias, une forte émotion  qui s’est traduite par de nombreux témoignages et hommages concernant son œuvre, son engagement et sa personnalité.

La notion d’innovation minoritaire

Les travaux de Serge Moscovici sont multiples et portent sur l’histoire des sciences, l’écologie politique, la science du conflit entre l’individu et la société. Il est notamment connu pour ses travaux dans le domaine de la psychologie des groupes et des foules. Serge Moscovici va  montrer que les foules peuvent être intelligentes, et que les individus ne sont pas nécessairement à ma recherche de conformisme. L’auteur s’intéresse aussi à la question des représentations sociales, définies comme un ensemble d’informations, d’opinions, et de croyances relatives à l’objet que l’on étudie. Nous souhaitons, dans cet article, montrer également l’importance de ses écrits dans le champ de l’influence sociale. Serge Moscovici a en effet étudié de quelle façon une minorité initialement organisée autour de relations de dépendance vis-à-vis de la majorité (voir les travaux de Solomon Asch ) peut évoluer, en créant un changement social grâce au conflit (1). L’auteur explique ainsi l’apparition des révolutions et des « changements sociaux de grande ampleur », par le concept d’innovation minoritaire qui permet de comprendre comment une minorité peut aller à l’encontre des normes de la majorité et produire de l’innovation.

Le rôle de la minorité

La perspective Moscovicienne vient ainsi remettre en question le paradigme fonctionnaliste fondé sur des relations asymétriques entre une majorité active et une minorité passive (processus de conformité). Le modèle fonctionnaliste part en effet de l’idée que la dépendance vis-à-vis de la majorité, fait  « mécaniquement » obstacle à l’influence minoritaire. Serge Moscovici et ses collègues (Claude Faucheux, Willem Doise, Elisabeth Lage, Bernard Personnaz) vont démontrer le contraire, en suggérant que la minorité peut également agir sur la majorité, en fonction du contexte et à travers un style de comportement adapté. Celui-ci peut se définir à travers différentes dimensions : la consistance, l’investissement (engagement), l’autonomie (pensées et actions autonomes), l’originalité (ressources spécifiques), la rigidité (refus du compromis) et l’équité (aptitude à l’ouverture). Parmi ces dimensions,  la notion de consistance (certitude, persistance et cohérence) se révèle déterminante, car elle entraîne un conflit de type cognitif, où les acteurs  vont chercher à comprendre les raisons pour lesquelles certains individus vont défendre une position différente de celle de la majorité.

Vers une théorie interactionniste du changement

En effet, le style de comportement retenu va avoir comme conséquence, de rendre la minorité socialement visible et reconnue, en lui donnant une capacité d’action. On se trouve alors dans un processus d’action – réaction, dans laquelle la minorité  peut modifier les normes ou des habitudes en vigueur au sein du groupe.

Serge Moscovici propose ainsi une  nouvelle vision de l’influence sociale, basée sur une théorie interactionniste du changement, en mettant en exergue l’importance du style comportemental minoritaire et ses effets en matière d’innovation et de changement. Pour cet auteur, la clef de l’influence sociale est à rechercher, non pas du côté de l’autorité (le statut) ou du nombre (la majorité), mais au niveau de la capacité d’un acteur (sous-groupe ou individu) à exprimer de manière cohérente et répétitive ses convictions vis-vis des autres membres du groupe.

De ce fait, les travaux de Serge Moscovici méritent une attention toute particulière, en raison de l’acuité de son analyse et de sa compréhension des mouvements à l’œuvre dans la Société. Les thèmes qu’il aborde sont particulièrement riches et consistants. Ils apportent une contribution originale aux recherches menées dans les domaines de la sociologie de la participation (pluralité des formes d’engagement), de la sociologie pragmatique (ethnométhodologie) ou de la représentation sociale.

(1) « il y a des époques majoritaires, où tout semble dépendre de la volonté du plus grand nombre, et des époques minoritaires, où l’obstination de quelques individus, de quelques groupes restreints, paraît suffire à créer l’événement, et à décider du cours des choses » (Serge Moscovici)

Olivier Meier

Références

Allard Poesi F., Meier O. (2000), « Une analyse moscovicienne des processus d’innovation et changement », Revue Gestion des Ressources Humaines, n036, p.48-68.

Doise (W.), Moscovici S. (1992), Consensus et Dissensus, Une Théorie Générale des Décisions Collectives, Presses Universitaires de France, Paris.

Doms M., Moscovici S. (1984), « Innovation et Influence des minorités » in : Moscovici (Ed.). Psychologie Sociale, Presses Universitaires de France, Paris, p. 51-89.

Meier O. (2022), Comprendre la société par les sciences sociales, VA Editions.

Moscovici S. (1996), Psychologie des Minorités Actives, Quadrige, Presses Universitaires de France, Paris.

Moscovici S., Faucheux C. (1972), « Social Influence, Conformity Bias, and the Study of Active Minority », in Berkowitz (L.) (Ed.), Advances in Experimental Social Psychology, vol. 6, Academic Press, New York, p. 149-202.

Moscovici S., Lage E., (1976). « Studies in Social influence III: Majority versus Minority Influence in a group », European Journal of Social Psychology, vol. 6, p. 149-174.

Moscovici S., Lage E., Naffrechoux N. (1969), « Influence of a Consistent Minority on the Responses of a Majority in a Color Perception Task », Sociometry, n°32, p. 365-379.

Moscovici S., Zavalloni M. (1969), « The Group as Polarizer of Attitudes », Journal of Personality and Social Psychology, vol. 12, n°2, p. 125-135.