Soft skills, ludification, distanciel et hybridation des enseignements…depuis quelques années un vocabulaire disruptif bouscule les traditions construites autour de la pédagogie universitaire. Mais, comme toute tendance récente, l’innovation pédagogique dans le supérieur est en recherche de standards et souffre d’idées reçues qu’il faut déconstruire.
Idée reçue n°1 : Seuls les enseignants à l’aise avec le numérique peuvent innover
Il ne faut pas confondre innovation pédagogique et utilisation d’une technologie pédagogique innovante. L’innovation pédagogique s’inscrit dans un cadre bien plus large de création de nouveaux modes d’apprentissage. Ainsi, il est possible d’évoquer, aux côtés des innovations de modalités de diffusion des savoirs (par exemple un enseignement comodal), les innovations des méthodes d’apprentissage (par exemple la création d’un jeu sérieux), ou encore les innovations de procédés et techniques d’animation (classe inversée, renversée etc…). Dans cette perspective, le numérique est un outil utile mais non indispensable à la créativité pédagogique.
Idée reçue n°2 : Il s’agit d’une dynamique éphémère liée au contexte pandémique
L’Approche par Compétences (APC) constitue une véritable réorientation institutionnelle impulsée sur le plan Européen par la signature de la déclaration de Bologne (1999). Elle vise à améliorer l’insertion professionnelle en adaptant les contenus et les méthodes aux besoins professionnels nouveaux. Elle rend également plus lisibles et accessibles les formations universitaires afin de développer la formation tout au long de la vie. Un autre enjeu important du service public de l’enseignement supérieur est celui de l’inclusion des publics (handicap, situation économique et sociale difficile, etc.). S’opère ainsi un véritable changement de paradigme qui s’associe pleinement aux nouveaux enjeux économiques et sociétaux (Brillet et Souarnec, 2020). Ainsi, l’innovation pédagogique est considérée comme au coeur d’une amélioration constante des apprentissages, bien au-delà d’un simple effet de mode ou d’une situation d’urgence.
Idée reçue n°3 : L’innovation pédagogique masque une abdication face à des étudiants qui auraient moins de capacités d’étudier.
Il est courant de considérer la ludification et l’expérimentation des enseignements comme une adaptation clientéliste à un public bercé par le numérique, et qui aurait moins la faculté/patience d’apprendre. L’innovation se ferait ainsi au détriment du contenu. Cependant, le changement de paradigme est fondé sur de robustes travaux de recherche en sciences de l’éducation dont l’un des piliers fondateurs est la conception universelle des apprentissages (Rose et Meyer, 2002). Ces travaux démontrent que la création d’un véritable écosystème de co-construction avec les étudiants favorise leur engagement, leur inclusion, leur agilité et donc le développement de compétences (Oriol, 2022). Cette motivation peut donner goût et légitimer les approfondissements, pour un ancrage plus efficace des contenus.
Idée reçue n°4 : L’innovation pédagogique n’est pas valorisée alors qu’elle est chronophage
Le processus d’innovation pédagogique est souvent considéré comme cannibalisant un temps pouvant être consacré à la recherche et peu valorisé dans l’évaluation de la carrière d’un enseignant-chercheur. Pourtant et bien au contraire, l’innovation pédagogique en sciences de gestion constitue un véritable objet de recherche et peut générer réflexivité et regards critiques sur les pratiques d’enseignants-chercheurs (Oriol & David, 2022). De nombreux articles sur l’innovation pédagogique sont publiés dans les revues en sciences de gestion et du management. Plusieurs associations scientifiques de la discipline proposent des sessions spécifiques lors de leur conférence annuelle. Enfin, les communautés scientifiques et d’expertises en sciences de gestion comme la FNEGE se dotent de prix et de labels pédagogiques. Le travail d’innovation pédagogique est également reconnu au niveau ministériel, avec notamment la création en 2019 d’un congé pour projet pédagogique (CPP). Enfin, les établissements de l’enseignement supérieur se structurent pour encourager et accompagner les innovations pédagogiques via des formations, des appels à projets ou encore des primes de transformation.
Le processus de créativité pédagogique dans le supérieur gagne ainsi en opportunités et en dispositifs incitatifs. Le Conseil National des Universités dans la section 06 (CNU06) participe à cette dynamique constructive, en valorisant les innovations et expérimentations pédagogiques lors des différentes étapes d’évaluation de la carrière des enseignants-chercheurs. Nous pouvons ainsi nous réjouir que le temps consacré à l’amélioration des enseignements, autrefois invisible, finisse par enfin prendre une lumière amplement méritée.
(1) Cet article prend appui sur un chapitre réalisé dans le cadre d’un ouvrage collectif rédigé par 40 membres de la section 06 du Conseil national des universités (CNU) de la mandature 2019-2023. La volonté des différentes contributions est d’éclairer les controverses en optant pour une vision réflexive, fondée sur le registre de la disputatio : une discussion entre pairs mobilisant arguments et contre-arguments. Mesurer, transmettre, s’interroger, explorer, se projeter, les différents chapitres du livre aborde des questionnements majeurs de tous les enseignants-chercheurs en sciences de gestion et du management et, plus largement, du grand public qui souhaite mieux appréhender la gouvernance du système universitaire.
Nathalie Oriol et Mickaël David
Références
Brillet F., Souarnec A. (dir.).(2020), Penser et agir compétences : un changement de paradigme pour les établissements et les formations, FNEGE (CD-rom)
Oriol N. (2022) « Agilité et inclusion à l’université : un retour d’expérience » in « Transformation digitale et enseignement supérieur : comment seront formés les managers de demain ? » coord. O. Meier & R. Zerbib, Ed. EMS, Collection « Pratiques d’entreprises ».
Oriol N., & David M. (2022), « La disputatio au cœur du management : Recherche et ingénierie pédagogique », coord. A. Deville, G. Paché, Presses Universitaires de Provence, Collection « Travail & Gouvernance », à paraître.
Rose D.H., & Meyer A. (2002), Teaching every student in the digital age: Universal Design for Learning. Alexandria, VA: Association for Supervision and Curriculum Development.
