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Comprendre la socialisation des expatriés atypiques : les prêtres missionnaires africains en France

La multiplicité des identités professionnelles comme personnelles conduit l’individu à vivre une plasticité identitaire forte (Caza et Wilson, 2009; Vora et Kostova, 2007). Le contexte de l’expatriation apparaît comme une situation où cette fluidité est interrogée. Le succès des tâches proposées aux expatriés dépend de leur capacité à mobiliser la diversité des identités possédées comme de celle d’en acquérir de nouvelles. Si la littérature est riche d’enseignements pour l’expatriation classique de cadres mariés de longue durée, en revanche les formes atypiques d’expatriation comme celle des célibataires pour de courtes missions, moins de trois ans restent moins connues. Le but de ce travail est de comprendre l’adaptation d’une forme atypique jusqu’ici, à notre connaissance, n’ayant fait l’objet d’aucun travail empirique : les missionnaires prêtres africains venus en France comme des expatriés pour travailler dans les paroisses catholiques de France. Fondé sur 40 entretiens semi-directifs d’une durée moyenne de 45 minutes avec des prêtres africains, l’analyse des données dégage plusieurs résultats qui sont porteurs d’enjeux tant sociétaux, organisationnels qu’individuels.
Sociétalement, comprendre comment des prêtres africains s’insèrent dans leur communauté catholique en France constitue un apport à la réflexion autour de la question du pluralisme religieux dans notre société pluriculturelle. Organisationnellement, cette recherche interroge l’Eglise sur les conditions d’une mission à rebours. Elle lui indique qu’elles sont les éléments facilitant ou entravant le travail d’intégration de ces prêtres africains dans sa structure en France. Enfin, sur un plan individuel, cette recherche montre la capacité d’adaptation propre à cette population de prêtres africains capables de s’insérer dans un contexte peu favorable aux migrants.
Trois résultats principaux se dégagent de ce travail de recherche.
Premièrement, le prêtre africain s’appuie sur une valorisation de son identité professionnelle. Plusieurs d’entre eux soulignent la qualité de leur formation initiale. Ce ne sont pas des prêtres de seconde catégorie mais de vrais professionnels. Leur professionnalisme s’appuie aussi sur une expérience en paroisse forte : « je suis venu en tant que prêtre, j’ai fait ma formation dans les séminaires de mon pays pendant plusieurs années requises par le saint siège, puis j’ai fait mon expérience de prêtre dans des paroisses de mon pays avant d’être envoyé en France.»
Deuxièmement, le prêtre africain valorise ses compétences interculturelles en s’adaptant aux nouvelles exigences qu’imposent la société française et plus particulièrement l’Eglise en France. Ils sont confrontés à un nouvel apprentissage des valeurs culturelles et religieuses françaises. « En réalité notre formation reçue au séminaire en Afrique ne suffit point à elle seule pour une parfaite socialisation en France ; il nous faut apprendre à être prêtre en paroisse de France et c’est le plus difficile ». Cela suppose que ces expatriés découvrent en France des réalités qui peuvent être différentes des réalités de paroisses africaines. Certains évoquent l’adaptation « à la volonté des fidèles qui paraissent très accrochés à leur tradition ; c’est à nous de respecter leur pratique et de nous conformer à leur manière de faire sur les paroisses ». Les difficultés évoquées par certains missionnaires proviennent de leur non-respect de la tradition des paroissiens ; cela suscite le plus souvent des tensions entres prêtres et fidèles. Pour autant, on voit clairement le développement de compétences interculturelles.
Troisièmement, ces expatriés atypiques valorisent leur compétence à gérer plus facilement les fidèles migrants mieux que les prêtres locaux.

« Provenant peut-être de la même origine ou ayant la même ethnie ou la même culture que de nombreux migrants, nous nous sentons beaucoup plus sollicités par eux ; ils sont plus disposés à travailler avec nous sur les paroisses ». Dans de plusieurs circonstances paroissiales l’Eglise s’appuie sur ses missionnaires africains pour développer et animer la pastorale des migrants.
En définitive, la socialisation des expatriés atypiques que sont les prêtres africains en France témoigne de l’émergence d’une dynamique gagnant-gagnant. Malgré les difficultés propres au contexte, cette socialisation rime avec intégration de ces expatriés atypiques, optimisation du fonctionnement de la vie paroissiale et intégration des paroissiens migrants.

François Grima et Isaac Houngue