Interview

Entretien de Fiona Jestin « mieux vivre avec le trouble de la personnalité borderline »

Entretien de Fiona Jestin réalisé par Christian Makaya

 

Bonjour Fiona, vous êtes la créatrice du site www.borderattitude.fr et du compte Instagram associé, où vous partagez votre expérience personnelle et vos conseils pour mieux vivre avec le trouble de la personnalité borderline (TPB) au quotidien, en tant que personne directement concernée.

Avant toute chose, pouvez-vous nous en dire plus sur le TPB et la manière dont vous en avez fait l’expérience ?

Bien-sûr ! Le trouble de la personnalité borderline (TPB) est un trouble mental caractérisé par une instabilité émotionnelle, des relations interpersonnelles agitées, une image de soi fluctuante, et des comportements impulsifs. Les personnes concernées par le TPB ressentent des émotions de manière intense, ce qui entraîne des changements d’humeur rapides et une forte peur de l’abandon. Les causes du TPB incluent souvent des traumatismes passés et des facteurs génétiques. Le traitement repose principalement sur des thérapies, comme la thérapie comportementale dialectique (TCD), qui aide à mieux accueillir les émotions et les comportements autodestructeurs.

À travers mon parcours, je partage mon expérience avec le TPB, depuis les premiers symptômes jusqu’à ma quête de rétablissement. Très jeune, j’ai ressenti un profond décalage avec les autres, notamment à cause d’une peur intense de l’après-mort. À 18 ans, une relation à distance a déclenché des symptômes graves comme la dépersonnalisation, l’automutilation, et des crises d’angoisse avec sensation de mort imminente. Diagnostiquée avec un trouble anxieux généralisé à 20 ans, j’ai traversé une période sombre marquée par des ruptures, une dépendance affective, l’alcool, et les jeux vidéo. À 23 ans, j’ai découvert que j’étais Haut Potentiel Intellectuel (HPI), mais il a fallu attendre mes 28 ans pour recevoir enfin le diagnostic de TPB, ce qui m’a permis de comprendre et d’accepter qui je suis.

Le diagnostic de TPB a été un tournant majeur, me permettant d’accéder à un traitement approprié, de comprendre mes réactions, et de me libérer de la culpabilité. Cela m’a montré que j’étais responsable de mes comportements et pouvait donc évoluer.

En quoi consistent vos activités ?

Je travaille depuis peu dans une entreprise spécialisée dans les formations pour le développement professionnel, où je gère des tâches variées telles que le marketing digital et la création de contenu pédagogique. L’année prochaine, je deviendrai également formatrice. Parallèlement, je m’investis dans la gestion de BorderAttitude, un projet visant à soutenir les personnes concernées par le TPB et à sensibiliser le grand public. BorderAttitude propose des ressources gratuites, comme un workbook sur le bien-être et des témoignages de plus de 70 personnes touchées par le TPB. J’ai aussi publié « Naviguer à travers le trouble borderline« , un e-book où je partage mon expérience et des outils pratiques pour mieux vivre avec le TPB, en abordant l’accueil des émotions, les relations interpersonnelles et l’hygiène de vie.

Je suis également pair-aidante à la Maison Perchée, une association qui soutient les personnes vivant avec des troubles psychiques tels que le trouble bipolaire, la schizophrénie, et le TPB. Grâce à mon parcours, j’ai acquis de nombreuses compétences, et j’organise maintenant, avec BorderAttitude, des groupes de parole ainsi que des sessions individuelles. J’ai beaucoup de projets pour l’avenir, notamment la création d’un podcast, de webinaires, et de formations de sensibilisation.

J’ai une énergie débordante et je ressens une véritable dévotion à créer des outils, des espaces de soutien, et à partager mon savoir expérientiel pour aider les autres.

En quoi traiter la question du TPB constitue un enjeu de santé publique ?

La prévalence du TPB est estimée entre 2% et 4% de la population générale, bien que cette estimation varie selon les études. Le TPB touche plus souvent les femmes que les hommes, mais les deux sexes sont concernés. Des interventions à grande échelle sont nécessaires pour améliorer la qualité de vie des personnes touchées. Le TPB est souvent lié à des problèmes de santé mentale graves, comme la dépression, l’anxiété et les comportements suicidaires, qui nécessitent une attention urgente. Par exemple, une personne atteinte de TPB peut être hospitalisée de manière répétée pour des crises suicidaires, ce qui entraîne des coûts élevés et une pression considérable sur le système de santé. Les comportements autodestructeurs et les crises de colère peuvent également entraîner des conséquences sévères, augmentant la pression sur les services de santé. Traiter efficacement le TPB demande des approches coordonnées, intégrant développement personnel, soins psychologiques, médicaux et sociaux. La sensibilisation et l’éducation sont également essentielles pour réduire la stigmatisation et améliorer l’accès aux soins adaptés, contribuant ainsi à une meilleure santé publique. Une société plus empathique vis-à-vis des troubles mentaux émergerait grâce à ces efforts. Cependant, les symptômes variés et souvent mal compris du TPB compliquent une sensibilisation efficace. Les infrastructures pour l’éducation et le soutien sur le TPB restent insuffisantes. Il est également difficile de susciter une compréhension empathique lorsque les comportements des personnes concernées semblent imprévisibles ou déroutants.

Les actions publiques pour accompagner le TPB pourraient inclure des campagnes de sensibilisation, des formations pour les professionnels, un meilleur accès aux soins, du soutien pour les familles, des programmes d’intervention précoce et le financement de la recherche sur le sujet.

Du fait de la prévalence, les entreprises peuvent être directement ou indirectement concernées par le TPB. Selon vous, quels défis doivent-elles face au TPB?

Le TPB met en évidence la stigmatisation souvent associée aux difficultés émotionnelles. Les comportements extrêmes et les réactions émotionnelles intenses peuvent être mal compris et jugés, exacerbant ainsi les préjugés envers les problèmes de santé mentale, notamment en entreprise. Dans nos sociétés modernes, où la maîtrise de soi et la performance sont valorisées, le TPB révèle les limites de cette pression pour contrôler les émotions et le comportement, souvent source de souffrances profondes. Cela souligne la nécessité de systèmes de soutien qui reconnaissent et répondent aux besoins émotionnels des individus, en offrant des espaces de compréhension et de traitement adaptés. Le trouble souligne également l’importance de sensibiliser les entreprises à la complexité des émotions humaines et de promouvoir une approche plus bienveillante et inclusive envers les troubles de la personnalité.

Je vois donc un défi de sensibilisation et de formation du personnel, d’adaptation des postes de travail, de gestion des crises avec empathie, de mise en place d’un soutien psychologique, et, de manière générale, de promotion d’une culture d’inclusion. Par exemple, dans mon propre parcours, après avoir partagé mon diagnostic, la direction des ressources humaines a accepté d’aménager mon espace de travail (bureau ajustable, possibilité de se lever en réunion et de faire des pauses) sans toutefois sensibiliser mes collègues au TPB. Cela a entraîné un sentiment de culpabilité chez moi et un sentiment d’injustice chez mes collègues.

Pour accompagner le TPB en entreprise, les services de gestion des ressources humaines pourraient notamment former les managers, offrir des horaires flexibles, proposer des programmes de soutien psychologique, promouvoir un environnement inclusif, et ajuster les postes de travail selon les besoins.