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Les prémices d’une Éducation au Développement Durable à l’université

À l’origine de la construction européenne

Le Traité de Rome ne contenait aucune disposition expresse relative à la protection de l’environnement. Depuis, une politique spécifique pour ce dernier a été instituée par différents traités sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE du 9 mai 2008). Aujourd’hui, le droit des communautés européennes apparait largement anthropocentré (Clerc, 2018).  L’anthropocène désigne une nouvelle époque géologique du fait de l’impact des activités humaines sur le système Terre dans son ensemble. Face à l’anthropocène, « les fondements éthiques du législateur de l’Union européenne ont évolué en ce qu’il retranscrit, en droit, des considérations propres à une éthique pathocentrée, en protégeant le « bien-être animal », voire écocentrée en luttant contre la disparition des espèces et de leurs habitats menacés » (p. 55). La transition vers un nouveau modèle d’organisation sociale plus équitable devient une nécessité pour répondre aux inégalité sociales et aux défis écologiques. L’un des pivots de cette transition est une métamorphose de la représentation du monde et en particulier de l’université. En tant qu’institution chargée de transmettre des savoirs et des savoir-faire, mais aussi des valeurs et un rapport au monde, l’université a un rôle essentiel à jouer dans l’émergence d’un nouveau paradigme et son rôle futur dans l’évolution des rapports entre l’être humain et son environnement (Curnier, 2017).

Une étude exploratoire

Deux chercheures de l’université Paris-Est-Créteil ont mené une étude exploratoire pour tenter de rendre compte d’une vision interdisciplinaire de ce qui s’enseigne ou va s’enseigner à l’université permettant aux futurs citoyens et citoyennes de dépasser la posture de l’anthropocentrisme moral et de faire face aux défis de l’Anthropocène dans un monde ambigu, volatil, complexe et incertain (Carminatti & Rubens, sous presse 2024).

L’éducation en matière d’environnement

Elle fait son apparition à l’école du fait de la circulaire du 29 août 1977. Il s’agit alors de « développer chez l’élève une attitude d’observation, de compréhension et de responsabilité à l’égard de l’environnement ». Entre 1993 et 2020, huit circulaires vont suivre, le sujet du développement durable est régulièrement traité, et le ministère vise toujours plus de généralisation de ces enseignements. L’Education au Développement Durable (EDD) apparait dans le code de l’éducation et fait partie des missions de l’école. L’EDD concerne les échelles nationale (elle se retrouve dans l’ensemble des programmes scolaires), et également locale, à travers les projets des écoles et des établissements. Pour autant, du côté des enseignants, de nombreux freins ont été identifiés : l’articulation des objectifs éducatifs multiples, l’accompagnement pédagogique, la formation initiale ou continue, un sentiment d’incompétences, une non légitimité des enseignants engagés, et trop peu de moyens et de temps dédiés. A l’université, le Plan climat, biodiversité et transition écologique du MESR s’inspire du rapport Jouzel et prévoit la définition d’un socle de compétences et connaissances sur la transition écologique et le développement soutenable (TEDS) pour 2023. De même, la ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, Sylvie Retailleau a annoncé fin 2022 que la validation des diplômes qui serait conditionnée à l’obtention de ce socle de compétences et connaissances, sans que l’on ne connaisse la forme précise que prendra cette injonction. De nouvelles évolutions sont donc d’ores et déjà planifiées au sein de l’enseignement supérieur.

Quel rapport au savoir d’une éducation au développement durable ?

Cinq enseignant·e·s du supérieur de l’université Paris-Est-Créteil se sont prêté·e·s au jeu de rendre compte de ce qu’il·elle·s enseignent à propos des problématiques liées au « développement durable ».

Les définitions exprimées mettent en perspective les trois supers objectifs à atteindre d’ici 2030 : mettre fin à l’extrême pauvreté, lutter contre les inégalités et l’injustice et régler le problème du dérèglement climatique qui s’appuient sur les trois piliers du développement durable : environnement, économie et social (agenda 2030 en France). Les cinq études de cas révèlent les singularités de chacun des sujets-enseignants : pour Clotilde (il s’agit de pseudonymes pour conserver l’anonymat des collaboratrices et collaborateurs de terrain) : « l’anglais contribue au renforcement de la culture générale en lien avec l’environnement ». Pour Marie : « les étudiants doivent prendre conscience de la nécessité de prendre en compte les objectifs du développement durable dans la création ou la gestion de leur entreprise ». Pour Marion : « il y a nécessité à aller vers une transition écologique ». Pour Elodie : « aborder les problématiques du développement durable dans mes cours est primordial ». Pour Adrien : « en tant que physicien, je suis plus à l’aise avec les questions énergétiques et climatiques ».

Le rapprochement des cinq cas fait émerger plusieurs préalables à une EDD : une proximité avec les problématiques liées au développement durable ; une ancienneté avec cet enjeu de savoir et un désir de transmettre des éléments qui permettront aux étudiants de dépasser la connaissance déclarée et de prendre conscience de l’intérêt de mettre en œuvre au-delà des disciplines un mode de vie, un mode de pensée écocentrés ; la construction d’un rapport à l’EDD lié au rapport au monde, à soi et aux autres.

Ils ont tous les cinq lié une alliance inconsciente (Kaës, 2014) avec le développement durable et ont développé un raisonnement particulier qui permet d’entrevoir l’angle de l’objet et l’angle du regard sur l’objet DD (D’Almeida, 2005).

En conclusion, l’étude exploratoire laisse entrevoir les traces d’une pensée éducative nouvelle avec la nécessité d’élaborer des stratégies à long terme. Le rôle de l’enseignant, dans le supérieur, conduit à ajouter, presque à leur insu, un quatrième pilier, celui de la culture issue des contenus à transmettre dans leurs cours. Cette culture façonne et détermine les futures actions des étudiants. Pour que l’université devienne une université en transition, il semble nécessaire de rendre compte d’une nouvelle problématique, celle d’accepter que la « terre soit notre maître » (Westbroek, 2015, p. 962).

Nathalie Carminatti

Références

Clerc, O. (2018). L’Union européenne face au défi de l’anthropocène : du droit du développement durable aux droits de la nature ? Revue québécoise de droit international/Quebec Journal of International Law / Revista quebequense de derecho internacional, 55–73. https://doi.org/10.7202/1067259ar.

Curnier, D. (2017). Education et durabilité forte. La pensée écologique. 1. 252- 271.

D’Almeida, N. (2005). De l’environnement au développement durable, l’institution d’un objet et la configuration d’une question. Communication et organisation. La communication des nouvelles éthiques de l’entreprise. 26. 12-24.

Kaës, R. (2014). Les alliances inconscientes. Paris : Dunod.

Westbroek, P. (2015). Système terre. In Dominique Bourg et Alain Papaux (dir.), Dictionnaire de la pensée écologique. Paris : PUF. p. 957-962.