S’inscrivant dans un mouvement transnational de lutte contre l’inaction des pouvoirs publics en matière environnementale, le Conseil d’Etat a, par une décision du 17 octobre 2022, condamné l’Etat au versement de 20 millions d’euros en raison de l’insuffisance de son action pour l’amélioration de la qualité de l’air. Ce faisant, le juge administratif use des outils dont il dispose pour sanctionner une obligation de résultat qui pèse sur l’Etat français (1). Cette jurisprudence invite à interroger le rôle du juge administratif dans le contrôle des politiques publiques (2).
- La sanction de l’Etat pour l’insuffisance de son action climatique
Portée par une société civile fortement mobilisée sur les questions climatiques, la transition écologique s’illustre par une tendance croissante à concevoir le juge comme un soutien des actions militantes. N’épargnant nullement la France, le phénomène est illustré par la pétition citoyenne « l’affaire du siècle » soutenue par les associations qui sont, par ailleurs, à l’initiative de nombreuses actions contentieuses. En résulte notamment la décision de principe 12 juillet 2017 par laquelle le Conseil d’Etat a enjoint le Gouvernement de prendre toutes les mesures nécessaires pour ramener les concentrations en dioxyde d’azote et en particules fines PM10 sous les valeurs limites définies par la directive européenne du 21 mai 2008 et transposées à l’article L. 221-1 du code de l’environnement. Sa condamnation au paiement de 20 millions d’euros en est une conséquence directe. En effet, à l’expiration du délai imparti par le juge, le Gouvernement a été amené à faire état des mesures prises pour atteindre ces objectifs. Les jugeant insuffisantes, le Conseil d’Etat a usé de tous les outils dont il dispose pour sanctionner la carence de l’Etat en matière climatique. Le 10 juillet 2020, il a prononcé une astreinte de 10 millions d’euros par semestre de retard dans l’exécution de l’obligation d’amélioration de la qualité de l’air dans les zones désignées. Constatant une amélioration qu’il a néanmoins jugée insuffisante, le Conseil d’Etat s’est prononcé, à deux reprises, sur la liquidation de l’astreinte par l’Etat, le condamnant, durant l’été 2021, à verser 10 millions d’euros, puis, à l’automne 2022, 20 millions d’euros. Outre la récurrence inquiétante de l’insuffisance de l’action climatique de l’Etat, ces jurisprudences invitent à se demander si le juge administratif ne deviendrait pas un nouvel acteur du contrôle de la politique climatique.
- La justice administrative, un nouvel acteur du contrôle de la politique climatique
Conformément à l’article 24 de la Constitution, les acteurs du contrôle des politiques publiques sont principalement des organes parlementaires. Au contraire, les juges se refusent traditionnellement à opérer un contrôle de l’opportunité politique de l’action publique. Or, dans les jurisprudences précitées, le Conseil d’Etat a été amené à évaluer les actions menées par l’Etat pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. Ce n’est pas l’absence d’action étatique qui a été condamnée ici, mais bien son insuffisance. Le juge ne s’est pas limité au contrôle de l’existence de mesures de réduction du CO2. Il les a aussi évaluées en s’appuyant sur des indicateurs objectifs. Et c’est seulement après avoir constaté l’insuffisance de l’action de la puissance publique au regard des engagements juridiques qu’elle a souscrit (ici la directive européenne 2018 sur les émissions CO2) qu’il a sanctionné l’Etat. Cette sanction n’est ainsi prononcée qu’en raison du non-respect par l’Etat des engagements juridiques qu’il a lui-même souscrits. Le Conseil d’Etat a appliqué le même contrôle de l’action du Gouvernement dans la réduction des émissions de gaz à effet de serre sur la saisine de la commune de Grande-Synthe. Le juge semble ici doter de moyens adéquats pour contrôler si les gouvernants se donnent véritablement les moyens d’atteindre leur choix politique et ce, d’autant plus, lorsque ces choix ont fait l’objet d’une consécration juridique.
En s’engageant dans ce qui semble être un contrôle juridictionnel des politiques publiques, la juridiction administrative ne s’expose-t-elle pas à la critique du gouvernement des juges ? Est en outre observée une réticence de la science juridique à concevoir un contrôle juridictionnel des politiques publiques et constatant une tendance – sans doute encore réservée – du juge à s’y engager. Ainsi, une recherche doit pouvoir éprouver l’hypothèse du développement d’un tel contrôle. Cette interrogation prospective est au cœur d’un cycle de séminaire sur le contrôle des politiques publiques, dont le premier volet se tiendra à l’Université Nanterre, le 10 mai prochain.