politique

Conseil Académique – Conseil National des Universités : deux instances aux missions complémentaires au service de la reconnaissance des enseignants-chercheurs

Depuis 2007, avec la promulgation de la loi relative aux libertés et responsabilités des universités (dite loi LRU ou loi Pécresse du 10 août 2007), les universités françaises vivent une période de mutations, avec d’importantes réformes, notamment du métier d’enseignant-chercheur (EC) et du déroulement de la carrière (recrutement, promotion, prime, congé recherche…).

Un avant et après la loi de programmation de la recherche (LPR)

Avant la LPR, l’accès au corps des enseignants-chercheurs s’inscrivait dans une démarche nationale au service du local. Le recrutement des EC s’appuyait sur une complémentarité entre le CNU (Conseil National des Universités) d’une part, considéré comme un acteur clé, garant du statut national des EC (avec la prérogative de la qualification) et de l’indépendance de la démarche au niveau national, et les instances et jurys d’établissement (CAc – Conseil académique – et CoS – Comité de sélection) d’autre part, avec la prérogative du recrutement. Ces instances locales assuraient un rôle de recruteur, au plus près des spécificités de chaque université, après analyse préalable par le CNU des dossiers des candidats compte-tenu de la grande diversité scientifique de nombre d’universités. Chaque établissement disposait également d’espaces d’action et d’appropriation notamment pour le traitement différencié des PEDR – primes d’encadrement doctoral et de la recherche et pour la répartition d’un contingent de promotions complémentaires à celles accordées par le CNU.

Avec la LPR, s’est dessiné un renforcement des prérogatives des établissements au détriment du CNU. Ainsi, avec son article 5 sur la qualification et l’accès au corps des maîtres de conférences (MCF) (et les articles corollaires), la LPR bouleverse les pratiques de recrutement. Désormais, il est possible de recruter sans passer par la qualification du CNU. Elle supprime également l’obligation de qualification par le CNU des maîtres de conférences titulaires voulant accéder au corps de professeur des universités (PR).

Le lancement de l’expérimentation

Avec le lancement de cette expérimentation (jusqu’en septembre 2024) et la parution récente des décrets d’application, le Ministère et les universités sont désormais confrontés à la mise en œuvre de nouvelles modalités de recrutement[1]. Ces voies d’accès permettant l’accès au corps de maître de conférences et au corps des professeurs des universités suscitent de nombreux questionnements quant à la révision des dispositifs et définition des démarches locales.

La réflexion engagée porte sur les modalités de promotion interne et sur les critères adoptés pour assurer le passage, hors concours, du corps des maîtres de conférences à celui des professeurs des universités en parallèle de la procédure de repyramidage en cours (décret du 22 décembre 2021 prévoyant le repyramidage de 4000 postes de MCF en postes de PR sur la période 2021-2025). Toutefois, les modalités concrètes – notamment financières et humaines – sont désormais à l’étude dans chaque université, confrontée à la mise en œuvre de ces décrets.

 Les enjeux

Cette nouvelle réalité pointe les enjeux actuels de la gestion publique des ressources humaines, situés à la croisée de pratiques historiques, de nature administrative, avec leurs limites, et d’une approche renouvelée, à ancrer dans les spécificités du service public de la recherche et de l’enseignement, dont le statut d’EC est une pierre angulaire. La tentation consistant à ne pas reconnaître ces spécificités et à ne pas prendre la mesure de ses points forts, serait une erreur majeure d’autant que le métier d’EC tend à être de moins en moins attractif auprès des jeunes docteurs.

Trois scénarii

Face à ce chantier, la question centrale demeure la contribution de la LPR à l’amélioration de la situation de l’Enseignement Supérieur et la Recherche (ESR) français. A ce jour, se dessinent trois scénarios. Le premier est pessimiste : la nouvelle loi accentuerait les difficultés. Le deuxième, médian : avec de faibles moyens nouveaux, la loi n’aura pas un impact significatif sur la situation. Le troisième, optimiste : la LPR constitue un pas – mais seulement un pas – qui peut améliorer la situation.

Dans les prochains mois, les choix retenus vont nous permettre de mieux cerner les difficultés mais aussi les questions demeurées en creux ou en suspens. Quoiqu’il en soit, la réelle complémentarité entre le national (le CNU) et le local (les établissements) continue d’être un enjeu pour relever les défis suivants : développer une organisation pérenne de la recherche pour les futures générations de chercheurs avec la perspective d’un emploi stable, propice à une recherche sereine, autonome et collaborative ; préserver l’attachement au service public de la recherche et de l’enseignement, comme garantie de la qualité et de l’indépendance de leurs activités scientifiques, et comme atout de gestion des ressources humaines. Ce ferment est un préalable à une politique scientifique ambitieuse destinée à réarrimer la France dans les nations de tête en recherche.

Cette complémentarité doit s’adosser à une refonte organisationnelle et institutionnelle autour de mesures complémentaires, dans le chantier RH posé par la LPR, et ce, dans deux directions : 1) une complémentarité entre le CNU et les établissements fondée sur une véritable gestion des RH des EC, sur la base d’un dispositif performant permettant à la fois une approche globale et disciplinaire des EC capitale en terme d’intégrité scientifique, et une vision territoriale adaptée aux réalités des établissements dans les trois missions de l’EC – la recherche, l’enseignement et la participation à la gouvernance des établissements ; 2) la construction d’une véritable fonction RH dans les établissements, avec notamment un renforcement des compétences disponibles pour assurer une gestion couplant spécificités scientifiques, disciplinaires et pratiques opérationnelles adaptées, notamment en matière de recrutement et d’accompagnement dans le long terme.

Marine Le Gall-Ely, Jéremy Morvan, Isabelle Sauviat, Nathalie Schieb-Bienfait

[1]A ce jour, la section 06 (sciences de gestion et du management) du CNU étant une section contingentée à agrégation, est exonérée de l’expérimentation sur la qualification des MCF.

[2] Cet article prend appui sur un chapitre réalisé dans le cadre d’un ouvrage collectif rédigé par 40 membres de la section 06 du Conseil national des universités (CNU) de la mandature 2019-2023. La volonté des différentes contributions est d’éclairer les controverses en optant pour une vision réflexive, fondée sur le registre de la disputatio : une discussion entre pairs mobilisant arguments et contre-arguments. Mesurer, transmettre, s’interroger, explorer, se projeter, les différents chapitres du livre aborde des questionnements majeurs de tous les enseignants-chercheurs en sciences de gestion et du management et, plus largement, du grand public qui souhaite mieux appréhender la gouvernance du système universitaire.