A l’instar des disciplines des Sciences Sociales, les Sciences de Gestion et du management fondées notamment sur des approches qualitatives (études de cas, récits de vie, observation participante, entretiens…) sont aujourd’hui, confrontées à des questions éthiques et méthodologiques que soulève les travaux de recherche en terrains sensibles (*). Ce type de terrains s’est fortement développé ces dernières années face à la mondialisation mais aussi aux évolutions sociales, sociétales et technologiques (Condomines B., Hennequin E., 2013).
Dans le cadre de l’ouvrage CNU (Deville et al., 2022), un état de l’art sur le sujet permet de pointer trois principales lacunes. La première concerne le terme même de « sensibilité » dont l’acceptation apparaît trop limitée et schématique. La seconde porte sur les groupes étudiés et leurs liens avec la question des terrains sensibles. Le troisième point porte sur les aspects méthodologiques et la place du chercheur dans le dispositif d’ensemble.
Nous avons donc cherché ici à proposer une définition nouvelle de cette notion. Dans cette perspective, un sujet sensible est abordé, comme une recherche qui présente des risques pour ceux qui y sont impliqués tant comme participants que comme producteurs de connaissances. Cette définition va donc au-delà de la question de la vulnérabilité, terme selon nous trop restrictif, pour lui préférer celle de risque et de ses conséquences en matière de conduite de projet. Elle présente l’avantage d’intégrer dans la réflexion, les questions d’ordre éthique mais également celles de nature méthodologique, comme les questions de positionnement de la recherche, de protocole ou de confidentialité.
En reprenant cette définition, nous proposons ainsi différentes situations dans lesquelles la relation entre le sujet et le contexte social peut être contrariée. L’analyse réalisée permet d’établir sept grandes catégories de terrains sensibles :
- Les terrains dédiés à des zones géographiques à risques (par ex. : les pays à forte instabilité politique),
- les terrains d’entreprise à forts enjeux stratégiques (changements structurels, restructurations sociales, intégration post-acquisition),
- les terrains dédiés à des groupes sociaux ou culturels en marge de la norme sociale ou sociétale, marqués par des liens sociaux faibles (marginaux, SDF, délinquants, déviants),
- Les terrains dédiés à des groupes vulnérables en situation de manque ou de carence (personnes isolées ou personnes en état de forte pauvreté…) ;
- les terrains dédiés à des groupes culturels militants, politiques ou religieux
- Les terrains sur des sujets « tabous », relevant de la vie privée et qui touche à l’identité personnelle de l’individu, comme sa sexualité ;
- Et enfin les terrains portant sur des sujets éthiques ou moraux (racisme, homophobie, corruption par exemple…).
A l’appui de cette typologie et de plusieurs cas (Grima, Meier et al., 2020), nous cherchons à mieux cerner et expliquer les problèmes spécifiques, que pose ce type de recherche, en proposant des pistes de solutions possibles sur le plan à la fois institutionnel, organisationnel et relationnel.
François Grima et Olivier Meier
(1) Cet article prend appui sur un chapitre réalisé dans le cadre d’un ouvrage collectif rédigé par 40 membres de la section 06 du Conseil national des universités (CNU) de la mandature 2019-2023. La volonté des différentes contributions est d’éclairer les controverses en optant pour une vision réflexive, fondée sur le registre de la disputatio : une discussion entre pairs mobilisant arguments et contre-arguments. Mesurer, transmettre, s’interroger, explorer, se projeter, les différents chapitres du livre aborde des questionnements majeurs de tous les enseignants-chercheurs en sciences de gestion et du management et, plus largement, du grand public qui souhaite mieux appréhender la gouvernance du système universitaire.
Références
Adler, P., Adler P. (1993), « Ethical issues in self-censorship : Ethnographic research on sensitive topics », in Claire Renzetti et Raymond Lee (éds), Researching Sensitive Topics, p. 249-266. Newsbury Park : Sage Publications.
Boumaza, M., Campana A. (2007), « Enquêter en milieu “difficile” ». Revue française de science politique, 57 (1), p. 5-25.
Deville et al. (2022), La disputatio au cœur du management : débats et controverses, Collectif CNU 06, Presses Universitaires de Provence, 210 pages.
Condomines B., Hennequin E. (2013), « Etudier les sujets sensibles : les apports d’une approche mixte », Revue RIHME, 5, p.12-27.
Grima F., Meier O., Houngue I.(2020) , « Eglise : la délicate question des prêtres venus d’ailleurs », The Conversation, Octobre.
Grima F., Meier O., Chenigle S. (2020), « Gestion du voile et carrière en entreprise », The Conversation, Octobre.
Meier O. (2022), Comprendre la société par les sciences sociales, VA Editions.
Meier O. (2021), « Serge Paugam et les liens sociaux », RSE Magazine, Avril.
Meier O. (2021), « Howard Becker et la déviance », RSE Magazine, Avril.
Sriram, Lekha Ch., King J.C., Mertus J.,Martin-Ortega O., Herman J. (2009), Surviving field research. Working in violent and difficult situations. Londres, New-York : Routledge.